Aïd Al-Adha : l’activité au ralenti après la fête
Ce samedi, c’est le 3e jour de l’Aïd El Kébir au Maroc. Les rues et quartiers des grandes agglomérations, autrefois animés et agités, se sont transformés en espaces presque déserts alors que les habitants se sont rendus dans leurs villes d’origine pour célébrer la fête en famille. Tanger, Rabat ou encore Casablanca, habituellement plongées dans un tumulte incessant, profitent d’une période de répit sans bruit de la circulation et des embouteillages, le temps des festivités. Du côté des commerces, seuls quelques échoppes tenues par des commerçants qui ne sont pas originaires d’autres régions sont ouvertes avec de longues et interminables files d’attente. La plupart des commerces ont fermé leurs portes la veille de Aïd Al-Adha et ne sont pas près de rouvrir, leurs propriétaires préférant se rendre dans leurs villes d’origine pour profiter de cette occasion spéciale. Une pratique très incommodante pour les clients consommateurs.
Vous avez dit poumon économique ?
À Casablanca, cœur battant de l’activité commerciale, dans les quartiers « Korea » et « Derb Omar », deux importants espaces commerciaux très fréquentés, il n’y a pas un chat. Les grossistes, distributeurs, détaillants et transporteurs ont quitté la capitale économique pour fêter l’Aïd au « bled ». Cette situation temporaire est également enregistrée dans les différents marchés de proximité et dans les quartiers où les épiciers, boulangers, vendeurs de fruits et légumes, poissonniers, sans oublier les bouchers, ont baissé le rideau pour une période assez longue. Les artisans sont aussi aux abonnés absents. Difficile de s’offrir les services d’un couturier, d’un cordonnier, d’un plombier ou d’un électricien pendant cette période. Cette situation est vécue avec beaucoup de frustration du côté des habitants des grandes cités qui n’ont d’autres choix que de passer Aïd Al-Adha chez eux ou qui ont des obligations les empêchant de voyager…
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Les témoignages de citoyens désespérés, surtout du côté des célibataires, par la fermeture prolongée des commerces, ne manquent pas (cf. micro-trottoir réalisé par notre confrère Le360 il y a trois ans).
«Pas question que je me fasse avoir. Ça fait cinq ans que réside au Maroc. Après les mésaventures vécues pendant les deux premières années, j’anticipe sur la période de la fête du sacrifice. J’effectue mes achats de denrées alimentaires plusieurs jours avant la fête, car la plupart des commerces resteront fermés pendant au moins 20 jours», nous raconte Paul Kaboré. «Les snacks et autres laiteries sont fermés après la fête. Seuls les fast-foods franchisés travaillent normalement parce qu’ils disposent d’un stock de produits surgelés. J’ai un budget limité pour déjeuner à côté du bureau, je dois me contenter d’un paquet de biscuits et d’un yaourt à boire pour le midi. Heureusement que les supermarchés sont ouverts», se confie Jalal Doubiri. «Les familles se contentent de consommer la viande de mouton les jours suivant l’Aïd, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Les abattoirs doivent reprendre leur activité au 3e jour de l’Aïd, idem pour les navires de pêche.
On n’arrive même pas à se procurer des légumes frais auprès des grandes surfaces», s’exclame de son côté Halima Zizoun. Cette rupture de la chaîne d’approvisionnement touche aussi les établissements hôteliers dont les garde-mangers sont mis à rude épreuve pendant Aïd Al-Adha. «En 2017, j’ai vécu une situation assez embarrassante alors que je venais de commencer ma carrière professionnelle. J’ai été recruté dans un hôtel 4 étoiles qui proposait la formule All inclusive. Le 2e jour de l’Aïd, nous n’avions plus de sodas à offrir aux clients alors qu’il faisait très chaud. Le directeur de l’hôtel a été remercié pour n’avoir pas anticipé les commandes auprès des fournisseurs», se souvient Hamid qui nous a demandé de ne pas révéler son nom de famille.
L’anticipation est donc le facteur clé pour ne pas tomber en panne pendant la période de l’Aïd. Mehdi Tamli en sait quelque chose. Jeune entrepreneur, il a été confronté à une situation délicate l’année dernière. «Nous avons reçu une commande à livrer mardi, le surlendemain de l’Aïd. Notre responsable d’achat n’avait pas prévu de stock pour les consommables. Nous avons fait des mains et des pieds en contactant différents distributeurs de matériel bureautique et de fournitures, mais nous n’avons pas pu trouver les références dont nous avions besoin. J’ai été très embarrassé de ne pouvoir livrer que la version digitale au client», se désole notre interlocuteur qui a pourtant mobilisé son équipe pour assurer le travail alors que plusieurs collaborateurs voulaient prendre leur congé pendant cette période. Une pratique assez courante qui a incité certaines entreprises à imposer un congé annuel à l’ensemble du personnel à partir de la veille de Aïd Al-Adha.
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Rupture des chaînes d’approvisionnement durant Aïd Al-Adha
La période de Aïd Al-Adha représente un défi de taille pour les entreprises opérant dans le secteur des produits de grande consommation au Maroc. La plus grande fête religieuse musulmane apporte son lot de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. Les entreprises doivent faire face à des obstacles importants pour répondre à la demande accrue des consommateurs. Une récente enquête menée par l’agence de trade marketing multi-services Right execution daily (RED) révèle les mesures essentielles que les entreprises doivent prendre pour assurer une offre adéquate et maximiser leur efficacité pendant cette période cruciale. La planification et l’anticipation sont des éléments clés pour faire face aux défis logistiques et garantir la disponibilité des produits essentiels avant la fermeture des commerces. Les ruptures de stock et les délais de livraison rallongés peuvent entraîner une frustration chez les consommateurs qui cherchent à se procurer rapidement les produits dont ils ont besoin. En outre, la recherche de cadeaux de dernière minute peut devenir un véritable casse-tête, mettant à l’épreuve la créativité des consommateurs dans leur quête de présents appropriés.
Du côté de l’organisation des repas et des festivités, la logistique peut également poser problème. Les citoyens peuvent se retrouver dans des situations inconfortables, cherchant désespérément les produits essentiels pour leurs préparatifs de repas, ou se heurtant à des difficultés pour trouver des ingrédients spécifiques. Face à ces enjeux, les entreprises doivent prendre des mesures préventives pour anticiper les perturbations et assurer une offre adéquate aux consommateurs. La mise en place d’une planification minutieuse, l’optimisation des chaînes d’approvisionnement et la collaboration étroite avec les partenaires logistiques sont autant de stratégies qui peuvent aider à surmonter les défis rencontrés pendant cette période festive.
Fermetures de magasins
Plusieurs tenanciers de commerces traditionnels profitent de cette période pour prendre leurs congés annuels et passer du temps en famille. Cela entraîne une prolongation de la fermeture de leurs commerces, perturbant ainsi le flux habituel de distribution des produits de grande consommation. Un total de 10.302 détaillants répartis dans 23 villes du Maroc ont participé à l’enquête en répondant à la question «Combien de jours prévoyez-vous de fermer votre commerce avant et après Aïd Al-Adha ?». L’enquête menée par RED révèle une augmentation progressive des taux de fermeture des commerces à mesure que Aïd Al-Adha approche, avec un pourcentage élevé de fermetures observé la veille de la fête. Une semaine avant l’événement, le taux de fermeture atteint 8,10%, indiquant une préparation croissante des commerces en vue de la célébration. Trois jours avant l’événement, ce taux grimpe à 20,25%. Deux jours avant Aïd Al-Adha, on estime que près de 45,59% des commerces sont fermés, tandis que le jour précédant l’événement, un taux élevé d’environ 74,10% de fermeture est avancé. Il faudra ensuite plusieurs semaines aux détaillants pour reprendre progressivement leurs activités habituelles.
Le jour de l’Aïd, la grande majorité des épiceries fermeront leurs portes, soulignant l’importance de cette période de célébration. Toutefois, dès le lendemain de l’événement, les commerces commenceront à rouvrir progressivement. Selon les résultats de l’enquête, il faudra environ deux semaines après la célébration pour que les détaillants retrouvent leur rythme habituel et reprennent progressivement leurs activités, avec un taux de fermeture de 29,83%. Après trois semaines, ce taux devrait encore diminuer pour atteindre 16,51%, indiquant une reprise complète. Dans les grandes villes comme Casablanca et Marrakech, la reprise des commerces se fera de manière plus progressive, avec un taux de fermeture de 69,06% une semaine après la fête, puis de 33,94% deux semaines après l’événement. En revanche, dans les petites villes telles que Larache, Settat et Tétouan, la reprise devrait être plus rapide, avec un taux de fermeture de 27,19% une semaine après l’Aïd.
L’explication est toute simple : en raison de leur proximité avec leurs régions d’origine, les détaillants des petites villes n’ont pas besoin de parcourir de longues distances pour rendre visite à leur famille pendant l’Aïd. Cela leur permet de rester disponibles et prêts à accueillir les consommateurs dès le lendemain de la fête.
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En l’absence d’une loi interdisant aux commerçants de prolonger leurs congés après l’Aïd, il est difficile de demander aux autorités d’astreindre les professionnels du commerce à assurer une permanence. Les associations et syndicats de commerçants ainsi que les chambres de commerce doivent sérieusement jouer leur rôle et étudier la possibilité d’assurer un système de rotation pour les différents types de commerces. Il en va du bien-être de la communauté et de la garantie d’une expérience agréable pour les touristes, surtout que Aïd Al-Adha coïncide ces dernières années avec la période estivale.