Ode aux rides
Nos mères étaient ridées, mais elles étaient belles. Elles étaient surtout uniques.
Sur leur visage, la météo des sentiments laissait sa trace, jour après jour, à mesure que les événements se succédaient.
On pouvait y lire, sans effort, les peines, la douleur, tout autant que les moments de joie et le bonheur d’être. Malgré l’âpreté de la vie, les accidents de parcours. Tout comme s’y lisaient ces instants où leur visage se transformait en astre dispensant sa paisible lumière sur toute la famille. C’étaient certainement les moments les plus précieux de toute notre existence, sans que nous en saisissions la valeur.
Chaque instant était une succession d’imperceptibles mouvements qui animaient le front, les sourcils, les yeux, le nez, les lèvres, les joues et le menton de nos mères, dans une multitude de combinaisons se reproduisant systématiquement pour dire la même chose ; les mêmes choses, dans une chorégraphie riche et immuable.
A chaque situation, une impulsion nette et précise.
Point besoin d’être un savant pour lire tout ce qu’une moue, un sourire, un regard exprimaient et présageaient pour l’avenir immédiat.
Chaque maman disposait ainsi d’une panoplie de signes, que seul le destinataire pouvait lire dans l’assemblée.
En présence d’invités, cette langue, concise, silencieuse, ressemblait à une télécommande nous intimant l’ordre de nous asseoir, de ne pas bouger, de (bien) parler, de nous tenir correctement, de retirer ce doigt maladroit d’une narine ou d’une oreille, de pousser ce verre dangereusement posé sur le rebord du guéridon, comme pour défier la loi de la gravité, vers un espace plus amène, bref de montrer que nous étions bien éduqués.
En présence de nos instituteurs, c’était l’oracle, qui trouvait sa source dans le discours dispensé par l’autorité de l’école et qui s’affichait sous la forme d’un sourire de satisfaction ou d’un froncement de sourcil annonciateur d’une tempête prête à éclater.
Lorsque j’étais enfant, tous les adultes étaient vieux, sans distinction. Il me semblait que toutes ces personnes avaient forcément fréquenté, une à une, l’ensemble de ces espèces éteintes, dinosaures, ptérosaures, et autres couscous des Telefols lointains témoins d’un monde à jamais révolu.
Je garde, gravé en moi, le visage de mes grands-mères, leur visage et leurs mains qui racontaient en un clin d’œil le voyage qu’elles avaient mené à travers la vie. Je ne me souviens d’elles que dans cet état, considérant qu’elles étaient certainement nées comme cela, n’arrivant pas à réaliser qu’elles avaient été enfants, espiègles, comme nous le fûmes.
Le relief de leur peau me renvoyait à des cartes de chasse aux trésors, dont la clé avait été perdue. Forcément, depuis tout ce temps…
40 ans me paraissaient comme l’horizon inatteignable d’une vie infiniment longue.
Aujourd’hui, lorsque je regarde les photos de ma mère et de mes grand-mères à cet âge, je vois de belles et magnifiques femmes, à la peau de velours et de satin, à l’éclat de l’amour permanent, à l’expression de la vie, forcément embellie pour faire honneur à l’objectif devant lequel tout s’estompait pour laisser triompher le désir de s’affirmer, de s’afficher sous son meilleur jour.
Je me demande comment les jeunes d’aujourd’hui voient ces vieilles qui, à force de toutes se ressembler, ne ressemblent plus à rien. Comment ce repère central, qui était le visage de nos mères, s’est tu et les livre à un espace sans boussole.
La trace du temps est perçue comme un crime, alors que c’est le plus beau des trophées.
C’est dans votre grâce naturelle que nous vous aimons, mères, et futures mères, grand-mères, actrices ou simples témoins de la vie, de nos vies.
Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.
Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète
Le neveu du patron
Jusqu’ici mon intégration se passe bien. La machine à café fonctionne plutôt bien, sauf mardi où elle a avalé mes pièces sans se soucier de me livrer mon breuvage du matin et vendredi où dans mon gobelet, en lieu et place du café long, je n’ai eu que de l’eau plus ou moins chaude. J’ai sympathisé avec mes collègues et j’ai même commencé une cartographie mentale des clans en présence. Karim, un autre, celui de l’atelier de façonnage, s’entend bien…
Le petit rouge du jour
Tous les matins, je prends un petit rouge pour arriver en forme au bureau. C’est que j’ai une réputation à tenir, voyez-vous. Je me fais un devoir d’arriver à l’heure, prêt à gravir les montagnes de la journée. Sourire éclatant, cernes dissimulées et voix claire. Bonjour flane, sabah nour lalla flana, je distribue mes saluts comme d’autres les promesses à la veille d’un scrutin. Mon petit rouge me permet de tâter le pouls de la ville, sans fioritures ni faux-semblants.…
L’oreille du Guinness
Comme tout un chacun, j’ai un téléphone. C’est devenu tellement banal, qu’il est inutile de préciser « portable ». Mon téléphone et moi entretenons une relation à la vie à la mort. Nous ne nous quittons pour ainsi dire jamais. Je lui confie tout, et en retour, en dehors de m’aider à garder le lien avec mes proches, il m’aide à trouver ma route, à écouter ma musique et même à prendre des notes, ramollissant du même coup ma mémoire. Mon appareil…
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Je suis un contemplatif. J’aime prendre mon temps et savourer les choses. J’aime me plonger dans un livre comme on se lance dans un long voyage et me fondre dans le contexte en m’offrant le luxe de changer le personnage que j’habite au fil de l’histoire. Cela demande un effort. Un jour, déboulant comme un chien dans un jeu de quilles dans le bureau d’un professeur renommé, je le vis lever les yeux et me fusiller du regard. Il a…
Vernissage
Cette semaine, j’étais «invité» à un vernissage. En réalité, j’ai reçu un message sur mon téléphone avec une composition graphique tenant lieu de carton. Comme l’artiste qui expose est une amie de longue date, je me suis fait violence et j’ai décidé de sortir de ma tanière. Que du beau monde bien entendu et ces figures incontournables, qui semblent faire partie du décor. On les rencontre à chaque fois, puis à force, on commence par se dire bonjour, d’abord d’un…
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Coupe du monde de football oblige, je me vois obligé de contribuer à la discussion générale en adoptant la posture du nouveau converti, autoproclamé expert. Pour être franc, je ne connais rien au foot et cela ne m’a jamais intéressé. Socialement, cela m’a valu de ne pas pouvoir m’intégrer au sein de mon groupe d’amis, tout au long de ma vie. Pourtant j’ai fait des efforts, j’ai tenté de regarder des matchs, mais je ne voyais que des pantins courant…
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J’ai un job. Ok, mais faut pas faire n’importe quoi, sous prétexte que… J’ai toujours été fasciné par les panneaux indicateurs, qui remplacent les rhumbs de nos anciens portulans. Beaucoup plus simples, en apparence, certainement tout aussi efficaces, mais cependant moins poétiques. Nous ne nous soucions plus du vent, de sa direction, ni de sa force et nous contentons de jeter un œil discret à ce cône qui, de temps à autre, nous informe de la présence d’un vent latéral…
Le monde, sous rayon X
Je me présente, Karim Ikce. J’ai 30 ans, né à Casablanca, où je vis et travaille. J’ai une sœur, que tout le monde appelle Tika. Elle s’y est tellement habituée, que lorsqu’un étranger l’appelle par son prénom, elle ne réalise même pas que c’est à elle qu’il s’adresse. J’ai aussi un grand frère. Malgré notre différence d’âge, qui induit que j’ai été un accident, nous nous entendons à merveille. Je peux lui raconter ce que je ne peux pas partager…