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Lancée en 2004, la Politique européenne de voisinage (PEV) s’est imposée comme le cadre régissant les interactions de l’Union européenne avec ses voisins. Cette politique a été initiée dans un contexte de stabilité et de paix relative, coïncidant avec l’élargissement de l’UE, souvent appelé le «Big Bang» de 2004. Toutefois, la PEV a rapidement été confrontée à une série de défis, allant des conflits et crises à des guerres, plus que tout autre cadre politique de l’UE à travers le temps et différents secteurs politiques.
Vingt ans après, le sondage EuroMeSCo révèle une désillusion généralisée quant à l’efficacité de la PEV, notamment dans les domaines prioritaires de coopération avec le voisinage méridional de l’UE. Cette désillusion est doublée d’un sentiment d’urgence à réformer la PEV, que ce soit par une nouvelle révision ou une refonte totale du cadre politique.
Dans un contexte de chocs géopolitiques et géoéconomiques, résultant de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine, et de la rivalité sino-américaine, une modification des paradigmes internationaux est observée. La globalisation libérale et son interdépendance sont de plus en plus remises en question au profit de pratiques néo-protectionnistes et interventionnistes. L’économie politique mondiale semble être redéfinie autour de concepts flous et imprécis tels que la souveraineté, la sécurité économique, l’autonomie énergétique et l’autonomie stratégique.
L’UE redéfinit ses priorités économiques et sécuritaires
Le néo-protectionnisme, l’interventionnisme, et l’extraterritorialité normative ou judiciaire caractérisent désormais une nouvelle ère où la priorité n’est plus donnée aux marchés ouverts, mais à des enjeux jugés plus importants comme la sécurité économique, l’autonomie énergétique, la résilience des chaînes d’approvisionnement, ou encore la suprématie technologique.
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Dans ce contexte, l’Union européenne, préoccupée par sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine et par la politique commerciale des États-Unis, a adopté dès 2022 une série de mesures qui impacteront indirectement ses partenaires méditerranéens : la taxe carbone, la loi anti-déforestation, des règles contre les subventions étrangères, l’instrument anti-coercition, le plan industriel du Pacte Vert, et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises pour une opération juste et durable tout au long de leur chaîne de valeur. Ces mesures révèlent l’importance souvent sous-estimée du poids juridique et des normes dans la politique commerciale européenne, faisant de l’UE une force normative et juridictionnelle dont certaines décisions pourraient nuire aux intérêts de pays tiers.
Trois tendances clés redéfinissent les relations entre l’UE et ses partenaires méditerranéens
Trois grandes tendances émergent face à la nouvelle dynamique des relations entre l’UE et ses partenaires méditerranéens. Premièrement, la réorientation stratégique de l’UE entraîne une adaptation des stratégies de négociations multilatérales, des accords commerciaux bilatéraux, et des mesures commerciales unilatérales. Un nouveau consensus économique-politique doit être trouvé tout en préservant l’interdépendance économique.
Selon l’enquête EuroMeSCo, 54% des marocains apprécient la contribution de la PEV à l’intégration économique, et toute reprise des négociations pour un accord de libre-échange complet et approfondi avec le Maroc devra prendre en compte les nouvelles réglementations européennes, les priorités économiques marocaines, et l’extraterritorialité judiciaire européenne. Deuxièmement, les futurs accords devront s’aligner avec les évolutions économiques nationales pour influencer positivement le tissu productif et le secteur socio-économique marocains, tout en considérant les implications des décisions judiciaires européennes sur la territorialité des accords concernant les provinces du Sahara.
Enfin, la globalisation des accords avec l’UE englobe désormais des enjeux politiques tels que la migration. Les accords récents avec la Tunisie, la Mauritanie, et l’Égypte montrent que si ces négociations offrent un levier important, elles risquent aussi d’imposer une conditionnalité sévère, limitant la capacité de négociation des partenaires en liant les paiements financiers au respect des engagements de contrôle migratoire, ce qui soulève des inquiétudes quant à l’équilibre entre intérêts commerciaux et aide financière.
Enjeux géopolitiques et défis de sécurité
La Méditerranée, traditionnellement vue comme une région stable avec la rive Sud perçue comme la principale source d’instabilité, fait face à une redéfinition de ses relations bilatérales, exacerbée par des menaces géopolitiques multisectorielles et évolutives. L’escalade du conflit en Ukraine et les tensions entre la Russie et les pays occidentaux, amplifiées par la rivalité sino-américaine, placent la Méditerranée au cœur d’une lutte d’influence globale. Ce contexte a réinstauré la Méditerranée comme un théâtre stratégique essentiel pour les relations de pouvoir entre l’OTAN et la Russie, rendant la dynamique régionale imprévisible et complexe.
Sur la rive Sud, l’absence d’un système de gouvernance de la sécurité collective efficace laisse place à des facteurs de crises asymétriques, avec des zones déstabilisées notamment en Libye et au Sahel. Ces régions servent de corridor pour des réseaux prospérant sur la vulnérabilité, étendant leur influence de la Méditerranée à l’Atlantique. Cette instabilité ne se limite plus aux frontières régionales mais s’étend à d’autres zones périphériques en Afrique, amplifiant la menace terroriste qui a désormais un impact continental, comme en témoignent les attaques en Europe.
En parallèle, la reprise des flux migratoires post-Covid-19, stimulée par des défis démographiques et économiques, accentue la pression sécuritaire tant en Afrique du Nord qu’en Europe. Les politiques européennes actuelles, focalisées sur les symptômes de la migration plutôt que ses causes, exacerbent la fuite des cerveaux, privant la rive Sud de ressources importantes pour son développement économique.
Il devient impératif de développer un nouveau paradigme politique qui tienne compte de ces dynamiques complexes. Les résultats de l’enquête EuroMeSCo révèlent que 69% des marocains estiment que les défis actuels dépassent les capacités des mécanismes de coopération régionaux, soulignant la nécessité d’une approche renouvelée et plus efficace pour adresser les multiples facettes de l’instabilité méditerranéenne.
Les puissances émergentes redéfinissent la régulation méditerranéenne
Depuis 1990, la régulation de la Méditerranée, assurée par la coopération et le contrôle de la violence, a été et reste dominée par l’Occident. Cependant, la tectonique des plaques géopolitiques a permis l’émergence de nouvelles puissances qui remettent en question la prééminence européenne et américaine dans la région :
- La Russie a renforcé sa présence en Méditerranée orientale et l’ascension de la Chine affecte l’ensemble de la région, créant une nouvelle dynamique riche en contraintes et opportunités pour les pays de la rive sud.
- La Turquie s’affirme comme un acteur et régulateur sur la scène méditerranéenne.
- Les développements en Libye illustrent comment la stagnation de la crise et l’incohérence des puissances européennes ont ouvert la voie à de nombreux acteurs désormais partie intégrante de la solution, tels que la Russie et les États du Golfe. Sa dimension stratégique, notamment l’intervention militaire de l’OTAN, et ses implications surpassent les capacités de la Ligue arabe, de l’Union du Maghreb arabe et des institutions continentales (Union africaine, UE), plongeant le pays et la région dans un jeu de pouvoir contradictoire.
- La sécurité et la stabilité dans la région euro-méditerranéenne restent étroitement liées aux résultats du conflit israélo-palestinien. Certes, la centralité de cette question n’est pas nouvelle, mais la guerre à Gaza signale un changement dans la représentation de ce conflit, qui n’est plus perçu uniquement sous un angle politique mais aussi identitaire, centré sur les convictions religieuses et exploité par les extrémistes de tous bords. Aujourd’hui, une mobilisation internationale est plus nécessaire que jamais pour établir une légitimité internationale au Moyen-Orient, garantissant le droit du peuple palestinien à un État viable.
Depuis 2021, les événements au Maghreb et au détroit de Gibraltar ont complètement bouleversé le statut quo qui prévalait dans la région. La reconnaissance américaine du Sahara marocain, la reprise des relations avec Israël et la quête du Maroc pour une autonomie stratégique ont contribué à une recomposition géopolitique favorable au Maroc et à l’Espagne.
Par ailleurs, depuis le Printemps arabe (2011), une tendance européenne se dessine : privilégier la stabilité politique au détriment de la priorité démocratique dans les relations avec la rive sud. Ce glissement, qui prend en compte la crainte de voir certains pays basculer dans l’instabilité, explique en partie les doutes exprimés par 67% des marocains quant à l’impact de la PEV sur la consolidation démocratique et le respect des droits de l’homme en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Les relations Maroc-UE
Les relations entre le Maroc et l’Europe sont marquées par diverses phases et étapes, avec des réalisations, des incohérences et des limitations qui appellent à une réflexion commune sur les réponses efficaces pour améliorer le partenariat. Pour le Maroc, les relations avec l’Europe sont un atout fondamental qu’il est essentiel de renforcer pour établir un partenariat plus profond et plus large. La politique étrangère marocaine fait face au défi de trouver le meilleur équilibre entre, d’une part, la gestion des interactions avec l’Occident, influencée par l’histoire et la géographie, et d’autre part, l’adhésion à une communauté d’intérêts géoéconomiques Sud-Sud. L’objectif du Maroc est de bâtir et/ou consolider ses propres liens entre le modèle Nord-Sud et l’axe de coopération Amérique Latine-Afrique-Asie.
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Dans ce contexte, les États-Unis et l’Europe, bien que partenaires stratégiques, ne sont plus les seuls à influencer les orientations stratégiques du Maroc. La guerre en Ukraine et la rivalité sino-américaine ont révélé trois lignes de conduite :
- L’affirmation de soi et la souveraineté, se traduisant par une prise de décision autonome en matière de politique étrangère.
- La consolidation des acquis historiques avec les USA et l’UE, l’importance du partenariat économique avec la Chine, et l’orientation vers l’Afrique subsaharienne, en quête de nouvelles frontières économiques, politiques et diplomatiques.
- La compétition stratégique mondiale est donc perçue comme hautement favorable, l’implication de puissances émergentes multipliant et diversifiant les partenariats internationaux. De nouveaux acteurs, y compris la Chine, l’Inde, le Brésil, les États du Golfe et la Turquie, offrent de nouvelles perspectives attrayantes.
Les défis économiques et géoéconomiques du partenariat Maroc-UE
Les défis sont à la fois économiques (prospérité économique du pays, chaîne de valeur mondiale) et géoéconomiques (hub économique et financier africain efficace). Le premier appelle à la mobilisation de l’État pour concentrer cette partie du partenariat avec l’UE sur les principaux écosystèmes industriels du pays : phosphates-engrais, automobile, agroalimentaire et aéronautique. L’intégration de ces écosystèmes dans les chaînes de valeur mondiale (GVC) a été intensifiée, permettant à l’économie marocaine de devenir l’une des rares dans la région MENA à afficher un taux de participation dans les GVC similaire ou même supérieur à celui de pays émergents tels que la Russie, l’Inde ou la Turquie. Dans ce contexte, la relance du partenariat doit se faire sur la base des réalisations économiques de la PEV. En effet, 53% des marocains apprécient positivement les effets de ces instruments de développement socio-économique dans le Sud.
La dimension géoéconomique a, quant à elle, une valeur régionale, puisque le Maroc a besoin d’une profondeur géoéconomique, notamment en Afrique du Nord-Ouest, comme alternative au blocage du Maghreb. Le projet de gazoduc Maroc-Nigeria, l’Initiative atlantique pour le Sahel, et les opportunités offertes par la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) confirment cette orientation. L’ambition de l’État est de créer les conditions adéquates pour un positionnement géoéconomique Nord-Sud et Sud-Sud stable, avec le détroit de Gibraltar, les infrastructures portuaires et aériennes, et les profondeurs de l’Afrique de l’Ouest comme points de jonction et de connexion. Toutefois, la question de la capacité du Maroc à mobiliser les ressources économiques et le soutien politique nécessaires reste posée. Si l’engagement des partenaires du Golfe semble acquis, celui de l’Europe, en revanche, reste à négocier, notamment en vue de moderniser le partenariat Maroc-UE.
Il va sans dire que le partenariat avec l’UE nécessite de nouvelles idées et engagements politiques pour une meilleure mise en œuvre des plans d’action. Certaines contraintes institutionnelles sont apparues dans la réalisation de divers plans, qui ont néanmoins été développés sur le principe de l’appropriation autour des priorités marocaines.
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