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Ahmed Lahlimi : la crise a fait perdre au Maroc 2 ans et demi de croissance

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Ahmed Lahlimi, haut-commissaire au plan © DR

Le Maroc a été confronté ces dernières années à une série de crises qui ne l’ont pas laissé indemne. Selon le haut-commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, ces crises ont fait perdre deux années et demie de croissance au Royaume. Pour pallier cette situation et relancer l’économie nationale, le responsable plaide pour l’implémentation en urgence de plusieurs mesures, dont une meilleure répartition des richesses et gestion des fonds publics ainsi que l’élaboration d’un nouveau modèle agricole. Éclairage.

Ahmed Lahlimi, haut-commissaire au plan, a dressé un tableau très sombre concernant l’économie nationale. En raison des effets de la pandémie de la Covid-19, de l’inflation mondiale et, plus récemment, la guerre en Ukraine, le Maroc a subi une succession de crises, dont les séquelles ne sont pas des moindres. Selon le patron du Haut-Commissariat au Plan (HCP), le Royaume a perdu deux années et demie de croissance et trois années de lutte contre la pauvreté. Pire encore, cette succession de crises a creusé davantage le faussé des inégalités sociales.

Ahmed Lahlimi a déploré que «ces trois dernières années aient effacé tous les efforts de réduction des inégalités au fil des deux dernières décennies», notant que le pays est même revenu au niveau des inégalités des années 2000. Les plus pauvres, poursuit-il, ont dû diminuer leurs dépenses face à la hausse des prix des produits de première nécessité.

Pour l’économiste Abdelghani Youmni, «le haut-commissaire au plan fait un constat sur une réalité qui n’est plus un secret de polichinelle. Les trois crises additives de la Covid-19, de la guerre russo-ukrainienne et de la sécheresse — qui devient structurelle — ont érodé les parts croissance économique réalisées, car côté, chiffres la récession de 2020, c’est 7,2% suivie d’une croissance historique de 7,9% en 2021, les deux s’annulent. Puis en 2022, on s’attend à une croissance nominale de 1.3% au regard d’une inflation attendue de 5.3%, nous serons plutôt face à une croissance réelle de -4% donc une baisse du produit intérieur brut».

Aggravation des inégalités sociales

Professeur Ahmed Azirar, économiste et fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprise (AMEEN), précise pour sa part : «vu la conjoncture mondiale et interne (…), il était donc attendu que les inégalités sociales se creusent, malgré le soutien social qui a été mobilisé, mais dont les moyens, sont restés limités».

En se basant sur les explications du haut-commissaire au plan, Abdelghani Youmni précise que «la crise, qui n’est pas singulière, a creusé les inégalités et pourrait réduire à néant tous les efforts de lutte contre la pauvreté que le Maroc a fournis durant les deux dernières décennies. L’indicateur GINI, qui mesure les inégalités monétaires et de revenus, est resté stable entre 2001 et 2014, autour de 0,4, mais il est passé à 0.46 en 2021. Le Maroc devient le plus inégalitaire d’Afrique du Nord. Cette aggravation des inégalités plonge des millions de Marocains, surtout en milieu rural et périurbain, dans la vulnérabilité. Cette crise touche principalement des jeunes âgés de 18 à 40 ans et des retraités, avec ou sans pensions».

L’expert rappelle que «sa Majesté le roi Mohammed VI n’a pas attendu le rapport d’OXFAM pour alerter sur une fiscalité qui, au lieu de gommer l’inégalité, elle l’accentue. Dans son discours du 29 juillet 2019, le Souverain a reconnu l’incapacité de notre modèle de développement à satisfaire les besoins croissants d’une partie des citoyens et à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales».

Un recul flagrant de la croissance

Les données du HCP révèlent que la sécheresse a entraîné une chute de la croissance à 1,3%. Ce stress hydrique a aussi fortement impacté la production agricole, dont la valeur ajoutée reculera de 13,5%, avant de rebondir de 11,8% en 2023.

La même source indique que la flambée de la facture des matières premières importées de l’étranger a aggravé le déficit commercial de 17,9% en 2022. S’ajoute à cela une dégradation des finances publiques qui entraineront un déficit budgétaire de 5,5% en raison de l’augmentation des dépenses de compensation (11%) et d’investissement de l’État (8,5%).

De plus, la dette publique va s’accélérer passant à 83,3% du PIB au lieu de 82,5% en 2021. Ahmed Lahlimi a expliqué que l’endettement du trésor pourrait s’élever à 70,4% du PIB, alors que l’endettement extérieur de l’État restera fixé à 23,6%. Un niveau qui, précisons-le, est supérieur à la moyenne observée entre 2014 et 2019

Le cumul de ces facteurs risque ainsi d’augmenter le besoin de financement du pays à 4,4% du PIB en 2022 au lieu de 2,3% en 2021.

Le responsable est cependant optimiste quant aux perspectives de 2023. En se basant sur les chiffres du HCP, il a avancé que la croissance devrait s’améliorer pour atteindre 3,7%, «avec une campagne agricole jugée moyenne et une inflation moins sévère qu’aujourd’hui (0,8% au lieu de 4,9% en 2022)». En revanche, les déficits budgétaire et commercial ainsi que le besoin de financement n’afficheront aucune progression l’année prochaine.

Les principales défaillances de l’économie marocaine

Au cours de son exposé, le haut-commissaire au plan a souligné trois problématiques majeures qui entravent l’essor de l’économie nationale : la dépendance excessive au secteur de l’agriculture, la corruption endémique et l’inefficacité de l’investissement.

Lahlimi soutient que «quand l’agriculture va bien, l’économie se porte bien avec une croissance d’environ 4%, mais quand elle va mal, aussitôt la croissance chute à 1%». Il a, de ce fait, appelé à rompre avec le modèle agricole actuel afin d’adopter un modèle plus résilient, à même d’assurer la sécurité alimentaire du pays.

Sur ce volet, Ahmed Azirar indique que «tout le monde a été berné par la mondialisation dite heureuse. Maintenant que la vision est plus claire, il faut oser une rupture avec le modèle agricole actuel, ou du moins son rééquilibrage». Selon lui, il faut aussi miser sur «la promotion des exploitations familiales, la mobilisation des jeunes techniciens et ingénieurs, le soutien du petit agriculteur et la promotion des productions vivrières. Leur rentabilité économique est désormais possible».

Notre intervenant avance en outre que «l’industrie doit retenir plus l’attention des capitaux privés nationaux. C’est ce secteur qui révolutionne la productivité et qui crée davantage d’emplois plus sûrs. Mais, pour ce faire, l’investissement, dont l’efficacité reste limitée, doit subir une révolution. Le Maroc investit depuis des décennies 30% de son PIB sans être capable d’assurer son décollage économique. Ce n’est pas normal ! Je rejoins ainsi Ahmed Lahlimi quand il dit “qu’il faut mettre un point final aux effets ravageurs de la corruption”. Il faut également que le capital privé national se mobilise et investisse dans les secteurs à forte valeur ajoutée et que l’économie de rente cède la place à l’économie du mérite et du patriotisme».

Abdelghani Youmni ajoute que «le triomphe de l’injustice sociale est mondial. Au Maroc comme ailleurs, les inégalités se sont plus creusées dans des sociétés de plus en plus injustes et de plus en plus déchirées et humainement médiocres. Monsieur Lahlimi parle de l’exemplarité morale, de Marocains qui comptent sur les investissements étrangers pour faire du Royaume un pays émergent, tandis que nos riches préfèrent les économies de rente et l’entrepreneuriat marchand. Pourtant, le vrai pari est de se risquer dans l’entrepreneuriat productif. Dans ce tout qui devient incertain, cette nouvelle pyramide de partage des richesses dont la seule locomotive est une justice fiscale pour non pas financer la redistribution monétaire qui a desservi nos voisins algériens et même les États-providence comme la France, distribuer les allocations pour en faire de la consommation n’est pas le remède. Mais c’est le financement de l’éducation et de la formation comme redistribution de l’égalité des chances».

Comment survivre à la crise actuelle ?

D’après le haut-commissaire au plan, pour sortir plus fort des crises actuelles, le Maroc doit effectuer un véritable changement des politiques publiques, notamment en termes de justice sociale et de répartition des richesses. Évoquant les conséquences de la corruption, il a affirmé que seule «l’exemplarité morale» est garante d’une gestion rationnelle des fonds publics.

Ahmed Lahlimi a dénoncé aussi la rigidité de l’Administration et les dysfonctionnements de la concurrence dans les marchés. Il s’est dit toutefois optimiste quant aux bienfaits de la nouvelle charte de l’Investissement, adoptée, mercredi dernier, lors du Conseil des ministres.

De son côté, professeur Azirar estime que «la situation actuelle exige une mobilisation générale de l’État pour soutenir immédiatement le pouvoir d’achat et renforcer la paix sociale et accélérer les réformes structurelles. L’objectif est de donner rapidement corps au Nouveau modèle de développement».

Il ajoute que «le capital national de recherche et d’innovation doit être sérieusement exploité. Et là, l’implication du secteur privé s’impose. Pour le moment, sa participation à l’effort de R et D reste très faible».

Pour conclure, professeur Azirar précise : «Je suis optimiste, car je vois se dessiner un faisceau de réformes structurelles. Une révolution est en cours. Elle a pour piliers la généralisation de la couverture sociale ; la réforme du secteur public pour assurer son efficience?; la charte de l’investissement basée sur une nouvelle méthodologie d’incitations et de nouveaux acteurs ; la transparence dans la commande publique ; le conseil de la concurrence qui sera doté de pouvoirs réels pour lutter contre les entraves à la vérité des prix et de la transparence des marchés… Attendons la bonne application de ces nouveaux textes et la mobilisation des acteurs nationaux et locaux. C’est le politique qui est interpelé en priorité. Le Parlement, les élus locaux, les Associations professionnelles et les chambres, la balle est désormais dans leur camp».

Lire aussi : Conseil des ministres : les réformes du système de santé sont une priorité

Et Abdelghani Youmni indique : «Au Maroc, l’inégalité est l’héritage d’une accumulation d’injustices sociales liée à l’histoire du pays et elle n’est pas le résultat de l’actuelle guerre des mondialisations entre Russes, Indiens, Chinois et Occidentaux. Au Maroc, il faudra réduire le grand décalage entre le temps politique, le temps économique, le temps social et surtout mettre les politiques publiques financées par l’impôt des citoyens au service du citoyen et enfin rendre publiques les évaluations de ces politiques publiques».

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