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Le séisme frappa sans prévenir, avec une violence que nul n’aurait pu anticiper. Les maisons construites de pierre et de terre, fragiles vestiges d’une architecture traditionnelle, s’écroulèrent sous la force des secousses. Des villages entiers, accrochés aux flancs des montagnes, furent balayés, laissant derrière eux un paysage de désolation. Les routes, artères vitales reliant ces hameaux isolés, furent coupées, rendant l’accès aux secours difficile, voire impossible. À Taroudant, région durement touchée, le bilan fut catastrophique. Pourtant, peu de voix s’élevèrent pour relater ce désastre dans les jours qui suivirent.
Dès les premières heures, les autorités marocaines tentèrent de mobiliser des secours, mais la tâche s’avéra herculéenne. Les infrastructures détruites rendaient l’acheminement de l’aide périlleux. Les routes fissurées, les ponts effondrés, les glissements de terrain bloquaient l’accès aux zones les plus sinistrées. À Marrakech, les secours affluèrent rapidement, la ville bénéficiant d’une couverture médiatique internationale.
Les survivants du séisme de Taroudant se retrouvèrent du jour au lendemain sans abri, exposés aux éléments. Les tentes, distribuées par les quelques ONG présentes sur place, devinrent leur seul refuge. Ces abris de fortune, mal adaptés aux rigueurs de l’hiver qui approchait, furent pourtant tout ce qui les séparait du froid mordant. La promesse d’une aide gouvernementale, d’une maigre somme destinée à subvenir aux besoins immédiats des familles, ne fut tenue que pour quelques-uns. Et même pour certains d’entre eux, l’aide s’interrompit sans explication, plongeant les familles dans une détresse insondable. Siham Azeroual, habitante de Ounaine, et fondatrice de Moroccan Douars nous déclare : «Une grande partie des victimes n’a jamais reçu les 2.500 MAD/mois, sans parler des fonds nécessaires à la reconstruction ou encore les fonds qui sont censés compenser les pertes agricoles, les pertes des PME et des coopératives. La reconstruction est extrêmement lente, ce qui n’est pas le cas pour d’autres chantiers comme ceux de la Coupe du Monde qui avancent à une vitesse folle. Les habitants tentent depuis une année de faire valoir leurs droits, en vain, sans oublier le silence assourdissant des médias et des soi-disant influenceurs qui n’ont pas manqué de se prendre en photo avec les débris pendant la semaine qui a suivi la catastrophe».
Autre village, Ouirgane, même problématique. Les membres de l‘association Interact Club Massignon s’étaient rendus sur place pour la construction d’une école. Cette tâche n’a pas été sans difficuluté. «L’un des principaux obstacles rencontrés dans la région était lié aux autorisations administratives. En tant que société civile ou association, nous n’avions pas le droit d’entreprendre des actions durables, notamment en ce qui concerne la construction. Après de longues négociations, nous avons finalement obtenu la première autorisation pour construire une école. Il nous a fallu environ un mois et demi pour l’obtenir, ce qui était un exploit à l’époque, car nous étions les seuls à avoir cette autorisation jusqu’à février 2024», déclare Nacer Kadiri, président de l’Interact Club Massignon.
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La reconstruction des villages avance à un rythme désespérément lent. «Nous avons pu clôturer le projet en juin, devenant ainsi la première école construite suite au séisme d’Al Haouz. Cela démontre bien l’ampleur des difficultés administratives et logistiques auxquelles nous avons été confrontés», poursuit Kadiri.
Les maisons, pour celles qui avaient commencé à être rebâties, n’étaient qu’à moitié terminées. Les matériaux de construction, déjà rares et coûteux, avaient vu leur prix doubler depuis le séisme. Les quelques constructions érigées à la hâte, souvent sans respecter les normes sismiques, offraient une sécurité toute relative. : «En ce qui concerne les fonds alloués à la reconstruction, ils ne sont pas suffisants, ils ne prennent pas en compte l’augmentation des prix des matériaux de construction et les coûts de transport. Ces derniers ont limite doublé avec les routes endommagées, qui attendent leur mise à niveau depuis un an également. Ces fonds sont également amenuisés par les multiples détournements, beaucoup de maisons complètement effondrées n’ont eu que les 80.000 MAD destinés à la réparation au lieu des 140.000 MAD, on est sur une différence 60.000 MAD par maison ? Où va l’argent ? On a besoin d’une enquête en urgence pour étudier le détournement de fonds massif qu’il y a eu durant toute cette année, et une vraie commission pour surveiller l’opération de reconstruction, où la plupart du temps les normes ne sont pas respectées, et aucun suivi technique pour certains», déclare Siham Azeroual. Pour le président de l’Interact Club Massignon, en plus des dégâts majeurs, certaines écoles ont eu droit à des réparations superficielles, mais les bâtiments restent lourdement fissurés, ce qui met en danger la sécurité des élèves. Les actions entreprises se limitent souvent à de la peinture ou d’autres réparations de surface, sans s’attaquer aux fondations, ce qui est évidemment insuffisant. En termes de chiffres, l’Interact Club Massignon a eu besoin d’une enveloppe budgétaire de 2.400.000 dirhams, incluant la construction, l’aménagement, et l’équipement de l’école. Si ce budget est nécessaire à la bonne reconstruction, dans le respect des normes anti-sismiques, il prouve réellement que le faible montant alloué aux familles est largement insuffisant.
Pour l’instant, les habitants travaillent principalement sur la reconstruction des habitations. Des subventions ont été délivrées en plusieurs tranches aux habitants pour qu’ils reconstruisent leurs maisons. Ce processus de subventionnement consiste à déposer un dossier avec un plan validé par l’État, puis à recevoir des tranches de 20.000 dirhams pour entamer les travaux. «Cependant, la réalité est souvent plus complexe. Les premières tranches ont été versées, mais les chantiers n’ont pas réellement avancé en raison des difficultés logistiques. De plus, il semble que de nombreuses personnes n’aient pas reçu l’autorisation de reconstruire, ce qui freine davantage le processus», détaille Nacer Kadiri.
Le faible budget a un impact immédiat sur la qualité du produit fini. Les fondations des nouvelles constructions ne sont pas réalisées dans les normes anti-sismiques. «Les fondations sont faites à la va-vite, ce qui rend ces nouvelles bâtisses vulnérables en cas de catastrophe. En tant qu’initiative locale, nous avons essayé depuis décembre 2023 d’avoir le cahier de charge de cette reconstruction, d’apporter des solutions aux problématiques terrain, mais chacune des lettres envoyées au gouverneur de Taroudant fait face à un silence radio et un « je m’enfoutisme » qui pose plusieurs questionnements quant à la volonté réelle des autorités locales à aider la population à dépasser la crise», nous explique la fondatrice de Moroccan Douars.
Autre problème, et pas des moindres, les habitants sont propriétaires terriens d’espace allant jusqu’à 1.000 mètres carrés, en moyenne, ce qui leur est actuellement proposé ne correspond en rien à ce qu’ils avaient, nous explique la même source. Selon elle, la population locale se voit aujourd’hui attribuer de petites maisons de 50 mètres carrés, sans espace pour leurs animaux (il faut allouer à peu près 30 à 40 mètres carrés pour l’âne ou la mule, et l’étage inférieur est ce qu’on appelle Agrour, un espace pour le bétail qui permet de profiter de la chaleur corporelle des animaux pour chauffer la maison). «Les marchés sont attribués de manière opaque, et sur place, les maisons s’avèrent inhabitables. À la fin des travaux, un maître d’œuvre ou un architecte devrait fournir un certificat d’habitabilité, mais pour l’instant, il n’y a rien de tel».
Quand la terre nous parle…
Comme si la tâche n’était pas déjà assez ardue, les habitants de la région durent également faire face aux pressions de l’industrie minière. L’Atlas, cette majestueuse chaîne de montagnes, renferme des trésors sous ses roches : cobalt, uranium, or… Des ressources précieuses, une aubaine pour l’économie nationale. Mais ces richesses souterraines devinrent une malédiction pour les habitants. L’exploitation minière, intensifiée depuis le séisme, menaçait les équilibres fragiles de cette terre meurtrie. «L’activité minière au niveau de la zone d’impact est aussi problématique. Comment peut-on laisser libre cours à cette activité au niveau de l’épicentre directement après la catastrophe ? Comment est-ce possible d’octroyer de nouveaux permis dans la zone sans vraiment avoir des études de fond ? Quel est l’impact de ces activités humaines sur l’activité sismique ? Pourquoi les chercheurs derrière Induced Earthquake HQ soupçonnent que ce séisme même n’est pas naturel, mais provoqué par une activité humaine ? Encore, pourquoi le Gouvernement ne semble pas s’intéresser à l’activité géothermale au niveau de l’Atlas, pourquoi n’est-elle pas étudiée ? On a quand même eu un sol qui a craqué au niveau d’Azilal avec des vapeurs qui s’en échappent. N’importe quel gouvernement avec un minimum de bon sens et d’intérêt pour la population va commanditer des recherches en urgence pour en découvrir l’origine», accuse Siham Azeroual.
En effet, dans la province d’Azilal, le site de Tingarf a été le théâtre d’un phénomène inquiétant : l’éruption de volcans de boue accompagnée de panaches de fumée blanche. Observé également dans les régions de Fkih Ben Salah et Khénifra, cet événement a semé la panique parmi les habitants, ravivant les spéculations sur une possible activité volcanique ou sismique. Toutefois, des experts comme Naima Hamoumi et Saïd Courba attribuent ces manifestations à des mouvements géodynamiques spécifiques, liés à la tectonique active de la région.
Les volcans de boue, constitués d’un mélange sédimentaire mal classé et riche en matière organique, pourraient être déclenchés par la réactivation des failles ou l’accumulation de fluides sous pression. Le phénomène, bien que spectaculaire, reste mal compris, et les autorités locales n’ont pour l’instant pas communiqué de manière transparente avec le public, ce qui alimente les rumeurs. Les géologues insistent sur la nécessité de mener des études approfondies pour déterminer les causes exactes de ces éruptions et évaluer leur éventuelle relation avec la présence de gaz souterrains. Une approche multidisciplinaire est recommandée pour évaluer les risques potentiels, en tenant compte des aspects géophysiques, structuraux et sédimentologiques.
En attendant, l’incertitude persiste parmi la population, accentuant les inquiétudes face à ce phénomène rare et encore peu étudié. Il est impératif que les autorités prennent des mesures pour informer et protéger les habitants face à ces risques naturels, afin d’éviter que la situation ne dégénère en crise.
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Une poubelle à ciel ouvert
Retournons dans la région d’Al Haouz. La catastrophe naturelle ne laissa pas seulement des vies humaines brisées, elle bouleversa également l’environnement de manière irréversible. Les montagnes de l’Atlas portent désormais les stigmates du séisme. Les débris des villages détruits jonchaient le sol, et les cours d’eau, déviés par les secousses, asséchaient des terres autrefois fertiles. Les villages de Taroudant, qui avaient su préserver un mode de vie respectueux de la nature, se trouvèrent envahis par des tonnes de déchets. Les dons d’urgence, remplis de couches jetables et d’emballages plastiques, laissèrent une empreinte écologique dévastatrice. «Après le séisme et les dons qui ont suivi, la consommation a changé. Le consumérisme a augmenté, et la majorité des déchets à Ounaine sont dorénavant constitués de couches jetables, alors qu’avant, les mères utilisaient des couches lavables. Les dons ont également apporté des conserves, là où les habitants consommaient local et bio. Le véritable problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de collecte des déchets. L’Atlas était un écosystème pur qui profitait au système Macro, actuellement, il croule sous les déchets», expliqua Azeroual, désespérée par l’état de son village.
L’agriculture, pilier de l’économie locale à Taroudant, subit aussi les conséquences désastreuses du séisme. Les terres agricoles, privées d’eau par le changement de cours des rivières, se transformèrent en terrains arides. Les arbres fruitiers, qui nourrissaient des familles entières, cessèrent de produire. «Dans certaines zones, les débits d’eau ont augmenté. Malheureusement, d’autres Douars ont perdu leur accès à l’eau, menancant leurs ressources potables. Nous avons un cas ici dans la commune d’Ounaine, où 2.000 à 3.000 arbres fruitiers ont perdu accès à l’eau puisque les cours ont changé après le séisme, c’est une perte énorme pour le système local», détaille la même source. Les familles, autrefois autosuffisantes, se voyaient désormais contraintes de dépendre des aides alimentaires, une situation humiliante pour ces gens fiers de leur travail et de leur indépendance.
Un autre hiver sous les tentes
Dans cetraines régions, telles que Ounaine, les gens n’ont pas encore eu accès à leur domicile. Ils élisent donc domicile, depuis une année, dans des tentes… en attendant! Avec l’hiver qui approche, la situation est alarmante, car de nombreuses personnes vivent encore sous des tentes. «Lors de ma dernière visite il y a deux semaines, j’ai pu constater que de nombreuses familles n’avaient pas encore commencé les travaux de reconstruction. Les restes du séisme étaient, d’ailleurs, encore présents. Pour certaines familles, la subvention reçue a été utilisée pour des besoins plus urgents, comme se nourrir, ce qui montre bien l’urgence et la complexité de la situation», raconte Kadiri à LeBrief. «Il est important de souligner que des efforts ont été faits pour mettre en place des solutions modulaires pour l’éducation. Cependant, ces solutions sont loin d’être suffisantes. Selon les témoignages des habitants et des enseignants, les conditions d’apprentissage des élèves restent extrêmement précaires. Ce problème est particulièrement grave dans les établissements qui ont été fortement touchés par le séisme, sachant que 550 écoles ont été détruites».
C’est avec désarroi que certains habitants constatent qu’ils devront passer un autre hiver sous les tents, sans avoir accès aux explications nécessaires. Pour la fondatrice de Moroccan Douars, le gouvernement n’a pas suivi les orientations royales. De plus, «les autorités locales n’écoutent en rien la population et cherchent à imposer un mode de vie à ces gens qui n’est pas le leur. On se retrouve à la limite du fascisme, où personne n’ose parler de peur qu’on lui retire ce qui, de base, lui revient de droit. Les cheikhs et les mqadems imposent une Omerta à la population, dont la plupart souffre aujourd’hui d’un stress post-traumatique».
Mais le séisme n’emporta pas seulement des vies et des maisons, il menaça aussi l’âme même de la région : son patrimoine culturel. Les villages de Taroudant, riches de traditions séculaires, voyaient leur héritage culturel disparaître sous les gravats. Les techniques de construction en terre crue, autrefois adaptées aux conditions climatiques de l’Atlas, furent abandonnées au profit de matériaux modernes, uniformisés, inadaptés. Les fêtes, les chants, les danses, tout ce qui faisait l’identité de ces villages, se trouvait relégué au second plan, alors que les habitants luttaient simplement pour survivre. «L’impact du séisme n’est pas étudié de manière optimale, on a uniquement calculé les pertes matérielles, mais qu’en est-il de la perte de patrimoine ? La culture Amazigh est une culture orale, et des catastrophes pareilles perturbent la transmission et donc la continuité. Actuellement, un plan vicieux de bétonisation de l’Atlas est en cours, et on se bat comme on peut sur le terrain pour maintenir les principaux aspects et connaissances de l’architecture vernaculaire. Certaines fêtes traditionnelles n’ont pas été célébrées cette année. Construire le matériel oui, mais il faut aussi reconstruire l’Humain et sa culture», conclut Siham Azeroual.
«Le peuple marocain ne doit pas oublier les personnes touchées par cette tragédie. Le séisme d’Al Haouz n’est pas derrière nous. En tant que témoin des mois qui ont suivi, je fais partie de ceux qui espèrent et prient pour que ce séisme ne soit qu’un nouveau départ pour la région d’Al Haouz. Le but n’est pas de reconstruire comme avant, mais de faire mieux qu’avant. Il faudra du temps, mais la mobilisation nationale ne doit pas s’arrêter. L’élan de solidarité créé dans les jours qui ont suivi le séisme doit être ravivé pour les mois et années à venir, afin de faire renaître de ses cendres cette belle région», termine Nacer Kadiri.
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