Le roi Mohammed VI, accompagné de Fouzi Lekjaa, président de la Fédération royale marocaine de football et président du comité chargé de la candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA 2030. © DR
Après cinq candidatures uniques rejetées (1994, 1998, 2006, 2010 et 2026), le Royaume abritera pour la première fois cette grand-messe du football mondial. Idem pour le Portugal. L’Espagne, elle, a déjà accueilli la prestigieuse compétition en 1982. En 2030, cela fera 24 ans que le Mondial ne sera plus passé par le vieux continent, depuis la Coupe du Monde 2006 en Allemagne, et ce sera la seconde fois depuis 20 ans (Afrique du Sud en 2010) qu’un pays africain fera partie de son organisation. Mais ce sera surtout la première fois qu’une Coupe du Monde se tiendra sur trois continents.
Il y a tout juste un an, l’histoire était différente. Avec l’appui de l’Union des associations européennes de football (UEFA), l’Espagne et le Portugal avaient émis le souhait d’intégrer l’Ukraine à leur dossier, assurant vouloir lancer «un message de solidarité et d’espoir» et rendre hommage à «la ténacité et la résilience» d’un pays occupé par l’armée russe depuis février 2022. Cependant, cet attelage hautement politique ne s’était pas précisé depuis, et le Maroc avait intégré la valse mi-mars.
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Les trois pays sont, en effet, très proches géographiquement, entretiennent de bonnes relations diplomatiques, sont facilement accessibles, et réputés sûrs et stables politiquement. «Il y a des motifs géographiques et structurels. Les trois pays sont proches, les distances relativement courtes. Comme ils sont aussi très touristiques, ils sont très bien dotés au niveau du logement, des transports, de la santé. De plus, ils disposent de stades aux normes FIFA. Cela signifie que les investissements à faire pour organiser une Coupe du monde ne seront pas énormes. C’est tout le contraire pour la candidature adverse», explique Jean-Baptiste Guégan, consultant et auteur de «Géopolitique du sport», sur les colonnes du Monde.
Par ailleurs, pour «organiser une Coupe du monde à 48, les candidatures conjointes vont devenir la norme. Le Maroc ne pouvait pas y aller seul, l’Espagne et le Portugal non plus, ou alors avec moins de chances de gagner. Cette candidature est assez logique», fait observer l’auteur.
Jean-Baptiste Guégan considère le Royaume chérifien comme le meilleur exemple africain en matière de diplomatie sportive. En effet, le pays se montre particulièrement actif dans le football, le sport le plus populaire en Afrique. Pour cause : le budget du ministère marocain des Sports s’élève, en 2023, à environ 69 milliards de DH (MMDH). Une partie, dont le montant est tenu secret, est consacrée à la diplomatie sportive.
Une campagne bien étudiée
Quand bien même le dossier méditerranéen était, sur le papier, séduisant, le choix des pays organisateurs s’est surtout joué dans les coulisses. Car en face, la candidature regroupant l’Uruguay, l’Argentine, le Chili et le Paraguay est hautement symbolique. Ces quatre pays ont affiché le souhait de rendre hommage à la première édition de la compétition, qui s’est déroulée en Uruguay en 1930. Et, à l’image de Paris 2024, un siècle après les Jeux Olympiques de Paris 1924, le retour de la Coupe du monde en Amérique du Sud répondrait à une certaine logique.
Tout l’enjeu était donc de s’assurer d’un minimum de 104 voix sur les 207 éligibles (les candidats n’ayant pas droit au vote). Le poids du Maroc en Afrique est réel et le soutien officiel de la CAF laissait supposer que les 53 fédérations voteraient pour cette candidature. De son côté, l’UEFA compte 55 fédérations (dont la Russie, actuellement suspendue), les prévisions les plus raisonnables allaient en faveur de la candidature euro-africaine. Cette association avec le Maroc a également beaucoup plu au sein de l’instance européenne. «Ça permet de nous rapprocher de l’Afrique», avait commenté un membre du Comex de l’UEFA.
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Cependant, Gianni Infantino, président de la FIFA, est en très mauvais termes avec l’institution européenne. Il entretient en revanche d’excellentes relations avec la confédération sud-américaine, qui l’a officiellement soutenu lors de sa réélection en mars à Kigali. L’Italo-Suisse voyait d’un bon œil que le Mondial, pour son centenaire, retrouve ses terres d’origine. Il l’avait d’ailleurs déclaré en 2016 lors de sa première campagne pour l’élection. Ces derniers jours, le journal espagnol Marca notait un regain de vigueur pour la candidature sud-américaine. Au sein de la Confédération sud-américaine (Conmebol), une confiance émergeait, en effet, dans le potentiel nostalgique lié au centenaire.
C’est ici que la diplomatie marocaine a joué ses cartes. En août dernier, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, accompagné de Fouzi Lekjaa, président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) et président du comité chargé de la candidature du Maroc, a effectué une série de voyages dans le Golfe. Les deux hauts responsables avaient remis des lettres du roi Mohammed VI aux dirigeants de la région dans le but de renforcer les liens politiques avec les différents pays et de rallier des soutiens à ladite candidature. Mis à part le Qatar, qui a très tôt affiché son soutien au Royaume, le doute planait sur les intentions de vote du Bahreïn, de la Jordanie, du Koweït, des Émirats arabes unis, de l’Irak et de l’Arabie saoudite (cette dernière ayant retiré sa candidature en juin dernier). Ces derniers avaient choisi de soutenir la candidature nord-américaine au Mondial 2026.
Des mots qui résonnent
Tout a commencé en 2008, le ministère de la Jeunesse et des Sports, alors sous la conduite de Nawal Moutawakil, avait organisé les premières Assises nationales du sport pour redonner au domaine son éclat d’antan. Le chef de gouvernement à l’époque, Abbas El Fassi, le président du Comité national olympique marocain, Housni Benslimane, et tout un parterre de dirigeants, de techniciens et d’hommes de médias, pourtant conscients du déclin du sport national, allaient se heurter à la lettre royale. Le ton de cette dernière, ferme et franc, pointait du doigt «une crise structurelle majeure» qui résonnera dans les esprits.
«On ne saurait atteindre l’objectif de promouvoir le sport, qu’en dépassant les dysfonctionnements qui le pénalisent. Ces entraves vont, en effet, à l’encontre des nobles objectifs qui y président et du rôle essentiel qui lui échoit pour l’ancrage des valeurs de patriotisme et de citoyenneté digne et pour l’édification d’une société démocratique, moderne et saine. Parmi les manifestations les plus criantes de ces dysfonctionnements dans le paysage sportif, l’on observe que le sport est en train de s’enliser dans l’improvisation et le pourrissement, et qu’il est soumis par des intrus à une exploitation honteuse pour des raisons bassement mercantilistes ou égoïstes», notait le message royal.
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Ce lent dépérissement de la chose sportive, dont le Souverain a pris l’exacte mesure, devait changer à tout prix. Pour cause, il rappelait ce que «le sport – toutes disciplines confondues – représente pour les Marocains et à quel point il est enraciné dans leur identité collective».
Depuis, le pays s’est investi dans le développement de l’instrument sportif, au-delà des valeurs universelles qu’il inculque. Il l’a exploité comme outil de promotion et de médiation, capable de placer le Maroc dans les instances de diverses institutions sportives continentales et internationales. Les dirigeants ont ainsi décidé d’investir le calendrier annuel de toutes les manifestations sportives mondiales. Pour ce faire, ils ont renforcé la visibilité du Royaume au sein des instances sportives internationales. Bien qu’à certains égards, le rapport annuel de la Cour des comptes pour l’année 2019-2020 a conclu à un échec quasi total de la stratégie nationale du sport établie en 2008.
Un rayonnement au-delà du sport
À l’opposé du «Hard Power», dans la mesure où l’étalage de la puissance militaire fait peur et peut provoquer des rejets, «le sport, lui, rend la puissance sympathique et populaire», expliquait en 2016, Pascal Boniface dans la revue de géopolitique, Conflits. Le sport apparaît, dès lors, comme la vitrine de projection de l’image du Maroc en Afrique et dans le monde. Il «deviendrait une ressource capable de susciter de l’attractivité et un capital sympathie dans l’échiquier mondial des influences géopolitiques», écrit le géographe Mourad El-Bouanani. Aujourd’hui, le Royaume est classé dans le top 3 africain (55e mondial) en termes d’influence, fruit d’une vision multidimensionnelle engagée depuis longtemps.
Les premières années du règne de Mohammed VI ont clairement tracé la voie pour l’impulsion économique du pays, notamment en confirmant la candidature du Maroc pour l’organisation de la Coupe du Monde 2006. Confiée à Driss Benhima, ex-ministre et ancien wali de Casablanca, la troisième candidature a été plus professionnelle en matière d’organisation et de communication. Elle n’était toutefois pas encore solide face aux candidatures des pays concurrents que sont l’Angleterre, l’Allemagne et l’Afrique du Sud. Le Maroc réalise alors le pire score de son histoire avec 2 voix seulement contre 12 pour l’Allemagne, désignée pays hôte, et 11 voix pour l’Afrique du Sud.
La visibilité du Maroc a augmenté de 277% dans les médias et les messages sur les réseaux sociaux concernant le Maroc ont augmenté de 764%une étude du cabinet Carma, basé aux Émirats arabes unis
Quelques années plus tard, le tour du continent africain était venu d’abriter le tournoi planétaire. Le dossier marocain était porté par l’homme d’affaires, Saad Kettani. Mais malgré son expérience et le soutien de nombreux pays africains et arabes, le Maroc perd contre l’Afrique du Sud qui a obtenu 14 voix contre 10 pour le Royaume.
Depuis, la FRMF a multiplié ses partenariats. L’institution a, en effet, signé 45 conventions avec des fédérations africaines. L’impact de celles-ci a été tel que la majorité a été reconduite en 2019. Par ailleurs, le pays s’est également engagé sur la voie de la modernisation des installations existantes et la réalisation de nouvelles infrastructures footballistiques conformément aux normes internationales. En témoigne la construction en 2009 de l’Académie Mohammed VI de football. Il s’agit d’une véritable locomotive en matière de formation footballistique de qualité.
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Quatre joueurs y étant formés ont d’ailleurs fait partie de l’équipe nationale A durant le Mondial du Qatar, dans lequel les Lions de l’Atlas ont fait un parcours exceptionnel. Ils ont fait rêver toute une génération par-delà des frontières. Une performance qui a également valu au Royaume une amélioration de sa perception globale au-delà du sport. Selon une étude du cabinet Carma, basé aux Émirats arabes unis, «La visibilité du Maroc a augmenté de 277% dans les médias et les messages sur les réseaux sociaux concernant le Maroc ont augmenté de 764% (un total de 12,1 millions de messages). Plus de 279.000 articles et publications ont été publiés autour de la participation du Maroc à la Coupe du monde. Les recherches sur Google concernant le Maroc ont augmenté de 273 % après le tournoi et les visites de pages Wikipédia sur le pays ont augmenté de 453 %».
L’Homme fort du football
Force est de constater, tout jugement mis de côté, que les multiples réussites marocaines dans la chose sportive vont de pair avec la présence d’une personne particulière dans l’échiquier. Élu à la tête de la FRMF le 13 avril 2014, Fouzi Lekjaa a su remettre le pays «dans le concert des grandes nations». En juillet 2017, il a été élu au comité exécutif de la CAF, après le retrait de la candidature du président de la Fédération algérienne, Kheirddine Zetchi. Depuis mars 2021, il occupe le poste de vice-président de la CAF et dirige jusqu’à présent la Commission de budget de l’instance africaine. Et, en avril 2022, le président de la CAF le nomme pour rejoindre le groupe de travail des commissions de normalisation de la FIFA.
Le premier résultat de ce soft power marocain s’est traduit au mois de mars 2021, lors de la 43ᵉ assemblée générale ordinaire et élective de la CAF, quand Lekjaa a présenté un amendement aux statuts de la CAF, approuvé à l’unanimité, stipulant que seuls les représentants des pays indépendants et membres de l’ONU sont admis au sein de la CAF.
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Après cela, le Maroc s’était porté, une cinquième fois, candidat à l’organisation du Mondial 2026. Il avait présenté un dossier solide face au trio qu’avaient constitué les États-Unis, le Canada et le Mexique. Mais ses adversaires, qui avaient obtenu une large majorité des votes africains et le soutien à peine dissimulé de Gianni Infantino, étaient trop puissants.
Je ne serais pas étonné qu’à moyen terme, il soit candidat à l’organisation des Jeux Olympiques d’étéJean-Baptiste Guégan, consultant et auteur de «Géopolitique du sport»
«Ce n’est pourtant pas une défaite pour le Maroc. Il a en effet prouvé qu’il pouvait rivaliser avec trois pays bien plus riches que lui, et on a parlé de sa candidature dans le monde entier. Il apparaît comme un prétendant sérieux, doté d’arguments de poids. Pour son image, c’est essentiel. Il agit avec intelligence et sans dépenser des sommes extravagantes», note Jean-Baptiste Guégan.
Aujourd’hui, le pays peut se féliciter des acquis qui l’ont mené à décrocher l’organisation, avec Madrid et Lisbonne, de l’événement footballistique le plus prisé. Et, avec «sa diplomatie sportive et son image de sérieux», le Maroc peut désormais prétendre à plus. «Je ne serais pas étonné qu’à moyen terme, il soit candidat à l’organisation des Jeux Olympiques d’été», conclut Jean-Baptiste Guégan.
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