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J’ai rencontré Driss Jaydane

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Karim Ikce, 30 ans, j’ai été embauché pour vous raconter la vraie vie, c’est-à-dire à travers mon regard et ses travers …

J’ai rencontré Driss Jaydane. L’écrivain qui s’appelle aussi Driss Chraibi mais qui, pour ne pas faire d’ombre à son auguste prédécesseur lui a cédé son patronyme. Dire que certains en auraient fait une signature, que dis-je, une raison de vivre…

Imaginez la scène :

Vous avez lu le dernier Driss Chraïbi ?

– Lequel ?

– Quoi lequel ? Le livre ?

– Non le Driss Chraïbi. L’ancien ou le nouveau ?

Driss est comme ses livres ; humble, agréable, fin et riche. Dans son troisième roman « Moise de Casa », Driss nous emmène sur la trace d’un jeune casablancais, à la recherche de soi-même, de ses rêves et de sa place dans cette ville incroyable.

Si vous ne l’avez pas encore lu, j’ai une bonne nouvelle. Il est disponible dans toutes les bonnes librairies.

Je l’ai d’ailleurs offert à Hiba pour la remercier de m’avoir invité au ftour du monde.

J’ai pris la décision, il y a quelques années, de ne plus prêter mes livres. Devant le taux de retour quasi nul, je préfère dire non, ou offrir un exemplaire, pour éviter de céder avec l’ouvrage les notes qui fleurissent tout autour du texte typographié et qui constituent une sorte d’ex libris né de la lecture en question.

Offrir un livre, c’est offrir un peu d’éternité, un refuge vers lequel on peut se replier à n’importe quel moment, un élément qui rend l’espace plus chaleureux. Au pire, un objet pour caler une porte récalcitrante ou une table bancale.

Hiba a lu le livre et nous en avons discuté. Je suis content de lui avoir fait découvrir ce roman, parce que Casablanca est un paradis qui se moque du regard méprisant que lui jettent certains de ses enfants. Sans parler de nos cousins de la capitale administrative qui viennent s’y encanailler en fin de semaine et Hiba est casablancaise revendiquée. Donc il y avait un hiatus à résoudre.

Il y a dans la lecture de ce livre un peu de nostalgie, un peu de rêve, un peu d’amertume. Il y a ce regard d’enfant, qu’il ne faut pas confondre avec un regard naïf ou immature, qui met en lumière la tension et l’énergie qu’il faut déployer pour exister et s’affirmer malgré les blessures, en se forgeant un avenir forcément exceptionnel. Il y a un peu de chacun de nous dans ce Moïse.

Nous avons eu une lecture différente de ce roman. C’est ce qui fait la richesse de la littérature, surtout lorsqu’elle est honnête et de qualité.

De fil en aiguille, nous en sommes arrivés à l’idée de création d’un cercle de lecture au sein de l’entreprise. Un petit moment de partage où l’on se projetterait tous dans le même sens à partir de la même lecture et où chacun pourrait voyager à sa guise en larguant les amarres à la fin de chaque lecture. Alors ami Driss, sache, si tu lis ce billet, que nous serions honorés que tu viennes nous raconter ce qui se dit entre les lignes de « Moïse de Casa ».

J’imagine ma côte si cela se faisait. En parlant de cela, avez-vous vu cette vidéo où J.M. Le Clézio, monument parmi les monuments de la littérature, Prix Nobel, encense Driss Jaydane ? Il aurait pu citer des dizaines de noms et c’est notre Driss national qu’il a choisi, en rendant à son verbe un hommage appuyé. Sous d’autres cieux, cette simple mention aurait valu à notre auteur des couvertures de presse à n’en pas finir, des émissions spéciales et pourquoi pas un fauteuil à l’Académie du Royaume. Imaginez si le meilleur joueur de foot du monde faisait l’éloge d’un footballeur de talent. Tous les managers de clubs lui tomberaient dessus pour tenter de le récupérer et tout le monde trouverait cela normal.

Le Clézio, celui de « Gens des nuages », de « Désert » et de tous ces romans qui, chacun à sa façon, vous pénètrent et vous apportent ce petit quelque chose qui vous rend imperceptiblement meilleur, lui, a porté son regard sur Driss Jaydane. Tout simplement incroyable.

J’imagine dans quel état devait être notre auteur lorsqu’il a découvert cet hommage. Il a dû planer quelques jours et cela se justifie complètement. Quant à moi, j’attends avec impatience le prochain opus et de l’un et de l’autre.

Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.

Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète