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Paludisme : innover face aux résistances du parasite
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Dans son rapport 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue les personnes atteintes du paludisme à travers le monde à près de 250 millions. Et l’Afrique subsaharienne concentre l’écrasante majorité des victimes. La région compte 95% des cas de paludisme dans le monde. 80% sont des enfants de moins de cinq ans. L’OMS déplore que le continent continue de «supporter une part importante et disproportionnée de la charge mondiale du paludisme».
Plus de la moitié de tous les décès dans le monde se concentrent dans quatre pays africains : le Nigeria (31,3 %), la République démocratique du Congo (12,6 %), la Tanzanie (4,1 %) et le Niger (3,9 %). Pour le docteur Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, il faut «de toute urgence des financements nécessaires au déploiement des nouveaux outils, pour vaincre le paludisme».
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Peter Sand, le directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, indiquait fin 2022 que certaines parties de l’Afrique qui n’étaient pas touchées par le paludisme étaient désormais à risque. Si le 25 avril, Journée mondiale du paludisme, permet d’habitude de «célébrer les progrès que nous avons faits», cette année, «il faut tirer la sonnette d’alarme», affirme-t-il.
Avec l’impact du changement climatique sur la distribution des moustiques porteurs du paludisme, l’invasion et la propagation rapide de nouvelles espèces de moustiques, ainsi que l’émergence de parasites du paludisme résistants aux médicaments et de moustiques résistants aux insecticides, la lutte pour l’élimination et l’éradication du paludisme est devenue aujourd’hui encore plus difficile.
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Une endémie qui résiste
Les moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII) constituent le principal outil de lutte dans la plupart des pays concernés. Si une distribution record de ces dispositifs a été effectuée en 2020 et en 2021, la maladie peine à être endiguée.
Parmi les causes, l’organisation onusienne note «les mutations des parasites, qui ont une incidence sur l’efficacité des tests de diagnostic rapide, la résistance croissante des parasites aux antipaludéens, et l’invasion, en Afrique, d’un nouveau moustique».
Ce moustique, l’Anopheles stephensi, arrivé en provenance d’Asie et de la Péninsule arabique, semble résister à bon nombre d’insecticides utilisés actuellement et survit également aux très fortes températures. 29 pays africains ont constaté que l’insecte était devenu résistant aux pyréthrinoïdes (ou pyréthroïdes).
Pour y faire face, l’OMS a lancé deux stratégies pour aider le continent : miser sur les traitements, mais aussi sur la prévention. Parmi les innovations, figurent de nouvelles moustiquaires, BPO Nets et G2, ont été mises au point. Celles-ci sont «imprégnées de nouvelles associations d’insecticides (ndlr, pyréthroïde et pyriproxyfène ou chlorfénapyr) à longue durée d’action ainsi que d’autres innovations en matière de lutte antivectorielle, dont des appâts ciblés qui attirent les moustiques, des répulsifs aériens et des solutions de génie génétique ciblant les moustiques».
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Dans les zones dans lesquelles la première a été déployée, «la mortalité due au paludisme a reculé de 40%», souligne le Dr Corine Karema, directrice générale par intérim du Partenariat pour faire reculer le paludisme (Roll back Malaria). Les chercheurs de l’Imperial College de Londres ont aussi mesuré une baisse du paludisme dans les cinq pays où la deuxième a été testée (Cameroun, Côte d’Ivoire, RDC, Tanzanie et Togo).
Du côté des traitements, une nouvelle méthode plus simple d’administration est prônée pour les enfants de moins de cinq ans dans les régions sahéliennes où le parasite est très saisonnier. La chimio-prévention saisonnière (CPS) consiste en un traitement de trois jours, pendant quatre mois, juste avant la saison pluvieuse. «Elle a donné de très bons résultats au Sénégal et au Burkina Faso, avec une baisse de la prévalence du paludisme dans les communautés», explique le Dr Karema.
Distribuée à large échelle, depuis 2020, cette prophylaxie a été adoptée en 2021 par 13 pays d’Afrique dont le Bénin, le Niger et le Togo.
Par ailleurs, de nouveaux tests de diagnostic sont actuellement mis au point, de même que des médicaments de nouvelle génération visant à contrer la résistance croissante aux antipaludéens.
Une maladie qui résiste aux traitements, mais pas que. Selon les experts, les catastrophes météorologiques augmentent significativement le nombre de victimes.
Le changement climatique, nouveau facteur de propagation
Au Malawi, le cyclone Freddy – qui a provoqué en mars l’équivalent de six mois de précipitations dans ce pays d’Afrique de l’Est – a fait bondir les cas de paludisme, a précisé à l’AFP Peter Sands. «Ce que nous avons vu dans des endroits comme le Pakistan ou le Malawi constitue une preuve réelle des conséquences qu’a le changement climatique sur le paludisme», a-t-il estimé.
En effet, l’augmentation des précipitations augmente potentiellement le nombre de sites de reproduction des moustiques vecteurs, comme ceux qui transmettent le paludisme, qui se reproduisent dans les plans d’eau stagnants et temporaires.
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«Vous avez ces événements météorologiques extrêmes, que ce soit des inondations au Pakistan ou un cyclone au Malawi, après lesquels beaucoup d’eau stagne sur place». «Nous avons observé une hausse très nette des infections et des décès liés au paludisme dans les deux cas», a-t-il expliqué.
Dans une récente étude publiée dans la revue Biology Letters et sur la base de données couvrant les 120 dernières années, des chercheurs du Georgetown University Medical Center ont découvert que les moustiques responsables de la transmission du paludisme en Afrique, Anopheles stephensi, se propagent plus profondément en Afrique australe et à des altitudes plus élevées que celles enregistrées précédemment.
Un rythme qui correspond à l’accélération du changement climatique dans ces zones et peut expliquer pourquoi le paludisme s’est étendu au cours des dernières décennies, ont déclaré les chercheurs de l’université de Georgetown. Ces derniers avertissent que ces résultats ont de graves implications pour les pays qui ne sont pas préparés à faire face à la maladie.
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«Si le paludisme empire en raison du changement climatique, il faut agir maintenant pour faire reculer (la maladie) et l’éliminer», a alerté Peter Sands. Alors que l’impact du changement climatique sur les moustiques est plutôt clair, son effet sur la transmission du paludisme reste à documenter.
Vaccin, l’espoir se profile à l’horizon
Après trente années de recherche intensive, deux nouveaux vaccins contre le paludisme ont été mis sur le marché. Depuis octobre 2021, l’OMS recommande une large utilisation du vaccin antipaludique RTS,S/AS01 chez l’enfant dans les zones infectées.
«Déjà mis en œuvre dans trois pays d’Afrique (le Ghana, le Kenya et le Malawi), le premier vaccin antipaludique de l’histoire, le RTS, S développé par le géant pharmaceutique britannique GSK, a fait l’objet d’une demande à l’Alliance du vaccin Gavi de la part de 21 États du continent pour une mise en œuvre l’an prochain», le temps de préparer la logistique et de sensibiliser leur population. Gavi a pu mobiliser 160 millions de dollars, de 2022 à 2025.
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Un autre vaccin, R21/Matrix-M, en deuxième phase de test sur quatre au total, a été développé par des scientifiques de l’Université d’Oxford. «Il a été testé au Burkina Faso et est efficace à 75% après 12 mois chez les enfants». Il a reçu mi-avril le feu vert des autorités ghanéennes pour être utilisé dans ce pays, une première pour ce vaccin qui suscite beaucoup d’espoir.
Le vaccin britannique pourrait, en effet, représenter un tournant dans la lutte contre la maladie, selon une équipe de recherche internationale, dans la revue Lancet Infectious Diseases.
L’OMS doit encore approuver le nouveau vaccin R21 à la fin des derniers essais qui sont toujours en cours au Burkina Faso, au Kenya, au Mali et en Tanzanie. Les résultats sont attendus dans le courant de l’année.
D’ici à 2030, l’OMS espère réduire d’au moins 90% la mortalité causée par le paludisme. Mais pour Peter Sands, les vaccins ne sont pas «une solution magique», notamment en raison de leur coût et de la difficulté d’un déploiement à grande échelle.