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Pour la paix dans le monde
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Ce matin, pas envie d’aller à l’usine. À la suite d’une chute incontrôlée, j’ai le genou de la taille d’un ballon de foot. Un comble pour un amoureux des sports comme moi.
Je décide de m’installer au bord de la fenêtre et je me laisse aller à mes rêveries.
J’observe le chaos organisé de la circulation casablancaise, les piétons que les automobilistes qui se prennent pour des toreros chargent comme de vulgaires taureaux, les marchands ambulants, les mendiants qui se partagent le bitume dans des vagues rythmées par les feux de circulation. Une chorégraphie impromptue, où tout change sans que rien ne change.
Période estivale oblige, les attractions de la rue changent. Une troupe d’acrobates se livre à un rapide exercice entre deux passages du feu au vert. Ils n’ont pas l’air de toucher beaucoup d’automobilistes. Les uns occupés à se curer le nez tandis que les autres scrutent leur téléphone d’un œil, laissant l’autre rivé sur le feu pour démarrer en trombe aux premiers dixièmes de seconde du changement de couleur.
Et moi, qui surplombe tout cela, je suis le fil décousu de mes pensées jusqu’à cette fulgurance digne de la sieste de Newton sous son pommier.
Je viens tout simplement de trouver comment promouvoir la paix dans le monde. Rien que ça.
Petit détour historique par la Suède. Nous sommes en 1979, le mois de décembre arrive. Période de fêtes et de cadeaux pour les grands et les petits. Cela fait plusieurs semaines qu’une proposition de loi est à l’étude. Assuré que les gestes et les réflexes acquis durant l’enfance forgent le caractère des futurs adultes, le Parlement a voté l’interdiction de jouets en forme d’armes. Rien que cela. Logique. Si un enfant passe son temps à tuer ses camarades à la cour de récré avec des pistolets en plastique, il pourrait être tenté de le faire plus tard avec une arme véritable. Le reconnaître, c’est reconnaître le pouvoir de conditionnement du marketing et de la publicité. Ce dont se défendent les partisans des armes aux États-Unis en particulier.
Sans lien formel avec cela, je me suis dit que toutes les compétitions sportives devraient être revues. Au foot, que certains considèrent comme une véritable religion, les villes s’affrontent, les pays s’affrontent dans des grandes messes commerciales. Les chefs d’états se déplacent aux finales ou félicitent les vainqueurs, comme des gladiateurs qui auraient terrassé un horrible adversaire. À la boxe ou au MMA c’est pire. Une foule déchaînée crie la mise à mort symbolique de l’un ou de l’autre des protagonistes, qui finit indéniablement physiquement au tapis. Au golf, au tennis, dans une atmosphère plus feutrée, c’est le représentant de tel pays qui s’impose au détriment de ceux des autres pays. Véritable ambassadeur-soldat de son pays, le champion chante l’hymne national de son pays et, en fonction de l’arène, des slogans politiques sont affichés, revendiqués par telle fédération ou rejetée par certains joueurs. Si l’on y ajoute la dimension financière, on est à des années lumières des gamins qui passent le temps au bout de la rue en roulant une balle entre des obstacles protéiformes vers des goals improvisés.
Ce n’est plus la participation qui compte, mais l’injonction, non pas de donner le meilleur de soi, mais d’être le meilleur.
Le pire, selon moi, est que les femmes, héroïnes célébrées dans le superbe film de Nadine Labaki « Et maintenant on va où», s’y mettent aussi. Qui arrêtera alors la folie des hommes ?
D’où mon idée géniale, tirée du volume de mon douloureux genou, de promouvoir des activités célébrant le vivre-ensemble, la fraternité, la contribution commune à l’édification d’un monde meilleur plutôt que ces compétitions où s’imposent la victoire des uns et la défaite des autres, la suprématie des premiers sur les autres et l’ordre moral qui en découle. Faisons une fête d’où personne ne sortirait ni affaibli, ni écrasé, où la dignité de notre espèce serait consacrée. Un moment d’exaltation de la générosité de l’Homme, du partage et de l’équité.
OK, je vais reprendre un cachet anti-douleur. Mais j’aime quand même bien cette idée.
Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.
Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète