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En 2008, le Royaume a adopté un ambitieux Plan Maroc vert (PMV), qui visait à atteindre l’autosuffisance alimentaire, avec des niveaux de 50% à 100% selon les filières d’approvisionnement.
Depuis la mise en œuvre du PMV il y a 15 ans, la valeur de la production agricole a doublé, passant de près de 60 milliards de DH (MMDH) à plus de 115 MMDH, malgré la perte d’environ 7 milliards de mètres cubes de pluie annuellement depuis 1985.
En cette année 2023, on est loin du compte. Le Maroc a même perdu son autosuffisance dans certaines filières comme celle des viandes rouges. Pour la première fois depuis des années, l’on doit recourir aux importations du Brésil, avec toute la polémique qu’elles ont suscité, pour satisfaire la demande en viande bovine. Et pour le prochain Aïd Al-Adha, notre pays s’apprête à importer 1 million de têtes d’ovins de l’Espagne. La Fédération des producteurs de viandes, de lait et de produits agricoles, estime que les marchés connaitront une baisse de l’ordre de 30% des têtes d’ovins.
« Akhannouch nous a ruinés »
Les protestations organisées pendant le mois de Ramadan contre la cherté de la vie ont pointé du doigt le manque d’action gouvernementale pour lutter contre l’inflation. Le prix des légumes sur les marchés marocains sont presque aussi élevés que dans certains supermarchés européens, malgré un salaire minimum cinq fois inférieur.
Ce modèle agricole basé sur les exportations est remis en question en raison de l’inflation record qui provoque la colère de la population. Le quota imposé sur les exportations vers les pays d’Afrique subsaharienne n’ont pas permis de réguler le marché local. Cette mesure a été vivement critiquée par des associations professionnelles qui ont demandé à Akhannouch de revenir sur cette décision.
C’est que le PMV, renommé Génération Green pour la période 2020-2030, a accordé une importance particulière aux exportations de fruits et légumes. Une réorientation de la politique agricole en faveur d’une stratégie qui garantisse la souveraineté alimentaire du pays est nécessaire. Le gouvernement est également confronté à un autre défi : réformer le système de commercialisation qui est corrompu par des intermédiaires qui tirent profit de la situation, en gagnant « trois à quatre fois plus que la valeur réelle des produits », selon les producteurs de fruits et légumes qui ont exprimé leurs plaintes dans une lettre adressée à Akhannouch le 31 mars dernier. Malgré les annonces du gouvernement concernant plusieurs mesures de lutte contre les spéculateurs, il est admis que ces actions n’ont pas produit les résultats espérés, comme l’a reconnu le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baïtas.
Quoi qu’il en soit, au mois de mars 2023, l’inflation a atteint 8,2% en glissement annuel, dont une hausse de 16,1% pour les produits alimentaires, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP). Ces chiffres suscitent des critiques de toutes parts. Face au mécontentement général, le ministre de l’Agriculture, Mohamed Sadiki, a attribué la hausse des prix alimentaires à des « facteurs externes et conjoncturels », tels que l’augmentation du coût des matières premières et une vague de froid qui a retardé la cueillette des tomates. Pour le Haut-Commissaire au plan, Ahmed Lahlimi, cette crise remet en question la viabilité du modèle agricole marocain, d’autant plus que ce secteur, qui représente 13% du PIB et 14% des exportations, est exposé à des sécheresses récurrentes et aux conséquences du dérèglement climatique.
Le PMV sous la loupe de Najib Akesbi
Economiste et universitaire enseignant à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, le professeur Najib Akesbi a dressé son propre bilan du PMV. Selon l’expert, cette stratégie agricole a permis de réhabiliter l’agriculture qui était en déclin entre 1993 et 2007. Le deuxième point positif du PMV est la mise en place de l’agriculture contractuelle pour favoriser les synergies et les regroupements : il s’agit d’associer un leader ou un grand exploitant à 50 à 150 autres exploitants. Akesbi estime que cette synergie est socialement et économiquement intéressante, d’autant qu’elle contourne les problématiques foncières en privilégiant le partenariat plutôt que la propriété. Akesbi met également en avant la réorganisation au sein du ministère, avec la création de nouvelles entités telles que l’Agence de développement agricole (ADA), l’Office national du conseil agricole (CNCA) et l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), ainsi que la mise en œuvre du plan au niveau régional et par filière, une première au Maroc. Cette approche par filière s’est concrétisée par la signature de 19 contrats-programmes alors que 20 nouvelles conventions seront signées lors du Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM) qui se tient à Meknès du 2 au 7 mai.
Akesbi s’arrête aussi sur les tares du plan étatique piloté pendant 12 ans par Akhannouch. Selon lui, le PMV n’a pas pris en considération le profil de l’agriculteur marocain dans l’élaboration d’une approche favorisant la diversification des cultures : l’agriculteur marocain étant préoccupé par sa propre sécurité alimentaire et celle de son élevage.
Aux yeux du spécialiste, le PMV est issu d’une approche techniciste axée sur un modèle productiviste qui n’a pas suffisamment pris en compte les exemples d’autres pays, notamment en Europe, où ce type de modèle a eu des conséquences néfastes telles que l’appauvrissement des sols, l’épuisement des ressources naturelles et les émissions de gaz à effet de serre. Akesbi met en garde contre les effets pervers et inverses de la micro-irrigation au Maroc, qui risquent de compromettre l’objectif d’économie d’eau de 40%.
Pourtant le PMV a bénéficié d’atouts considérables : la stabilité de l’instance gouvernementale, avec le même ministre à la tête du département, ainsi qu’un climat favorable et une pluviométrie propice globalement sur la période 2008-2020. Le plan a aussi bénéficié de conditions de financement avantageuses, avec un montant total de 115 MMDH, soit une moyenne de 13,3 MMDH par an, comparé à 1 MMDH en 2000. Il mentionne également les 34 MMDH provenant du Fonds de développement agricole (FDA).
En ce qui concerne la culture sucrière, la superficie cultivée atteint 70.000 hectares, contre un objectif de 106.000 hectares, ce qui représente un taux de réalisation de 66%. En termes de couverture de la consommation nationale par la production locale, le taux est passé de 41% en 2008 à 49% en 2019, loin de l’objectif fixé à 62% en 2020.
Pour la culture oléicole, le taux de réalisation en 2019 est de 89%, avec une superficie de 1.073.000 hectares, contre un objectif de 1.200.000 hectares. En ce qui concerne les exportations, le taux de réalisation des objectifs fixés pour 2020 est de 50% pour les olives de table et de 12% pour l’huile de table.
De même, la superficie des céréales, qui devait être réduite à 4,2 millions d’hectares selon le PMV, est passée de 5,14 millions d’hectares en 2000/2001 à 5,5 millions d’hectares en 2016/2017.
En ce qui concerne les exportations agricoles, bien que l’objectif de 44 milliards de DH ait été atteint à 74% en 2018 avec des exportations de 32,6 milliards de DH, Akesbi souligne que les politiques agricoles sont largement axées sur l’exportation, ce qui accentue la dépendance aux marchés extérieurs, malgré le déficit commercial persistant et un taux de couverture moyen de 52%. Il met en garde contre l’importation de blé et d’huile de graine à hauteur de 98%, ce qui renforce cette dépendance.
Agropoles : un bilan en demi-teinte
Dans le cadre du PMV, l’Etat a décidé de créer des agropoles dans les régions agricoles prospères du Maroc, telles que Fès-Meknès, Berkane, Béni Mellal, Agadir, El Haouz et El Gharb. Il s’agit de plateformes qui offrent toutes les conditions nécessaires pour la création, le développement et l’implantation de projets agroalimentaires. Ces sites sont répartis en pôles pour soutenir les filières agro-industrielles telles que les agrumes, l’oléiculture, les viandes, la biscuiterie, la chocolaterie, la confiserie, les pâtes et le couscous.
Si l’aménageur public MedZ parle de succès pour ces plateformes, les professionnels ne sont pas convaincus de l’engouement martelé dans la communication gouvernementale. Selon plusieurs agrégateurs, la livraison des sites connaît beaucoup de retard et il est difficile pour un groupement d’agriculteurs de bénéficier des incitations prévues dans les agropoles. Pour les agropoles les plus performantes comme celles de Meknès et de Berkane, la moitié de la superficie est encore inexploitée.
Un ingénieur agronome français avait soutenu pendant les années 1980, lors des terribles années de sécheresse qui avaient mis à rude épreuve l’économie marocaine, que même si on cultivait toute la superficie du Royaume en céréales, le pays ne pourrait pas assurer son autosuffisance en blé, orge et maïs. En 2007, le Royaume a voulu diversifier ses cultures en les répartissant intelligemment entre les régions. Maraîchage et arboriculture ont été repensés selon les contraintes géographiques et climatiques. Si ce travail a permis de booster la croissance du PIB agricole avec une évolution à deux chiffres pendant les années fastes, il a aussi déformé les piliers du PMV. D’un Maroc vert, on est passé à un Maroc jaune avec une exploitation excessive des ressources hydriques et l’exportation indirecte d’eau à travers les tomates et autres cucurbitacées. Aziz Akhannouch a appris des erreurs passées. Aujourd’hui, il multiplie les réunions avec les professionnels du secteur qu’il connaît bien. Il veut tout d’abord juguler l’inflation et faire taire les voix qui se sont levées pour se plaindre des prix excessifs des légumes dans un pays à vocation agricole. Il veut ensuite garantir la souveraineté alimentaire du Maroc voulue par le roi Mohammed VI.
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