Causeries hassaniennes : pour un réveil des consciences et une moralisation de la société
Vendredi 15 mars 2024, au quatrième jour du Ramadan 1445 H, le roi Mohammed VI préside la première causerie religieuse du mois. À ses côtés, le prince héritier Moulay El Hassan, le prince Moulay Rachid et le prince Moulay Ismail. En face de lui, assis sur une tribune plus haute que l’audience, et par là même, le Monarque, Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, anime, comme à l’accoutumée, cette leçon inaugurale.
Initiée par Feu le roi Hassan II, cette tradition séculaire a été perpétuée sous le règne du roi Mohammed VI, qui a fait le choix de conserver la même appellation en hommage à son défunt père. Cette transmission de père en fils reflète la pérennité et la profondeur du legs religieux et intellectuel du Royaume, dans le respect du rite malékite prédominant au Maroc. Imarat al-Mouminine (traduisez, Commanderie des croyants) constitue une particularité historique. Daoud Grill, professeur à l’Université Aix-en-Provence en France, a partagé, sur les colonnes de Maroc Diplomatique, son admiration envers l’unicité des anciennes traditions et racines de cette institution, en disant «nous trouvons rarement un pays musulman doté de telles coutumes et de telles racines».
Et, ce forum d’échange revêt bien plus que de simples aspects spirituels et religieux ; c’est une plateforme où sont discutées des questions qui préoccupent l’humanité, parfois dans des contextes globaux tendus. En témoigne, l’ouverture des causeries aux érudits, spécialistes internationaux de la pensée islamique originaires de pays même non-musulmans.
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C’était le cas particulièrement à une époque où les tensions de la Guerre froide dominaient. Des figures emblématiques telles que le Cheikh égyptien Mohammed Metwali Al-Shaarawi, le leader libanais Moussa Assadr, et des érudits de l’Orient et d’Afrique, ont contribué à la profondeur de ces dialogues, apportant librement leur expertise sur des thématiques choisies.
Car la religion musulmane, par son livre sacré et sa doctrine, offre bien plus qu’un manuel de conduite individuelle. Elle est source de droit et la vision d’une communauté en harmonie. Prônant l’apprentissage et la quête incessante de la connaissance comme modus operandi, l’Islam n’oppose en aucun cas la raison à la foi. Et c’est pour cette raison même que les causeries hassaniennes peuvent couvrir autant de sujets qu’il existe de thématiques sociales dans ce monde en évolution.
Acte 1. «Dieu envoie à la communauté tous les cent ans quelqu’un qui lui renouvelle sa religion»
C’est par la thématique d’«Imarat Al Mouminine» que le ministre des Habous et des Affaires islamiques a inauguré la première leçon hassanienne. Première thématique pour l’année 1445 : «Le renouveau de la religion dans le système d’Imarat Al Mouminine». Saluant le travail de longue haleine accompli par cette institution dans tous les domaines, y compris dans le champ religieux, le ministre a relevé l’impératif du renouveau. Car la société se doit d’être accompagnée par une institution en phase avec ses mutations. C’est là tout le travail auquel s’attèle la Commanderie des croyants depuis plus de deux décennies.
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Selon Ahmed Toufiq, celui-ci reposerait sur trois principes : le renouveau du champ religieux tel que défini par les musulmans à travers l’Histoire, son application dans le cadre de l’institution royale, et ses perspectives à l’échelle nationale. Et de noter l’influence que devraient pouvoir porter d’autres acteurs sur le plan national. Ces derniers n’auraient toutefois pas su accomplir les résultats escomptés. «Leur discours n’a pas toujours fourni les réponses attendues».
Le ministre des Habous a mis l’accent sur une constante clé que la Commanderie œuvre à préserver : en tant que dépositaire de l’acte d’allégeance, «Amir Al Mouminine doit veiller à garantir la dignité des gens et des libertés publiques», a-t-il relevé. Dans ce contexte-là, nous citons principalement l’exemple du Code de la famille auquel le Souverain prête une attention particulière. Car c’est en tant que Commandeur des croyants, rappelons-le, que le roi Mohammed VI est intervenu pour statuer sur les débats houleux qui ont animé la première réforme de 2003.
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Outre la question familiale, la place qu’occupe la femme marocaine au sein de la société a, depuis le début de son règne, revêtu d’une importance capitale pour le Monarque. En témoigne d’ailleurs et dans la thématique que nous abordons, l’ouverture, dès 2003, des leçons hassaniennes aux femmes. La juriste Rajaa Naji Mekkaoui avait, alors, été invitée à livrer la quintessence d’une étude comparative sur la conception de la famille entre les sciences sociales modernes et la loi coranique, devenant ainsi la première femme à animer une causerie hassanienne. D’autres la suivront.
La Commanderie des croyants, responsable de la Oumma
Les semaines passant, les causeries religieuses qui ont suivi l’inaugurale abordent chacune une thématique particulière à la discrétion de l’érudit. Le vice-président de l’université islamique Darul Huda en Inde, Bahaudheen Muhammed Nadwi, animera la seconde leçon sous le thème «L’importance de la prédication religieuse et la place des prédicateurs». Moustapha Al Bahyaoui, professeur de chaire d’exégèse, traitera, pour la troisième causerie de «La proposition de la responsabilité entre le pacte de la nature originelle et la plénitude de la législation». Le membre du Conseil marocain des oulémas pour l’Europe, El Khammar El Bakkali, suivra avec «Les fondements légaux pour la construction de modes de coexistence humaine». Enfin, Ousmane Kane, professeur de la pensée islamique à l’université Harvard aux États-Unis, discutera «Les relations culturelles et intellectuelles entre l’Afrique Subsaharienne et le Grand Maghreb». Au total, ce sont cinq leçons qui ont été animées entre Rabat et Casablanca, avant cette nuit bénie du destin.
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«Toutes ces leçons convergent vers un même message», analyse Bilal Talidi, doctorant chercheur spécialiste des discours religieux et des mouvements islamiques dans le monde arabo-musulman. «Il s’agit des rôles que joue la Commanderie des croyants en tant qu’institution responsable de la Oumma et des relations que celle-ci entretient avec les pays musulmans, mais aussi les autres religions», poursuit notre interlocuteur. Qu’il s’agisse de l’Occident, de l’Afrique ou de l’Asie, la Commanderie des croyants puise dans le principe de la nature originelle de l’Homme (fitra) commune à toutes les religions comme motivation de création et de maintien des relations avec les tierces religions.
À cet égard-là, il est de noter que la seconde leçon hassanienne, dispensée par un érudit de nationalité indienne, illustre parfaitement cette ambition de l’institution. Le conflit qui oppose l’Inde à une faction musulmane est connu et dure depuis déjà des décennies. La responsabilité spirituelle et intellectuelle envers la Oumma, ce concept qui transcende l’État-nation, donne la légitimité à la Commanderie des croyants, en tant qu’institution à l’origine des leçons hassaniennes, d’aborder ces questionnements centraux. «C’est le principe de dépôt (amana)», explique le spécialiste. «Imarate al Mouminine est en effet dépositaire de la Oumma. C’est dans ce sens qu’un des messages qui se dégagent des leçons de cette année est l’unicité de la communauté musulmane sous la Commanderie des croyants, freinant ainsi l’expansion des courants extrémistes», continue de nous expliquer notre interlocuteur.
La religion, poussant de tout temps les Oulémas à l’effort de réflexion (al ijtihad), tout l’intérêt des leçons hassaniennes découle donc de cette quête de la connaissance. «Et cette année, une chose assez intéressante est à remarquer», nous dit Bilal Talidi. «C’est la première fois qu’un ministre des Habous et des Affaires islamiques déroge de ses prérogatives pour discuter de sujets qui sont généralement du ressort des oulémas. Il s’agit des intérêts bancaires», révèle l’expert. En effet, le ministre a déroulé les usages qui se pratiquaient par le passé pour arriver à la conclusion que ceux-ci ne sont pas interdits au vu de l’évolution qu’a connu notre monde.
Serait-ce là un message clair aux acteurs qui participent au débat sur la non-conformité à la charia des établissements bancaires traditionnels, que ceux-ci sont tout autant acceptables que les banques participatives ? Affaire à suivre…