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Tunisie : abstention record aux élections sur fond de crises politique et économique

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Les Tunisiens, davantage préoccupés par les problèmes économiques, ont massivement boudé les urnes ce dimanche 29 janvier 2023. Le second tour des élections législatives dans le pays a, en effet, été marqué par une participation très faible.

Près de 89% des électeurs ne sont pas allés voter pour le renouvellement du Parlement tunisien, dénué de réels pouvoirs face à Kaïs Saïed. Avec ce taux, il s’agit de l’abstention la plus élevée depuis la Révolution de 2011 ayant renversé le dictateur Ben Ali et marqué l’avènement de la démocratie dans le pays.

Selon les chiffres officiels annoncés par l’Autorité électorale Isie, le taux de participation s’est élevé à 11,4 %au deuxième tour des législatives. La participation était le principal enjeu du scrutin après une abstention au premier tour. Le chiffre préliminaire s’établissait, en effet, à 8,8 %, un record depuis l’avènement de la démocratie dans le pays berceau du Printemps arabe il y a 12 ans.

Lire aussi : Tunisie : la loi de Finances 2023 suscite mécontentement et critiques

Au total, «895.002 personnes» ont voté sur 7,85 millions d’inscrits, a annoncé le président de l’autorité électorale Isie, Farouk Bouasker, soit 11,4 % sur la base de chiffres définitifs contre 11,3 % annoncés dimanche soir sur la base de données provisoires.

Farouk Bouasker a donné un autre taux de 14,6 %, prenant en compte uniquement «les inscrits volontaires» sur les listes électorales, soit 5,8 millions de personnes, les autres ayant été enregistrés automatiquement à leurs 18 ans.

Tunisie : abstention record aux élections sur fond de crises politique et économique

Lors de l’annonce par l’Isie des résultats préliminaires du second tour des législatives, à Tunis, le 29 janvier 2023. © Yassine MAHJOUB / NurPhoto via AFP

«Il faut interpréter ce taux différemment. 90 % n’ont pas voté parce que le Parlement ne représente rien pour eux», a indiqué le président dans la vidéo, diffusée dans la soirée par la présidence.

Certains scrutins des 12 dernières années ont recueilli près de 70 % de participation comme les législatives d’octobre 2014, même si l’affluence avait reculé lors des élections les plus récentes.

Lire aussi : Les Tunisiens tournent le dos à Kaïs Saïed

Désaveu à Kaïs Saïed ?

Très peu de Tunisiens se sont déplacés pour élire un Parlement, infligeant un nouveau désaveu au président Kais Saied et aux réformes politiques qu’il impose depuis son coup de force de 2021, dans un pays surtout préoccupé par ses problèmes économiques. «Je ne vote jamais. Tous les secteurs économiques souffrent et Saied ne s’y intéresse pas», dénonce Mohamed Abidi, un serveur à Tunis.

Les jeunes qui l’avaient pourtant porté au pouvoir, en 2019, ont massivement boudé les urnes avec un peu moins de 5 % de votants ayant entre 18 et 25 ans. «Je n’ai pas confiance dans la classe politique. Saied pouvait faire un changement radical. Il […] n’a rien fait», déplore Omrane Dhouib, un boulanger abstentionniste interrogé à Tunis.

Les experts ont expliqué la faible affluence par divers facteurs dont un mot d’ordre de boycott du scrutin, notamment par les principales formations d’opposition, mais aussi par un désintérêt pour la politique d’une population focalisée sur la détérioration des conditions économiques.

À peine les résultats officiels annoncés, et malgré de profondes divisions qui l’empêchent de mobiliser dans la rue, l’opposition a dénoncé de façon unanime un processus qualifié de «coup d’État» et une «dérive dictatoriale» de Kaïs Saïed.

La principale coalition d’opposants a appelé à former un front uni et demandé le départ du président tunisien. Le Front de salut national (FSN), qui inclut le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, a appelé les autres partis d’opposition, la société civile et la puissante centrale syndicale UGTT à «travailler main dans la main pour créer le changement par le départ de Kais Saied et aller à une élection présidentielle anticipée».

Selon Ahmed Nejib Chebbi, président du FSN, le maigre taux de participation annoncé pour le deuxième tour des législatives, «prouve encore une fois l’échec total» de Kaïs Saïed. Cela veut dire que «près de 89% ont tourné le dos à cette pièce de théâtre et refusé de participer au processus» politique de Kaïs Saïed, a-t-il dit.

Candidats inconnus ?

Autre motif d’abstention selon les experts : la majorité des candidats étaient inconnus et sans affiliation politique. Les rares électeurs ont donc fait des choix personnels, les plus âgés disant surtout «accomplir leur devoir électoral».

Belhassen Ben Safta, 60 ans, entend ne «jamais laisser à l’ancien système (Ennahdha) la possibilité de revenir. Ils sont responsables de notre misère». A Gafsa (sud), deux quinquagénaires, sont venus voter pour un cousin, estimant «avoir le droit d’être représentés au Parlement».

Le principe de parité semble pourtant avoir vécu : il n’y a que 25 femmes élues pour 129 hommes. L’hémicycle tunisien accueille une soixantaine de partisans de Nidaa Tounes, parti fondé par le président défunt Béji Caïd Essebsi, au pouvoir de 2014 à 2019, ainsi que six élus proches du rappeur K2Rhym, l’ancien gendre de Zine el-Abidine Ben Ali, et probablement autant d’indépendants dans la mouvance du Parti destourien libre (PDL). Le parti Echaab, l’un des rares à ne pas avoir boycotté le scrutin et qui soutient Kaïs Saïed, n’obtient que 14 sièges.

L’élection de 131 députés – sur 161 sièges dont 30 déjà pourvus – représentait l’ultime étape du processus lancé il y a 18 mois par le président Kais Saied pour revenir à un système hyper-présidentialiste, similaire à celui d’avant la révolution de 2011 et la chute du dictateur Ben Ali.

Par ailleurs certains experts commentent qu’une partie de la population, partageant l’aversion de Kais Saied pour les partis politiques, approuve sa limitation des pouvoirs du futur Parlement qui pourra difficilement renverser le gouvernement et jamais ne pourra destituer le président.

«Vu le désintérêt» pour la politique, «ce Parlement aura peu de légitimité, le président, tout-puissant grâce à la Constitution de 2022, pourra le dominer à sa guise», avait déclaré à l’AFP Youssef Cherif, expert du Columbia Global Centers.

Deux ministres limogés

Lundi 30 janvier 2023 au soir, la présidence tunisienne a annoncé le limogeage des ministres de l’Agriculture et de l’Éducation, sans donner d’explications.

Le président tunisien Kaïs Saïed a décidé «un remaniement partiel en nommant Mohamed Ali Boughdiri comme ministre de l’Éducation», en remplacement de Fethi Sellaouti, a annoncé un communiqué de la présidence. Le ministre de l’Agriculture Elyes Hamza a lui aussi été remplacé par Abdelmomen Belati, a ajouté la présidence.

Ces deux nouveaux limogeages interviennent dans un contexte de tensions politiques, le pays étant en proie à de profondes divisions, et économiques, notamment les pénuries de produits de base. Le pays a aussi été agité ces derniers mois par plusieurs grèves dans les transports et dans l’éducation nationale, pour le paiement de primes et arriérés de salaires ou des régularisations de contrats précaires.

Début janvier, le président avait déjà limogé la ministre du Commerce Fadhila Rebhi Ben Hamza et Fakher Fakhfakh, le gouverneur de Sfax, deuxième ville du pays, engluée depuis des mois dans une crise autour de la gestion de ses déchets.

La ministre du Commerce avait été le premier membre du gouvernement de Najla Bouden, formé en novembre 2021, à être limogé par le président Saied.

Un pays au bord de l’asphyxie

La veille du second tour, l’agence de notation américaine Moody’s avait dégradé la note de la Tunisie, jugeant «plus élevé» le risque d’un défaut de paiement. Elle évoquait le manque de perspectives sur la mise en œuvre de réformes «face aux faiblesses de la gouvernance et à l’exposition aiguë [du pays] aux risques sociaux».

Dans une intervention sur les ondes de Radio Diwan FM, l’économiste Mohsen Hassen a estimé que la dégradation de la note souveraine du pays était prévue en raison des difficultés continues rencontrées par les finances publiques tunisiennes.

«Le taux d’abstention envoie de très mauvais signaux à l’international, car il crée un effet de loupe sur la crise politique aiguë que traverse le pays», met en garde le politologue tunisien Hamza Meddeb. «Nous nous trouvons dans une impasse. [Le président] Kaïs Saïed pratique désormais le populisme sans le peuple, le pays risque le défaut de paiement, et les partis d’opposition, sans poids réel, n’offrent pas d’alternative», déplore le chercheur.

Carthage est secouée par une crise financière qui s’est traduite ces derniers mois par des pénuries de nombreux produits de base, à savoir le lait, le sucre, le riz ou encore le café. Et 12 millions de Tunisiens ont, en effet, vu leur pouvoir d’achat dégringoler avec une inflation supérieure à 10%.

Enlisée dans une crise à cause d’un endettement avoisinant les 80 % du PIB, le pays est parvenu à la mi-octobre à obtenir un accord de principe du Fonds monétaire international (FMI) pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars, supposé soulager temporairement les finances de l’État, encore dans l’attente d’approbation finale.

Lire aussi : Tunisie : le président Kaïs Saïed est appelé à la démission après le fiasco des législatives

Le blocage des pourparlers viendrait de désaccords entre le président Saïed et son gouvernement sur le programme soumis à l’instance monétaire en échange de son aide. Kaïs Saïed hésite, selon les experts, à adopter des mesures impopulaires comme la levée des subventions sur les produits de base et une restructuration des entreprises publiques surendettées et aux effectifs pléthoriques.

Les négociations sont toujours en cours, et les résultats des élections risquent de les fragiliser. Une situation qui laisse présager une année 2023 «compliquée», s’est inquiétée, début janvier, la Banque centrale de Tunisie (BCT).

L’économiste Mohsen Hassen a, par ailleurs, dit craindre que le faible taux de participation à ce deuxième tour des élections législatives ne porte préjudice à l’image de marque de la Tunisie à l’étranger, notant que l’une des raisons ayant décidé le FMI à déprogrammer l’examen du dossier de prêt présenté par la Tunisie est justement le climat tendu qui marque le contexte tunisien, outre le retard mis dans l’adoption de certains textes de lois, l’absence d’un consensus national et la position de l’UGTT concernant le programme de réformes gouvernemental.

«Il paraît évident que la trajectoire politique de la Tunisie accroît la méfiance des bailleurs internationaux», analyse Antoine Basbous, politologue spécialiste du monde arabe. «Plutôt que de mettre en place des mesures économiques d’urgence, Kaïs Saïed s’est lancé dans une refonte des institutions pour instaurer un système ultra-présidentialiste».

Pour l’économiste, la communauté financière internationale suit de très près la situation politique en Tunisie et a sûrement pris acte du faible taux de participation au scrutin du dimanche 29 janvier, en tant que confirmation de l’instabilité politique dans le pays.

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