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Dans son étude « Classes moyennes au Maroc : au-delà des perceptions, que disent les chiffres ? » le Policy center for the new South rapporte que « Contrairement aux idées reçues, nos résultats indiquent que la classe moyenne n’a pas régressé au niveau national ni selon le milieu de résidence. En réalité, la croissance a été pro-pauvre sur la période. Ceci signifie que les plus pauvres ont bénéficié d’une amélioration relative de leur situation, tout comme une grande partie de la classe moyenne. Ces conclusions remettent donc en question la perception d’une classe moyenne en déclin. Elles soulignent l’importance de poursuivre les analyses basées sur des données récentes et probantes pour éclairer les débats sur la structure sociale du Maroc et son évolution. »
Les chiffres et conclusions rapportées par ce rapport ne sont pas forcément tous vérifiés. « Rien n’est moins vrai, bien qu’elle [NDLR, l’étude] enrichît le débat sur la question, elle souffre de lacunes méthodologiques qui en ont biaisé les conclusions », déclare Professeur Nabil Adel à LeBrief.
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Limites méthodologiques
Pour mener à bien une enquête, il faut avant tout mettre au point une méthodologie à suivre. Comme dans toutes les recherches. La méthodologie utilisée pour l’analyse de la classe moyenne au Maroc, par les auteurs du rapport, tout en étant structurée et robuste, présenterait, selon le Professeur, quelques limites inhérentes aux choix méthodologiques, qu’il définit pour LeBrief :
«La première limite est la dépendance aux seuils de revenus ou de dépenses. La définition de la classe moyenne basée uniquement sur des seuils relatifs de revenu ou de dépense est pratique, mais peut être arbitraire. Les seuils choisis (75% et 2,5 fois la médiane) ne reflètent pas avec précision les réalités socioéconomiques complexes de la classe moyenne. De plus, ces seuils varient considérablement d’une région à l’autre et d’une période à l’autre, influençant ainsi les conclusions sur la taille et la dynamique de la classe moyenne», nous explique Pr Nabil Adel.
La deuxième limite est la relativité des seuils. En utilisant des seuils relatifs qui changent avec la médiane de la distribution des revenus ou des dépenses, il y a un risque que les variations des seuils soient davantage le reflet des changements dans la distribution globale des revenus ou des dépenses, que de véritables changements dans les conditions de vie des personnes. Par exemple, si le revenu médian augmente en raison d’une saison agricole exceptionnellement généreuse, la classe moyenne pourrait sembler se renforcer, selon les seuils retenus, même si ses revenus n’ont pas augmenté réellement.
La troisième limite citée par le Professeur, est le manque de dimensionnalité: «bien que les seuils de revenu et de dépense soient des indicateurs utiles et valables, ils ne capturent qu’une dimension parmi tant d’autres de la condition de la classe moyenne. D’autres aspects comme la sécurité de l’emploi, l’accès à l’éducation de qualité, la santé, et la stabilité économique à long terme ont un impact significatif sur l’appartenance ou non à la classe moyenne».
La dernière limite analysée par le Professeur Adel est l’interprétation des glissements de population entre les classes. Ces glissements peuvent être mal interprétés sans une analyse approfondie de leurs causes sous-jacentes. Une étude robuste devrait au moins tenter d’expliquer les raisons de ces shifts. Autrement dit, il s’agit d’identifier les facteurs socioéconomiques ou démographiques qui « auraient contribué à la consolidation de la classe moyenne ». Cela pourrait consister à quantifier l’impact de la croissance économique et des politiques publiques, les changements dans le marché du travail, les évolutions dans l’éducation, ou les tendances de l’investissement et de la consommation.
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Limites dans l’interprétation des données
Vient ensuite l’analyse des chiffres, qui requiert une confrontation aux cadres théoriques. L’analyse sèche des chiffres et la manipulation de modèles économétriques sans les confronter aux cadres théoriques explicatifs peut conduire à des conclusions approximatives. La réduction des inégalités, loin d’être une simple observation statistique, résulte de facteurs socioéconomiques et démographiques complexes, que la recherche académique a couverts en long et large. Ces déterminants structurels qui favoriseraient la consolidation de la classe moyenne sont faibles dans le cas du Maroc, et ce, pour plusieurs raisons :
«Le premier facteur explicatif de l’augmentation des revenus dans une économie est l’amélioration de la productivité (rapport entre la production et le nombre de travailleurs). Une faible productivité, comme celle du Maroc (classé 107e sur 181 pays, derrière la Mauritanie et la Libye), limite les possibilités de réduction des inégalités et de consolidation de la classe moyenne. Les progrès dans la productivité sont, par conséquent, indispensables pour générer des gains de revenu réels qui ne dépendent pas uniquement des transferts entre classes sociales ou des politiques publiques éphémères», détaille Pr Nabil Adel.
Le taux de chômage élevé, surtout parmi les jeunes diplômés dans les zones urbaines, retarde tout accès à la classe moyenne. Le chômage limite non seulement la mobilité sociale ascendante, mais augmente aussi le risque de déclassement pour ceux qui se trouvent déjà dans la classe moyenne, compromettant ainsi leur stabilité économique et leur statut social. Or, le chômage, le sous-emploi et le cas inquiétant des NEET, sont des phénomènes que nous vivons et dont on peut observer les effets dévastateurs sur la classe moyenne.
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Sur un autre registre, la pandémie a exposé et exacerbé les vulnérabilités existantes dans de nombreuses économies, y compris au Maroc. «Ne pas tenir compte de ses effets, dans n’importe quelle étude, donne une image incomplète de la dynamique socioéconomique récente. La pandémie a aggravé les conditions économiques des Marocains, surtout après deux années de forte inflation. Cette rupture majeure rend dépassées les conclusions de toute étude sur la classe moyenne dans le contexte post-pandémique», explique le Professeur chercheur.
Par ailleurs, notre croissance économique faible et notre dépendance aux variables climatiques ne garantissent pas les conditions d’une création pérenne des richesses, d’une distribution des revenus ou de la solidification de la classe moyenne. Il y a lieu de distinguer entre l’amélioration arithmétique du revenu par habitant due au déclin démographique, et l’amélioration réelle des conditions de vie de nos concitoyens, résultat d’une croissance économique forte et d’une fiscalité équitable. Cette distinction est cruciale pour comprendre les dynamiques sous-jacentes de l’économie.
Enfin, le déclin démographique, dont le Professeur Nabil Adel nous parle en détail dans cet article, que nous vivons a pu influencer positivement les indicateurs économiques par habitant, créant ainsi une illusion de prospérité. En effet, la progression de la classe moyenne n’est pas due à une amélioration de ses revenus, mais au fait que ceux qui s’y trouvent font moins d’enfants. En d’autres termes, on n’a pas créé de nouvelles richesses, on a juste distribué les richesses existantes sur un plus petit nombre. À long terme, ce déclin démographique posera de sérieux problèmes, surtout dans un contexte de faible productivité. En effet, la croissance économique (condition nécessaire de consolidation de la classe moyenne) dépend de la taille de la population active et de sa productivité. Au Maroc, nous avons perdu sur la première variable, sans gagner sur la seconde.
« Comment, dans ces conditions, affirmer que « les plus pauvres ont bénéficié d’une amélioration relative de leur situation, tout comme une grande partie de la classe moyenne ? » », s’interroge le Professeur.
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