Cimetières : n’oublions pas nos morts
«J’ai honte quand mon épouse étrangère m’accompagne au cimetière où sont enterrés mes parents à chaque fois que je séjourne au Maroc», témoigne un MRE. Le témoignage de ce sexagénaire établi à l’étranger n’étonne aucunement. Une simple visite à l’un des sites funéraires de l’une des grandes métropoles marocaines vous fera découvrir la dure réalité.
La douleur de la perte d’un parent ou le deuil de l’absence d’une personne chère sont censés être apaisés par un recueillement sur les tombes des défunts. Mais cette visite devient un cauchemar dès qu’on arrive à la porte du cimetière. Des groupes de mendiants harcèlent les visiteurs réclamant de l’argent qui sera «une miséricorde» pour la personne décédée. Porteurs d’eau, jardiniers, maçons et tolbas (récitateurs de Coran) sont aussi de la partie. De quoi faire fuir les plus conciliants. Un refus ne suffira pas pour éloigner tout ce beau monde qui finira par forcer la main en s’attelant à entamer le travail sans le consentement de l’intéressé qui ne demandait qu’à se recueillir seul et dans le calme.
Lieux de l’oubli
Alors que nombre de cimetières sont saturés et que la plupart d’entre eux ne sont pas du tout sécurisés, l’on s’interroge sur cette indifférence des autorités quant à la gestion de ces lieux. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques renvoie la balle au ministère de l’Intérieur. Cependant, ce sont les communes qui sont tenues de gérer les cimetières si l’on se réfère à la loi organique 113-14. La commune doit créer et entretenir les cimetières, précise le texte. Elle «exerce la police des funérailles et des cimetières, prend les mesures d’urgence pour que toute personne décédée soit inhumée décemment, organise le service public de transport de corps et contrôle les inhumations et les exhumations, selon les modalités fixées par les lois et les règlements en vigueur».
Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) avait publié un rapport alarmant en 2012. Il faisait le constat suivant : 75% des sites funéraires du Royaume sont dans un état catastrophique, 15% dans un état moyen et 10% seulement en bon état. Cinq ans plus tard, l’exécutif, dirigé par le PJD, octroie une enveloppe de 700 millions de DH pour la réhabilitation de 1.250 cimetières. Un budget conséquent, mais très peu de résultats concrets. Alors que le patrimoine végétal et paysager marocain est richissime, on regrette le choix des chaussées et allées goudronnées dans la quasi-totalité de nos cimetières.
Aujourd’hui, les grandes villes comme Casablanca, Rabat et Tanger voient leurs cimetières saturés. L’État n’arrive pas à mobiliser le foncier nécessaire. Dans la métropole casablancaise, au cimetière Chouhada, on n’enterre plus que les personnalités publiques ou celles qui disposent d’un caveau familial depuis 1994. Heureusement, grâce à des bienfaiteurs qui ont légué leurs terrains aux communes, les cimetières Arrahma (90 hectares) et Al Ghofrane (135 hectares) disposent encore de places pour les enterrements, quoiqu’ils seront très vite saturés.
Même situation à Rabat et Tanger où les cimetières affichent des taux d’occupation de 90%. Pour la capitale, le projet du grand cimetière, sur une assiette foncière de 26 hectares (ha), est à même de pallier la saturation des champs du repos. Ce grand cimetière de Rabat disposera ,une fois ouvert, d’une capacité moyenne d’enterrement de 5.000 dépouilles par an, ce qui signifie que le cimetière peut être exploité de 26 à 30 ans. Sur cette superficie de 26 ha, 18 ha sont un don du ministère des Habous et des Affaires islamiques. Le reste de la superficie (8 ha) représente un patrimoine privé, détenu par plus de 100 familles élargies. Ces parcelles ont été expropriées par le Conseil de la ville.
L’autre solution envisagée par une Commission composée des ministères des Habous et des Affaires islamiques, de l’Intérieur, de la Justice, et supervisée par le Secrétariat général du gouvernement et du Conseil supérieur des Oulémas était l’exploitation des anciennes tombes pour en aménager d’autres. Mais cette idée a été abandonnée. Il faut dire que la problématique est aussi d’ordre doctrinal. Pour ce faire, il faut qu’il y ait jurisprudence. Et sur ce point, personne n’a osé franchir le pas, surtout que c’est de la mémoire collective qu’il s’agit.
Pourtant, d’autres pays islamiques ont procédé à l’exploitation des anciens cimetières et ont même inventé de nouveaux modes d’inhumation « en conformité avec la Charia ».
Pillage, vandalisme et sorcellerie
«Pendant la nuit, les tombes sont visitées par des pilleurs. Les portes métalliques des caveaux familiaux sont dérobées. Plusieurs arrestations ont eu lieu, mais rien n’y fait», témoigne un gardien du Cimetière Chouhada à Casablanca. Sous couvert d’anonymat, le conservateur d’un autre cimetière casablancais nous confie que même si le site est arrivé à saturation il y a deux décennies, il n’ouvre ses portes que le vendredi pour les visiteurs, «on découvre à chaque fois des actes de vandalisme de tout genre, avec vol de marbre et des fois la profanation des tombes. Ces pratiques affectent les proches des défunts qui ne viennent plus aussi souvent se recueillir et certains ont même tiré un trait sur les visites depuis des années».
Au Cimetière Moulay Bouchaïb à Azemmour, un fossoyeur, qui s’apprêtait à l’excavation des tombes il y a quelques années, avait découvert une tombe creusée avec un cercueil brisé et déterré et un cadavre exhumé et un peu plus loin. Cette scène se répète régulièrement dans les différents cimetières du Royaume à cause de la sorcellerie et des pratiques de charlatans et « chercheurs de trésors » sans scrupule. «Le problème, c’est que nos cimetières ne sont pas sécurisés», commente le militant associatif Ahmed El Farissi. «Au mieux, dans les cimetières les plus en vue, surtout ceux qui sont visités par les délégations officielles, il y a un poste avec deux éléments des forces auxiliaires», ajoute notre interlocuteur. Ce dernier atteste que des pratiques indécentes ont lieu dans les cimetières de jour comme de nuit avec une présence remarquée de clochards et autres malfaiteurs. «Que voulez-vous faire quand vous voyez un ivrogne se saouler sur une tombe et des fois en plein jour ?», se désole El Farissi. Pour lui, il faut augmenter les droits d’enterrement qui varient entre 150 DH et 300 DH pour une quinzaine d’enterrements par jour en moyenne. «Le cimetière loue le parking et quelques locaux commerciaux pour des activités annexes comme la confection des pierres tombales et des stèles en marbre. Certains cimetières ont même sous-traité le service de location de voiturettes pour transporter les visiteurs qui n’ont pas la force de marcher jusqu’aux tombes de leurs proches. Il faut des idées comme ça pour améliorer les revenus. Avec des recettes plus conséquentes, les cimetières peuvent faire appel à des sociétés de sécurité privées, ériger des murs de clôture, installer des lampadaires pour des enterrements nocturnes, etc», conclut-il.
Mobilisation associative
Face à une législation obsolète et un désintérêt des acteurs étatiques, la société civile a pris les choses en main pour entretenir certains cimetières. Avec l’aide de généreux donateurs et bénévoles, des associations organisent des opérations de collecte des déchets, de jardinage et d’embellissement au niveau des sites funéraires, mais aussi des mosquées attenantes. Sur Facebook, le collectif S.O.S Cimetière Maroc s’active pour sensibiliser les citoyens. «Laissés à l’abandon depuis des années, nos cimetières ne sont plus entretenus (…) beaucoup de personnes n’osent plus s’y rendre de peur de se faire harceler par des personnes malhonnêtes : racket, agression verbale et/ou physique, menaces, intimidation, sans parler du non-respect du rituel d’inhumation islamique, à savoir la direction de la tombe vers La Mecque, l’état du cimetière se dégrade de jour en jour», peut-on lire sur la page communautaire.
Un appel est même lancé à destination des autorités marocaines : «Certains passages sont difficiles d’accès, voire impossibles, il faut même parfois enjamber ou marcher sur les tombes. De plus, une grosse partie du cimetière ne possède plus de mur d’enceinte, ce qui favorise les incivilités. Nous demandons aux autorités marocaines de faire le nécessaire pour rendre la dignité à nos cimetières et de toute confession». Grâce à son initiateur maroco-belge Ridouan Seyour, la page a pu mobiliser des centaines de bénévoles. Concrètement, ils se retrouvent dans des lieux funéraires comme le cimetière Al Moujahidine à Tanger pour des actions collectives de nettoyage.
À Martil, le cimetière d’Ahriq, qui n’a que 14 ans d’existence, est un modèle en matière d’organisation, de propreté et de respect des morts. Grâce à l’Association de préservation des tombes islamiques, ce cimetière accueille les visiteurs dans les meilleures conditions possibles. Les rangées de tombes creusées et préparées à l’avance sont numérotées et sont gratuites pour l’enterrement des personnes décédées. Quand une rangée est entièrement remplie, des carreaux blancs et des stèles en marbre sont posés.
Pourquoi sommes-nous obligés de supporter le manque de considération pour ne pas dire la hogra à la vie comme à la mort ? Pourquoi l’État se désengage de la gestion de ces cimetières qui sont dans une situation apocalyptique à cause de la multiplicité des intervenants ? Pourtant, les cimetières dédiés aux chrétiens étrangers et ceux des Marocains de confession juive sont très bien entretenus. Propreté et quiétude rendent ces endroits encore plus beaux.
Il faudrait s’atteler à réhabiliter les monuments funéraires musulmans et veiller au respect de ces endroits. Cela relève de notre identité et de nos nobles valeurs…