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«Si cette intervention est opérée, elle sera la première dans l’histoire de Bank Al-Maghrib», avait dit Abdellatif Jouahri, wali de la banque centrale, lors du traditionnel point de presse à l’issue de la 4e et dernière réunion trimestrielle du Conseil de BAM. C’était le 20 décembre 2022. Jouahri avait alors lâché aux journalistes que la banque centrale peut intervenir sur le marché obligataire des bons du Trésor (BDT) à tout moment si elle l’estime nécessaire et que ses statuts permettent ces interventions. Avec son franc-parler habituel, Jouahri a même précisé que dans le mécanisme d’intervention de BAM, le traitement comptable et les détails de ces opérations ont été verrouillés. C’est dire que tout était planifié pour que BAM rachète les dettes de l’État. Trois semaines plus tard, le 9 janvier 2023, la banque centrale est passée à l’acte.
Revigorer la demande en bons du trésor
C’est une véritable opération de sauvetage opérée depuis le lundi 9 janvier par la banque centrale. Cette dernière a effectué ce qu’elle a qualifié d’«opération structurelle d’achat de bons du Trésor sur le marché secondaire auprès des banques contreparties aux opérations de politique monétaire».
L’appel d’offres a enregistré une demande globale de près de 15 milliards de DH, totalement satisfaite par BAM. La maturité moyenne des BDT achetés par la banque centrale s’est établie à 6,5 mois et le taux de rendement moyen s’est élevé à 3,34%. Depuis, tous les lundis, un appel d’offres est organisé. La demande se confirme contrairement au faible intérêt pour les séances des adjudications organisées chaque mardi par le Trésor, réservées aux investisseurs qualifiés (banques, assurances, organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), etc).
Le lundi 16 janvier, la demande atteint 1,3 milliard de DH et 200 millions de DH (MDH) le lundi 23 janvier. L’encours global s’établit à 16,4 MMDH en attendant le prochain appel d’offres prévu le lundi 30 janvier. La banque centrale assure qu’elle va continuer à organiser des appels d’offres tous les lundis tant qu’il y aura de la demande. BAM a convenu avec les banques que les montants injectés à travers cette opération soient réinjectés dans les adjudications hebdomadaires du Trésor.
Lors d’une rencontre avec les médias organisée le 19 janvier, Younes Issami, directeur des Opérations monétaires et de change à BAM, a souligné que cette opération d’«Open Market» permet de ramener la demande et générer de la liquidité, et ne compromet ni l’indépendance de la banque centrale ni la conduite de sa politique monétaire. «Plusieurs journaux ou sites électroniques ont fait le parallèle avec les programmes d’assouplissement quantitatif adoptés par plusieurs banques centrales dans les pays développés (…) pour répondre à une situation de déflation où les taux directeurs ont atteint leur niveau plancher (…) en achetant différents actifs (bons du Trésor, les obligations émises par les entreprises privées…)», a-t-il avancé, écartant toute similitude avec les interventions de BAM. Contrairement aux mesures non conventionnelles utilisées par la banques centrales étrangères, les opérations d’Open Market réalisées ces derniers jours par BAM «sont neutres», a indiqué pour sa part Mohamed Souhail, responsable à la direction des opérations monétaires et de change de BAM. Souhail a tenu à préciser que l’objectif de la banque centrale est de rétablir la demande sur les BDT.
Mais si cette opération vise à encourager la demande sur le BDT dans un marché secondaire ouvert à tous les investisseurs, il n’en demeure pas moins qu’il y a d’autres objectifs escomptés (cf. interview du Pr Azirar). «Le rachat est fait pour essayer d’atténuer la crainte des investisseurs quant à l’augmentation éventuelle du taux directeur et aussi pour permettre à l’État de financer son déficit budgétaire vu que les banques n’achètent plus de bons du Trésor émis chaque mardi pour raison de liquidité. C’est aussi en raison de l’arrivée de certaines banques au niveau maximal de détention de bons du Trésor», soutient l’analyste économique Youssef Ennaciri.
Il faut dire que l’appétit des investisseurs est porté sur les maturités de court terme (99% des échanges). Du 19 au 25 janvier, la volumétrie globale enregistrée sur le marché secondaire a baissé à 8,2 MMDH.
Pas question d’intervenir sur le marché primaire
Si Jouahri écarte toute intervention de la banque centrale sur le marché primaire des bons du Trésor, il entend aller au bout de l’exercice sur le marché secondaire pour le fluidifier et par ricochet détendre les tensions sur le marché primaire. Il est important que le Trésor finance son déficit budgétaire à travers les nouvelles obligations émises par l’État. La dernière note « Fixed income weekly » de BMCE Capital Global Research (BKGR) nous apprend que le Trésor a procédé à une levée sur les lignes 13 semaines et 52 semaines pour des montants respectifs de 1 MMDH et 3,95 MMDH aux taux limites de 3,0400% et 3,5990%, induisant une baisse des taux primaires à court terme et une stabilisation sur le moyen terme. Ceci étant, BKGR relève toutefois la persistance des pressions sur les besoins du Trésor, levant durant ce mois, plus que les 33 MMDH initialement annoncés. «La dernière séance d’adjudication reflète l’appétence des investisseurs pour les lignes monétaires dans l’attente de la prochaine décision de la Banque Centrale relative au taux directeur», peut-on lire sur le document.
Le wali de la banque centrale entend aussi freiner toute hausse des taux des crédits bancaires en injectant de la liquidité. Mais en réalité, selon Ennaciri, l’année 2023 se présente un peu difficile d’un point de vue financement de l’économie. L’expert ne manque pas de lister un certain nombre de facteurs :
- un taux d’inflation locale et importé qui va persister autour de 8%, ce qui empêchera la circulation d’un volume de liquide important ;
- la surélévation du taux directeur qui rendra l’emprunt inaccessible pour plusieurs secteurs notamment ceux du Bâtiment et des travaux publics (BTP) et l’agriculture ainsi que l’agro-industrie ;
- la crainte de la dévaluation du Dirham rendra les secteurs exportateurs aussi prudents.
«Les taux bancaires sont bien sûr revus à la hausse. Cette tendance haussière depuis fin 2020 est accentuée après l’augmentation du taux directeur de BAM à 2,5%. Seuls les grandes entreprises et les crédits immobiliers ont été épargnés par cette hausse, mais aucune garantie que ce privilège durera durant 2023 ; notamment dans le secteur immobilier. Rappelons-nous la sortie virulente de Monsieur Jouahri quand il a mis en garde les banques sur cette hausse des taux à contre-courant de la politique monétaire de BAM», juge Youssef Ennaciri, également expert entrepreneuriat et ex-vice-président du Centre des jeunes dirigeants (CJD).
Vers une nouvelle hausse du taux directeur ?
Faudrait-il voir dans cette intervention de BAM une anticipation sur une perte de confiance des investisseurs en l’État marocain ? Interrogé à ce sujet, Ennaciri estime que «la confiance des investisseurs sera atteinte de précaution par crainte de dévaluation du Dirham et du l’augmentation du taux directeur de 0,25 point ou 0,5 encore pour contrecarrer l’inflation». Il faut dire que tous les investisseurs attendent la prochaine décision de la banque centrale relative au taux directeur, d’où l’engouement pour les maturités de court terme. Par manque de visibilité, les investisseurs ne s’aventurent plus sur le long terme. Quoi qu’il en soit, les autorités monétaires pourraient suivre les recommandations du Fonds monétaire international (FMI), même si Jouahri clame haut et fort que le Maroc se subit pas le diktat des institutions internationales.
Dans son rapport annuel sur le Maroc au titre de l’article IV, publié le 24 janvier 2023, l’institution de Bretton Woods ne tarit pas d’éloges envers le Maroc et le félicite par rapport au resserrement de la politique monétaire en 2022. Le FMI soutient clairement de nouvelles hausses du taux directeur pour juguler l’inflation. Pour les administrateurs du FMI, des relèvements supplémentaires du taux directeur permettraient de contenir les pressions inflationnistes. À côté de cela, ils préconisent la transition vers un cadre de ciblage de l’inflation.
Ces interventions exceptionnelles de la banque centrale ont permis de lever le voile sur le fonctionnement du marché secondaire dont l’apport est indéniable dans l’environnement économique global. Cependant, les experts continuent de déplorer l’opacité qui entoure ce marché. BAM doit réguler ce marché des BDT, dans la limite de ce que lui permettent ses statuts, pour permettre au Trésor de se financer normalement et offrir de la liquidité et de la confiance aux investisseurs.
5 questions au Professeur Ahmed Azirar, fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprise
LeBrief : L’opération organisée par Bank Al-Maghrib est inédite. Quelle est sa finalité ?
Ahmed Azirar : Les maturités concernées sont courtes, 6 mois, et le taux est 3,7%. Ce qui est un taux supérieur au taux directeur actuel. Le marché a été preneur. L’opération est certes inédite mais pas incompréhensible. C’est ce qu’on appelle l’open-market, qui est un autre instrument de politique monétaire que BAM utilise. Le taux d’intérêt réel étant inintéressant vu l’inflation (crainte que les obligations d’aujourd’hui seront moins rémunérées que celles de demain), les banques ont du mal à investir en BDT surtout que leur portefeuille est déjà bien garni et que les liquidités manquent.
Concrètement, le rachat des BDT sur le marché secondaire a pour but de ramener la demande sur ce marché et de le redynamiser. BAM a constaté que le secteur bancaire a atteint ses limites en termes de détention de bons du Trésor, se traduisant par une stagnation de la demande. C’est donc pour relancer les transactions que la Banque centrale a recouru à une telle opération.
Certes, elle a suscité des questionnements vu son timing en période de persistance de l’inflation et de relèvement par BAM de son taux directeur, justement pour contrecarrer la hausse des prix. Certains ont même pensé que c’est un financement indirect du Trésor par BAM. Ce n’est pas le cas.
LeBrief : Qu’est-ce qui distingue alors ces opérations de BAM de celles du Trésor qui émet les BDT par adjudication tous les mardis ?
Ahmed Azirar : Le Trésor émet traditionnellement des BDT pour faire face a ses besoins de financement, et ce sont les banques qui les achètent. Le Maroc a préféré depuis des années le financement intérieur a la dette extérieure. Or, si ces banques n’ont plus de liquidités, ou que la rentabilité n’est pas suffisante, BAM peut par l’open market, racheter des BDT sur le marché secondaire pour redonner à ces banques les possibilités d’acheter à nouveau. BAM est dans son rôle de régulateur et de dynamiseur du marché.
LeBrief : Est-ce que l’intervention de BAM est semblable à celle de la BCE qui rachetait des titres de dette ?
Ahmed Azirar : Absolument pas. Ce sont deux contextes différents. La BCE ou la FED ont fait ce qu’on appelle du « Quantitative easing », assouplissement quantitatif, c’est-à-dire une injection de liquidités fraiches dans le marché lorsque ce marché en manquait. Alors que la dernière opération de BAM est une action pour remettre les banques sur le pas de marche en les soulageant d’une partie des BDT qu’elles détiennent déjà. Dans ce dernier cas, c’est juste un remplacement d’un montant de BDT anciens par de nouveaux. Ce n’est pas une injection de liquidités supplémentaires. Autrement ce serait contradictoire avec la politique menée de lutte contre l’inflation.
LeBrief : Faudrait-il voir dans cette intervention de BAM une anticipation sur une perte de confiance des investisseurs en l’État marocain ?
Ahmed Azirar : Si vous préférez. Toute la politique économique en général vise a créer les conditions du bon fonctionnement des marchés pour qu’il n’y ait pas de perte de confiance. Dans le cas d’espèce, les banques étaient en fait en position d’attente. Car il y a des supputations de nouvelles hausses du taux directeur. Face a cela, il fallait les intéresser. Et puis, les autorités s’apprêtent a émettre des BDT à taux variable.
LeBrief : Comment se présente cette année 2023 en termes de liquidités et de financement de l’économie marocaine ?
Ahmed Azirar : Les besoins de l’économie en liquidités sont en hausse, car l’argent liquide qui est sorti en masse sous covid n’est pas encore retourner dans le circuit bancaire. En plus, il y a des opérations d’envergure à financer comme la généralisation de la couverture sociale et les investissements de relance. Côté offre, les transferts des MRE, les IDE et les recettes fiscales restent dynamiques en plus de la reprise du tourisme et… de la pluie. Il y a certes un resserrement des conditions du crédit, mais il ne risque pas d’y avoir d’impasse. Il faut bien entendu gérer serré, l’objectif prioritaire restant la lutte contre l’inflation.
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