Accueil / Politique

Code de la famille : osons une réforme de fond !

Temps de lecture

Depuis 1999, l’engagement sans faille du Roi Mohammed VI en faveur de l’action féminine a contribué à rendre à la femme marocaine, sa dignité, son statut et ses droits. (Image d’archives) © DR

L’initiative avait été saluée par l’ensemble de la société : le Code de la famille de 2004 était en effet une avancée majeure vers l’émancipation de la femme marocaine. Toutefois, en l’état, les dispositions du texte ne répondent pas aux mutations sociales que connait le pays. Une société où la femme n’a rien à envier à l’homme, mais que la loi continue de considérer comme subalterne. Il y a un an, le roi Mohammed VI appelait l’exécutif à «mettre à jour les dispositifs et les législations nationales dédiés à la promotion» des droits de la famille et de la femme. Aucune ligne n’a bougé. Aujourd’hui, le message est on ne peut plus clair : le gouvernement a six mois pour réformer.

Il y a un peu plus d’un an, lors de la fête du Trône, le Souverain avait appelé à «dépasser les défaillances de la Moudawana». Hier, il a adressé une lettre au Chef du gouvernement, concrétisant la décision royale et traduisant «la sollicitude qu’il ne cesse d’accorder à la promotion de la femme et de la famille en général». Car 19 ans après, le Code de la famille n’a pas su répondre aux défis imposés par les évolutions socioéconomiques du pays.

Dans un délai maximal de six mois, le ministère de la Justice, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, le Conseil Supérieur des Oulémas, le Conseil National des Droits de l’Homme, l’Autorité gouvernementale chargée de la solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, et la Présidence du ministère public, de manière collective et collégiale, tout en s’ouvrant également sur les instances et acteurs de la société civile, les chercheurs et les spécialistes devront soumettre au Roi les propositions d’amendements de cette importante réforme.

Lire aussi : Réforme de la Moudawana : à quoi faut-il s’attendre ?

Le Roi donne le «la»

Le dernier discours du trône avait constitué un signal fort du Monarque. Dans son allocution du 30 juillet 2022, le Roi a rappelé que le Code de la famille a représenté un véritable bond en avant : fin de la tutelle matrimoniale, passage de l’âge du mariage de 15 à 18 ans, la possibilité pour la femme de demander le divorce et l’allégement des conditions de celui-ci, la polygamie, tout en restant autorisée, soumise à des conditions strictes ou encore coresponsabilité des conjoints, les acquis de cette réforme sont, en effet, nombreux.

En 2004, la réforme du Code du statut personnel de 1958 fut qualifiée de « révolution tranquille ». Quelques années plus tard, ce Code a été renforcé par la consécration constitutionnelle en 2011 des droits des femmes, par les dispositions du Code de la nationalité et la promulgation de la loi 103-13 relative à la lutte contre les violences.

Néanmoins, ce cadre «ne suffit plus en tant que tel. L’expérience a, en effet, mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés», avait affirmé le Souverain. L’application des dispositions de la Moudawana a connu plusieurs limites en raison des failles et d’une interprétation rigide de ses dispositions. Il avait alors «demandé que soient mis à jour les dispositifs et les législations nationales dédiés à la promotion» des droits de la famille et de la femme.

Lire aussi : Ouahbi fait le point et répond aux interrogations des députés

Cependant, aucun travail n’a été entamé, bien que le ministre de la Justice laissait, il y a encore quelques mois, entendre le contraire. Abdellatif Ouahbi avait toutefois nuancé, affirmant que «c’est Sa Majesté le Roi qui peut décider, tant pour l’élément temporel que pour la forme [ndlr, que prendra la réforme, pour que les consultations publiques puissent être entamées]. Est-ce que ce sera une commission, ou bien, si la réforme sera octroyée au ministère de la Justice ou à un autre ministère, …».

Les forces vives doivent converger

Aujourd’hui, le Souverain, en charge de l’enclenchement de ce processus car détenant ce pouvoir social dans le domaine religieux, a délégué le pilotage du dossier au ministère de la Justice, au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et à la Présidence du Ministère public, et ce, «au vu de la centralité des dimensions juridiques et judiciaires de cette question», a précisé le communiqué relayé hier par le cabinet royal.

Les hautes instructions royales stipulent de soumettre les propositions d’amendements qui vont émaner de ces larges consultations participatives à la haute appréciation du Souverain, Amir Al-Mouminine, le garant des droits et libertés des citoyens, dans un délai maximum de six mois et ce, avant l’élaboration par le gouvernement du projet de loi à ce sujet et sa soumission au parlement pour adoption.

Lire aussi : Révision du Code de la famille, instruction royale au chef du gouvernement

Dans une note rendue publique le 8 mars 2022, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) jugeait primordial de mener une réflexion collective, éclairée par le concours de l’expertise des instances compétentes en la matière, sur l’ensemble des questions liées au mariage, au divorce, à la succession, à la filiation, au droit de garde des enfants et à la reconnaissance du travail domestique des femmes. Des pistes de réflexion que partagent plusieurs associations féminines.

À cet effet, un comité de coordination pour la refonte globale du Code de la famille avait été créé à l’initiative de sept associations féminines, dont l’ADFM, Jossour, l’Union pour l’action féminine ou encore l’Association marocaine pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Le comité qui travaillait sur la mise en place d’une stratégie commune et l’élaboration d’une feuille de route pour l’action de plaidoyer, a adressé, en janvier dernier au Chef de l’exécutif, un mémorandum listant des propositions d’amendement corrigeant les diverses lacunes et incohérences du texte.

Les associations se disent toutefois sceptiques au niveau de changement et avancent «qu’il ne faut pas se contenter de petites retouches mais il faut plutôt une révision de fond».

Lire aussi : CNDH, création d’un groupe de réflexion sur la réforme de la Moudawana

La religion : frein ou opportunité ?

Le Souverain a choisi, à l’évidence sciemment dans son discours, de ne pas délimiter le périmètre précis de la réforme, ni d’en expliciter les thématiques de fond qui mériteraient selon lui d’être revues. Tout ce que les observateurs notent de ses intentions, c’est qu’il ne compte «autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé».

En d’autres termes, la voie est ouverte à tout le reste : tout ce qui ne fait l’objet de textes sacrés explicites. Ce point avait par ailleurs déjà guidé la précédente réforme, le Roi ayant eu recours à l’exacte même formule dans son discours d’ouverture du Parlement du 10 octobre 2003.

Ensuite, la nature finalement épineuse du débat, celui-ci touchant au fondement même du dogme religieux de la société marocaine, soulève bien des questions. Puisque la Moudawana s’inspire de la Chariaa, c’est la religion qui serait, pour beaucoup, en jeu. Il y aurait toutefois un amalgame fait entre ce qui est véritablement religieux et ce qui ne l’est pas.

Écouter aussi : Pourquoi une réforme de la Moudawana s’impose ?

Il convient de noter que dans une très large majorité, nous restons très attachés à ce cadre. Selon un sondage rendu public le 17 mars 2023 par le réseau de recherche panafricain Afrobarometer, 78% des Marocains refusent toute réforme qui ne s’appuierait pas sur la loi islamique, à savoir la charia. Une proportion qui tend même à augmenter avec l’âge (jusqu’à 85% chez les plus de 55 ans), à mesure que l’on gagne moins (81% de ceux qui se placent dans la catégorie des pauvres) et que l’on a moins été à l’école (88% de ceux qui n’ont pas reçu d’éducation formelle). Et, il est justement peut-être intéressant de relever que c’est la gent masculine, et ce à hauteur de 80%, qui tiendrai le plus à prendre en considération la Chariaa, contre 74% pour sa pendante féminine.

«Mais il faut aussi comprendre ce que la charia signifie exactement pour les Marocains», tempère Mhammed Abderrebi, président du cabinet Global for Survey and Consulting, qui a réalisé le sondage pour le compte de l’Afrobarometer. «Moi ce que je peux vous dire, en tout cas de mon point de vue de sociologue de formation, c’est que beaucoup pensent au Maroc que toutes nos valeurs nous viennent de l’islam, et que si l’on y change quelque chose, c’est l’islam qu’on changerait. C’est une perception tout-à-fait subjective de la chose. J’ajouterais, culturelle. Donc indépendamment du débat sur la Moudawana, vous allez systématiquement vous retrouver au milieu d’une discussion houleuse dès lors que vous êtes aux prises avec des questions de société à caractère éthique et/ou moral».

Lire aussi : Nouveau Code pénal, une victoire pour les libertés individuelles selon Ouahbi

Et parmi les principales questions concernées, celle de l’héritage : principalement le principe du taâssib (traduisez : héritage par agnation), que beaucoup considèrent comme un commandement divin, faisant que les filles n’ayant pas de frères se voient en partie déshéritées au profit de parents mâles plus éloignés. «Pour utiliser un jargon religieux, on parle dans le cas d’espèce de “mouamalate”, et pas de “ibadate”, c’est-à-dire des pratiques religieuses en elles-mêmes», tient à expliquer Aatifa Timjerdine, vice-présidente du bureau de Rabat de l’ADFM.

Autre point, constamment soulevé par les associations, le paradigme de la qiwamah. Dans sa mouture actuelle, le Code de la famille érige l’homme en tant qu’individu supérieur à la femme, en ce sens qu’il entretient femmes et enfants. Non seulement le principe est-il dépassé, mais beaucoup le jugent même inconstitutionnel, car il n’est pas conforme aux engagements de l’État envers les citoyens.

Toutefois, malgré la réalité du refus que beaucoup opposent à la réforme, en invoquant l’islam, le terrain n’a jamais été aussi propice pour faire évoluer les lois. Selon la militante, il s’agit dans le fond d’une question de pédagogie. Dans six mois, nous verrons les amendements proposés au Souverain. Espérons qu’ils soient à la hauteur des attentes de toute la société.

Dernier articles
Les articles les plus lu

Code de la famille : le RNI salue l’approche royale

Politique - Le parti a réuni sa commission interne dédiée à la révision du Code de la famille et a communiqué quatre axes.

Mouna Aghlal - 26 décembre 2024

Réforme du Code de la famille : ce qu’en pensent les camarades

Politique - Le PPS met en garde contre toute exception qui pourrait compromettre l’élan de modernisation du Code de la famille.

Sabrina El Faiz - 26 décembre 2024

Réforme du Code de la famille : le PJD exprime sa satisfaction

Politique - Le PJD exprime sa satisfaction et sa fierté face aux propositions de révision, qui respectent les fondements religieux, constitutionnels et nationaux, conformément aux directives du Roi.

Mbaye Gueye - 26 décembre 2024

Réforme du Code de la famille : l’UC salue l’engagement royal pour une justice sociale

Politique - Le parti de l'Union constitutionnelle a exprimé son soutien total à l'initiative de réforme du Code de la famille lancée par le roi Mohammed VI.

Rédaction LeBrief - 26 décembre 2024

Code de la famille : les points soulevés par le PAM

Politique - Le PAM a souligné l'importance d'un système logistique efficace, comme les guichets uniques dans les tribunaux familiaux.

Sabrina El Faiz - 26 décembre 2024

Numérique : vers un âge légal de 16 ans?

Politique - Le groupe parlementaire du PPS a proposé une loi relative à la protection des données personnelles des individus.

Mouna Aghlal - 25 décembre 2024

Paraguay : soutien renforcé au Sahara marocain

Politique - La Chambre des députés du Paraguay a récemment adopté une résolution renouvelant son appui à la souveraineté marocaine sur les provinces sahariennes.

Ilyasse Rhamir - 25 décembre 2024

Maroc – Sénégal : vers un renforcement des relations diplomatiques

Afrique, Diplomatie, Politique - Nasser Bourita, a reçu, ce lundi à Rabat, Yassine Fall, ministre sénégalaise de l’Intégration africaine et des affaires étrangères.

Ilyasse Rhamir - 24 décembre 2024
Voir plus

Bourita reçoit le président de l’Assemblée nationale de la Mauritanie

Politique - Le Maroc et la Mauritanie confirment leur volonté de renforcer leurs relations, comme en témoigne la rencontre entre Bourita et Bemba Meguett.

Rédaction LeBrief - 6 décembre 2024

CDM 2030 : la BAD investit 650 M€ au Maroc

Politique - Le président de la BAD, a annoncé l’élaboration d’un projet de financement de 650M d’euros, destiné au développement des infrastructures ferroviaires et aéroportuaires du Royaume.

Ilyasse Rhamir - 6 décembre 2024

Les dessous de la carte

Dossier - Prononcé devant le Parlement du Maroc le 29 octobre, quels secrets, quelles promesses, quelle histoire se cache derrière le discours d'Emmanuel Macron ?

Sabrina El Faiz - 2 novembre 2024

PLF 2025 : des réformes pour un avenir social plus équitable

Politique - Le projet de loi de finances (PLF) pour l'exercice 2025 met en avant un ensemble de mesures visant à consolider l’État social.

Farah Nadifi - 22 novembre 2024

Quelle année politique !

Dossier - 2024 s’inscrit pour le Maroc comme l'année du changement pour de meilleures perspectives. 12 mois de défis.

Mouna Aghlal - 31 décembre 2024

PLF 2025 : 231 amendements examinés par la Chambre des conseillers

Politique - La Commission des finances de la Chambre des conseillers a reçu 231 amendements sur la première partie du Projet de Loi de Finances (PLF) 2025. Parmi eux, 66 ont été acceptés, 55 rejetés et 110 retirés. La majorité des propositions portaient sur le volet fiscal (177 amendements), suivi des volets douanier et divers.

Rédaction LeBrief - 4 décembre 2024

Diplomatie parlementaire : Ould Errachid en mission au Panama

Politique - Mohamed Ould Errachid se rendra au Panama les 4 et 5 décembre à la tête d’une délégation parlementaire marocaine.

Ilyasse Rhamir - 3 décembre 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire