Temps de lecture : 10 minutes
Accueil / Articles Afrique / Afrique / Politique /
Sahel : le coup d’État au Niger sonne le glas de la sécurité
Temps de lecture : 10 minutes
Au neuvième jour du coup d’État survenu au Niger, les putschistes haussent le ton. Face à l’ultimatum de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la junte militaire menace. «La CEDEAO étant impersonnelle, toute agression ou tentative d’agression contre l’État du Niger verra une riposte immédiate et sans préavis des Forces de défense et de sécurité nigériennes sur un de ses membres», faisant allusion au Burkina Faso et au Mali, dirigés par des militaires et avec qui le Niger souhaite collaborer.
La médiation de la dernière chance
Dans une tentative de trouver une sortie de crise, une délégation de la CEDEAO est arrivée dans la nuit du 3 au 4 août à Niamey. Soit trois jours avant la date butoir qu’elle a fixé aux militaires pour rétablir le président Mohamed Bazoum. Plus tôt dans la journée, le président du Nigeria, Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO, avait demandé à cette délégation de «tout faire» pour une «résolution à l’amiable» de la crise au Niger.
L’organisation, qui devait «présenter les demandes de ses dirigeants» aux putschistes, est cependant repartie quelques heures plus tard de Niamey sans avoir rencontré le chef de la junte, a annoncé l’un de ses membres. «Les envoyés de la CEDEAO sont repartis» pendant la nuit de jeudi à vendredi et n’ont vu ni le général Abdourahamane Tiani ni le président renversé, a expliqué vendredi un des membres de la délégation.
Lire aussi : Niger, le chef de la junte « rejette en bloc » les sanctions de la CEDEAO
Face aux putschistes, les membres de la CEDEAO restent fermes. Le Sénégal se dit prêt à intervenir, dans le cas où l’option militaire serait retenue. La menace d’intervention militaire brandie par l’organisation régionale reste «la toute dernière option sur la table, le dernier recours», a déclaré mercredi, en ouverture de la réunion des chefs d’état-major de la CEDEAO, le commissaire de la CEDEAO chargé des Affaires politiques et de la Sécurité, Abdel-Fatau Musah. Pendant trois jours, les experts militaires planchent sur un plan pour une éventuelle stratégie à adopter sur le terrain.
Si pour l’heure, aucune option n’a été arrêtée, une source proche de la rencontre explique à RFI que, en cas d’intervention, on ne parlerait pas forcément d’un déploiement de grande envergure. Ce pourrait être dans un premier temps des interventions ciblées. Ensuite, il faudrait dégager les moyens. À ce stade, on parle d’une grande partie du financement qui sera interne. Quant aux hommes mobilisés, le Nigeria serait prêt à fournir la plus grande partie des troupes. Pour le moment, on n’évoque pas de troupes étrangères à la CEDEAO, mais une possible coopération internationale en matière de renseignements. Reste la date de l’éventuelle intervention. «Ce sont les politiques qui décideront», confie une source officielle dans l’organisation sous-régionale.
Lire aussi : Coup d’État au Niger, la CEDEAO menace d’intervenir militairement
Les doutes demeurent cependant quant à la marge de manœuvre réelle de l’organisation, dont la crédibilité a pu être entachée par sa gestion des précédents coups d’État dans la région. Si les soldats n’ont pas été mobilisés lors des coups d’État au Mali, au Burkina Faso et en Guinée ces dernières années, une intervention au Niger se justifierait, car «c’est le coup de trop», a estimé jeudi la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall.
«Si le Niger s’effondre, tout le Sahel s’effondre»
Le coup d’État au Niger pourrait avoir des conséquences «dévastatrices» pour le monde et faire passer l’ensemble de la région du Sahel sous «influence» de la Russie, via les mercenaires du groupe Wagner, écrit le président Mohamed Bazoum dans une tribune parue jeudi 3 août au soir dans le Washington Post. Par conséquent, «j’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel», ajoute Mohamed Bazoum dans une rare déclaration publique.
Regarder aussi : Niger : une «atmosphère très contrastée dans les rues de Niamey»
Preuve de cette influence, une organisation liée au groupe Wagner a récemment diffusé un message présumé du chef de ces mercenaires, Evguéni Prigojine, qui affirme que le putsch au Niger, tenait de la «lutte contre les colonisateurs». De plus, des jeunes favorables aux putschistes ont été aperçus arborant des drapeaux russes dans les rues de la capitale.
Des responsables américains assurent toutefois ne pas avoir d’indications d’une implication de Wagner dans les événements au Niger. Pourtant, ils craignent que ces mercenaires, implantés au Mali et soupçonnés de l’être au Burkina Faso voisin, tentent de tirer avantage de la situation. Les États-Unis ont appelé à la libération du président Bazoum et soutiennent les efforts de négociation menés par les pays de l’Afrique de l’Ouest. «Nous ne pensons pas que la junte a consolidé son pouvoir», a ajouté le responsable, soulignant par ailleurs que les sanctions de la CEDEAO commençaient à «faire mal».
La Russie, dont l’influence ne cesse de grandir dans la région, a appelé pour sa part à un «dialogue national» pour «empêcher une nouvelle dégradation de la situation dans le pays». «Nous pensons que la menace de l’usage de la force contre un État souverain ne contribuera pas à désamorcer les tensions», a estimé la porte-parole du ministère des Affaires étrangères russes.
Une chasse aux sorcières
Séquestré depuis que son gouvernement a été renversé le 26 juillet dernier, Mohamed Bazoum exhorte, dans les colonnes du média américain, que ce coup d’État cesse, se disant craindre pour le futur de son pays «sous une junte autocratique sans vision et sans alliés fiables». «J’écris ceci à titre d’otage», lance-t-il. «Ce coup (…) n’a aucune justification et s’il réussit, cela aura des conséquences dévastatrices pour notre pays, notre région et le monde entier», souligne le président. «Dans la région trouble du Sahel, au milieu de mouvements autoritaires qui se sont imposés chez certains de nos voisins, le Niger est le dernier bastion pour le respect des droits», poursuit-il dans ce texte publié en anglais.
«La chasse aux sorcières ne fait que commencer», craint un membre de l’entourage de Mohamed Bazoum, reclus, affirmant que certains ministres et conseillers de l’ancien régime sont actuellement «traqués» par les putschistes. En effet, neuf jours après la séquestration du président Bazoum à Niamey, plusieurs responsables militaires de haut rang ont été arrêtés en Sierra Leone, autre pays d’Afrique de l’Ouest, accusés de planifier des événements susceptibles de «saper la paix et la tranquillité de l’État».
Dans un entretien à l’AFP, l’ambassadeur du Niger à Washington, Kiari Liman-Tinguiri, a appelé la junte à «revenir à la raison». «Si le Niger s’effondre, c’est d’abord tout le Sahel qui s’effondre, qui sera déstabilisé […], et vous aurez Wagner et les terroristes qui contrôleront l’Afrique de la côte à la Méditerranée», a-t-il prévenu, avant d’être démis de son poste par Niamey dans la soirée.
Lire aussi : Coup d’État au Niger, l’évacuation des ressortissants étrangers se poursuit
La junte militaire a également annoncé mettre fin aux «fonctions» d’ambassadeurs du Niger dans d’autres pays, dont la France. «Il est mis fin aux fonctions des ambassadeurs extraordinaires et plénipotentiaires de la République du Niger (…) auprès de la République française», du «Nigeria», auprès de «la République togolaise» et «auprès des États-Unis», indique le même communiqué.
Les putschistes au Niger dirigés par le général Tiani ont, par ailleurs, déclaré jeudi soir dénoncer plusieurs accords militaires conclus avec la France, qui concernent notamment le «stationnement» du détachement français et le «statut» des militaires présents dans le cadre de la lutte antiterroriste, dans un communiqué lu à la télévision nationale. «Face à l’attitude désinvolte et à la réaction de la France relativement à la situation», «le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP, militaire au pouvoir) décide de dénoncer les accords de coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense avec cet État», a déclaré le colonel major Amadou Abdramane, membre des putschistes.
Regarder aussi : Coups d’État au Sahel, une «tendance inquiétante» pour l’ONU
Les signaux de la station RFI en FM et de la chaîne France 24 ont été coupés jeudi après-midi «sur instructions des nouvelles autorités militaires», a indiqué un haut fonctionnaire nigérien. Le groupe France Médias Monde a dénoncé l’interruption de la diffusion des programmes, «une décision prise hors de tout cadre conventionnel et légal», selon un communiqué.
Le ministre français des Affaires étrangères a, lui aussi, «très fermement» condamné la suspension de la diffusion de ces médias. «La France réaffirme son engagement constant et déterminé en faveur de la liberté de la presse, de la liberté d’expression et de la protection des journalistes (…)», a encore déclaré le ministère français des Affaires étrangères dans un communiqué.
#Niger | La France condamne très fermement la suspension de la diffusion de France 24 et de RFI au Niger.
Communiqué intégral➡️ https://t.co/5LO8zHl3zX pic.twitter.com/IYg1sVcuQ1
— France Diplomatie🇫🇷🇪🇺 (@francediplo) August 3, 2023