«Ne dansez pas sur la blessure de vos frères» ! Voilà le message qui circule depuis plusieurs jours déjà. La 19e édition du festival Mawazine, qui démarre le 21 juin prochain après quatre années d’absence, semble pâtir d’un désenchantement populaire, même si l’état de la billetterie annonce le contraire. La guerre que mène Israël dans la bande de Gaza depuis le lendemain du 7 octobre 2023 pousse plusieurs Marocains à vouloir afficher leur mécontentement, tantôt par des marches de soutien, tantôt par le boycott. La chaîne mondiale de restauration Mc Donalds était, quelques semaines après le début du conflit, la cible d’un boycott, accusée de soutenir l’armée israélienne. Aujourd’hui, le festival de renommée internationale est dans le collimateur. Cet appel au boycott est-il justifié ?

À l’heure où le peuple palestinien est témoin d’horribles souffrances humaines et où nous voyons Gaza assiégée et privée de ses droits les plus élémentaires, des fêtes luxueuses ont lieu dans notre pays qui donnent une image déformée des Marocains et contribuent à occulter les souffrances de nos frères en Palestine. Aussi, au lieu de dépenser des millions de dollars pour organiser ce festival, il aurait été plus approprié de les consacrer à l’aide humanitaire à nos frères de Palestine.
–Extrait d’une pétition lancée le 29 mai 2024

Plus d’un mois avant le démarrage d’un des plus importants festivals au Maroc, les réseaux sociaux sont le théâtre d’une campagne appelant au boycott de l’évènement, voire son annulation. Des vidéos et des publications invitant les citoyens à laisser «les artistes chanter seuls» sont largement diffusées. Car l’heure n’est pas à la joie. «Dans nos coutumes sociales ancrées et profondes, nous nous abstenons de célébrer lorsqu’un de nos voisins meurt», écrit, par exemple, la militante des droits humains et chercheuse universitaire, Latifa Bouhssini, sur sa page Facebook.

Même son de cloche du côté de plusieurs autres internautes. «Nos frères meurent, et nous dansons … ». C’est, selon eux, une disgrâce que d’assister à pareilles festivités. Beaucoup y voient une preuve d’insensibilité ou encore de cœurs froids. Il y a près d’une semaine, lors d’une manifestation en soutien au peuple palestinien, le ton était clair : «Que te faut-il ô Palestine ? Que des festivités comme Mawazine ?». De nombreuses veillées ont été organisées par le Front marocain de soutien à la Palestine dans plusieurs villes, dont Meknès, Fès, Kénitra, Azemmour, Taroudant et Berkane.

 

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De son côté, le mouvement Attawhid wal Islah (Mouvement Unicité et Réforme, MUR) a publié un communiqué exprimant sa ferme condamnation de l’organisation du festival dans ce contexte de guerre. La branche prêcheuse du parti d’opposition Justice et Développement (PJD) qualifie Mawazine de «provocation inacceptable aux sentiments de millions de Marocains, d’atteinte aux liens fraternels maroco-palestiniens et d’indifférence aux sentiments humains des défenseurs des libertés dans le monde». La publication souligne que «le festival porte atteinte à l’image du peuple marocain qui organise des manifestations populaires continues pour exiger l’arrêt de la guerre à Gaza, la chute de la normalisation et l’ouverture de la voie au secours de nos frères à Gaza et en Palestine».

Récemment, c’est Abdelilah Benkirane qui a exprimé son opposition. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le secrétaire général du PJD a déclaré : «Israël ne combat pas seulement le mouvement de résistance Hamas, mais aussi le Maroc, étant donné que son roi est le président du Comité d’Al Qods». Pour le politique, le Royaume devrait renoncer à l’organisation de Mawazine, car il est inconcevable que ce festival ait lieu «alors que nous voyons nos frères souffrir de la guerre et manquent de nourriture et de médicaments».

Lire aussi : Pourquoi Benkirane veut faire annuler Mawazine ?

Mais en quoi le maintien (ou l’annulation) de ce festival peut-il rendre service à Gaza ? Car il est important de noter que ce ne sont pas toutes les manifestations artistiques qui sont pointées du doigt.

Une question d’argent ?

Cette contestation collective puise, en effet, ses motivations dans ce qui s’apparente à une «guerre d’extermination» menée par l’État hébreu contre le peuple palestinien. Plus que cela, la majorité de l’opinion populaire pense, à tort, que le festival est financé par l’argent du contribuable. «Au lieu de mettre de l’argent dans un évènement pareil, ne serait-il pas préférable de mettre cette importante enveloppe budgétaire au service des Palestiniens ?».

Cités par des médias arabes, certains critiques avancent qu’«un chanteur prendra ce que prennent les salaires de trois mille emplois. Où est la conscience humaine envers ceux qui sont sous les décombres ? Nous ne voulons pas faire l’éloge des martyrs». La page Instagram Boycott_Mawazine, qui a rassemblé en moins d’un mois d’existence près de 12.000 followers, explique, en ce sens, qu’il y a 35.386 raisons de boycotter le festival. Un chiffre loin d’être anodin et qui renvoie au nombre de Palestiniens morts à date sous les bombardements israéliens. «Sois musulman, il faut que tu boycottes. Sois humain, il faut que tu boycottes», écrivent les détenteurs de la page. Pour eux, nous, Marocains, partageons avec les martyrs la même religion, la même langue, voire pour certains, le même sang.

Cette campagne ira même jusqu’à atteindre les Palestiniens eux-mêmes qui, sous le stress des raids, ont décidé d’adresser un message aux Marocains : sur les réseaux sociaux, une vidéo largement relayée montre des dizaines de Palestiniens appelant au boycott du Festival. «Ne dansez pas sur nos blessures», appellent des Gazaouis qui se tiennent au milieu des décombres de leur ville.

Une longue histoire

Toutefois, très rapidement, l’on se retrouve à diverger de ces arguments pour passer à des arguments plus locaux. «Il y a plus de 2.960 raisons pour boycotter le festival». En cause, le séisme qui a frappé de plein fouet le pays, le 8 septembre 2023 et qui a fait le même nombre de morts. Mais au-delà des détresses dues aux guerres, aux catastrophes naturelles ou autres, les motivations pour boycotter le festival sont à trouver du côté de la vie quotidienne. Comment voulez-vous qu’un citoyen qui fait face, chaque jour un peu plus, à la cherté de la vie, et qui attend encore la concrétisation de cet État social, accepte de voir s’organiser des concerts où sont dépensés des milliards de dirhams ?

Car ce n’est pas la première année que Mawazine fait face à un tel type d’appel à boycott. Depuis ses débuts en 2001, ses opposants invoquent la corruption, la débauche et autres vices pour tenter de mettre fin au festival. En première ligne, le PJD qui en avait d’ailleurs fait son cheval de bataille lors des élections de 2011, promettant de le faire annuler. Sans succès.

Si nos cœurs saignent pour les 40.000 Palestiniens morts depuis le 8 octobre sous les bombes israéliennes, est-ce là une raison pour demander à l’État marocain de taire toute expression artistique ? Il serait dès lors incohérent d’exiger l’annulation d’une manifestation culturelle au détriment d’autres, sportives par exemple. Ne devrions-nous, dans cette logique, demander aux supporters de foot de ne pas célébrer la joie de voir leur équipe marquer un but ?

Un commentaire

  1. Ne faut il pas dans la même idée de ne plus monter sa joie au foot, ne plus célèbre de mariages dont le MUR en raffolent et surtout ne pas célébrer Aid Al Adha et envoyer l’argent des moutons aux palestiniens de Ghaza !!
    Ceux qui demandent l’annulation des festivités ont d’autres raisons plus sombres et les Palestiniens ne sont qu’un prétexte 🤔

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