Vous avez vraiment dit Afrique ?
Dans la famille Bâ, il y a Madame Bâ, que tout le monde connaît à travers le roman éponyme d’Erik Orsenna, de son vrai nom Eric Arnoult.
Madame Bâ est une femme forte, déterminée et optimiste. Rien ne peut entraver son désir d’aider les jeunes filles à accéder à l’arme ultime : la connaissance, à travers l’école. A l’occasion d’un projet de voyage en France, elle doit remplir un « formulaire ». Un document qui essaie de vous faire rentrer dans une case, en pointant les points jugés saillants qui font votre identité selon l’administration à laquelle il s’adresse. S’ensuit une autobiographie qui retrace l’histoire de son Mali natal où se croisent son propre destin et celui de son pays.
Dans la famille Bâ, il y a d’autres héros. Hassane en est un. A lui seul, il a pu démêler un imbroglio indigne de ce XXIe siècle qui nous accueille comme une charrette brinquebalante sur une route criblée de nids de poules et peu sûre.
Lass est un artiste malien. La trentaine à peine, il a du talent et il se bat pour exister.
Lass est invité au Maroc pour une exposition. Lettre d’invitation à l’appui, prise en charge et tout ce qu’il faut pour rassurer les fonctionnaires les plus sourcilleux, qui vont étudier sa demande.
Ce qui semblait être une simple formalité s’est transformé en une multitude de trajets vers notre ambassade à Bamako.
A chaque fois, le préposé, un mur réincarné en homme, correct mais peu bavard, se contente de le renvoyer chez lui.
Non, ne peuvent entrer à l’ambassade que les personnes qui viennent récupérer leur sésame, pas celles qui viennent s’enquérir de l’état d’avancement du traitement de leur dossier. De toutes les manières, le public n’est reçu que le matin.
Nous avons repris les codes négatifs de l’administration française sans nous soucier de leur inefficacité, ni de la frustration qu’elles génèrent chez les plus stoïques comme chez les autres.
Premier billet d’avion raté. Inutile d’en reprendre un second tant que le voyage n’est pas assuré. Le temps passe et la date fatidique approche.
Réflexe national gravé dans nos gènes. Qui dans nos connaissances pour nous aider à aider le jeune Lass ? On déroule alors, mentalement, son Rolodex en s’arrêtant sur tel ou tel nom.
Après quelques tentatives infructueuses, le nom de Hassane est apparu, comme une lumière ou plutôt comme une certitude. Hassane connaît tout le monde, il est serviable et fort sympathique.
Moins de 24 heures plus tard, Lass reçoit, sans même se déplacer une énième fois, son document par mail.
S’il faut chaleureusement remercier Hassane, il faut toutefois se poser la question de savoir si notre désir d’Afrique, c’est-à-dire de réconciliation avec notre identité première, est réel ou s’il ne s’agit que d’un vœu pieu. Lass avait droit à son laisser-passer, mais sans l’intervention salvatrice d’Hassane, la machine se serait arcboutée sur son refus. Pour un Lass qui a pu faire intervenir quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un, combien de nos frères africains se voient déboutés, sans raison valable ?
Même en se pliant aux injonctions de sécurité, et c’est peut-être là qu’il faut cesser de réfléchir comme une administration des années 60, est-il si difficile de faire la distinction entre un artiste, un étudiant, un homme d’affaires et un délinquant potentiel ?
Un jour prochain, nous aurons une autoroute qui reliera Abidjan au Caire et sur laquelle nous pourrons tous circuler sans aucune entrave. Tous les rapports de ces messieurs austères qui vivent haut perchés, dans des tours climatisées à Washington ou à Bruxelles sont unanimes. Ce qui fait défaut à notre continent pour qu’il puisse se développer, c’est un réseau de transport, c’est une infrastructure logistique solide. Il faut y ajouter la liberté de circuler, que l’Europe voit comme un privilège pour les gens du Sud. Envoyer de la marchandise c’est bien, pouvoir l’accompagner, c’est mieux.
Faut-il le rappeler, l’Afrique a connu son apogée avec les caravanes.
Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.
Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète
Ode aux rides
Nos mères étaient ridées, mais elles étaient belles. Elles étaient surtout uniques. Sur leur visage, la météo des sentiments laissait sa trace, jour après jour, à mesure que les événements se succédaient. On pouvait y lire, sans effort, les peines, la douleur, tout autant que les moments de joie et le bonheur d’être. Malgré l’âpreté de la vie, les accidents de parcours. Tout comme s’y lisaient ces instants où leur visage se transformait en astre dispensant sa paisible lumière sur…
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Je me présente, Karim Ikce. J’ai 30 ans, né à Casablanca, où je vis et travaille. J’ai une sœur, que tout le monde appelle Tika. Elle s’y est tellement habituée, que lorsqu’un étranger l’appelle par son prénom, elle ne réalise même pas que c’est à elle qu’il s’adresse. J’ai aussi un grand frère. Malgré notre différence d’âge, qui induit que j’ai été un accident, nous nous entendons à merveille. Je peux lui raconter ce que je ne peux pas partager…