Niger : la CEDEAO prête à intervenir si le dialogue échoue
Les chefs d’état-major de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont au Ghana pour deux jours (17 et 18 août) pour discuter de l’éventualité d’une intervention militaire au Niger, si les négociations avec les putschistes venaient à échouer, et des questions logistiques et stratégiques qu’elle comporterait. Ils prévoient de se quitter lors d’une cérémonie de clôture vers 18 heures (GMT+2) selon le programme de la réunion.
Une seconde réunion qui se tient dix jours après que la conférence des chefs d’État de la CEDEAO a donné son feu vert pour une opération militaire en vue de restaurer l’ordre constitutionnel.
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À l’ouverture de la rencontre à laquelle ont pris part les plus hautes autorités militaires de l’organisation communautaire à l’exception du Mali, du Burkina, de la Guinée du Niger et du Cabo Verde, le président du comité des chefs d’état-major de la CEDEAO, le général Christopher Musa de l’armée nigériane a rappelé que la «démocratie ne doit pas être étouffée» dans l’espace régional.
La CEDEAO est prête à «répondre à l’appel du devoir» et à intervenir militairement au Niger si les efforts diplomatiques pour revenir sur le coup d’État militaire échouent. C’est ce qu’a déclaré Abdel-Fatau Musah, le commissaire de la CEDEAO chargé des affaires politiques, de la paix et de la sécurité, lors du sommet d’Accra ce jeudi 17 août. Et d’insister : «par tous les moyens disponibles, l’ordre constitutionnel sera rétabli dans le pays et la réunion d’aujourd’hui en témoigne».
Tout est déjà prêt, a affirmé un haut représentant de la CEDEAO, le but de ce sommet, est de choisir la date de l’intervention, souligne l’envoyé spécial de RFI à Accra, François Hume-Ferkatadji.
Une opération risquée
«L’objectif de notre réunion n’est pas simplement de réagir aux évènements, mais de dessiner de manière proactive un chemin qui mène à la paix et soutient la stabilité» au Niger, avait déclaré le chef d’état-major du Nigeria, le général Christopher Gwabin Musa, lors de l’ouverture de cette réunion entre responsables militaires des pays de la CEDEAO.
Abdel-Fatau Musah accuse la junte qui a renversé Mohamed Bazoum le 16 juillet de «jouer au chat et à la souris» avec l’organisation sous-régionale. «Ils prétendent qu’ils sont prêts à discuter, mais alors même qu’ils nous disent qu’ils sont prêts à discuter, ils cherchent des raisons pour justifier un coup d’État injustifiable», a-t-il déclaré, alors que les putschistes ont refusé de rencontrer pour l’instant les émissaires de la CEDEAO.
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Quant à l’intention de la junte nigérienne de juger le président déchu, Abdel-Fatau Musah l’a condamnée, à l’instar des Nations unies qui réclament la libération de Mohamed Bazoum et le commissaire de la CEDEAO d’avertir : «Si les gardes présidentiels en Guinée et au Niger, j’utilise le mot, ont pris en otage leur président, personne, et je dis bien personne, en Afrique de l’Ouest, n’est à l’abri».
Le chef d’état-major du Nigeria le concède : «notre chemin n’est pas un chemin facile». «Personne ne veut entrer en guerre», a aussi dit le ministre ghanéen de la Défense qui ajoute : «mais vous êtes aujourd’hui face à l’Histoire», si cette junte reste au pouvoir, «plus personne en Afrique de l’Ouest n’est en sécurité».
Le commissaire chargé des affaires publiques de la CEDEAO, Abdel Fatau Musah, a déclaré que «les vaillantes forces de l’Afrique de l’Ouest sont prêtes à répondre à l’appel du devoir» contre «l’inflexibilité des militaires au pouvoir». Il explique que la force en attente a déjà assez d’hommes pour une opération, qu’elle possède des ressources propres, que le soutien financier des pays occidentaux n’est pas obligatoire, même si cette «aide serait bienvenue».
Le huis clos de la première journée a donc été consacré à la répartition de la force d’attente par pays contributeurs, affirme Jean-Luc Aplogan. La taille de la force et le nombre de soldats que chaque pays fournira ne sont pas encore connus. Mais une source présidentielle à Abuja a déclaré à la BBC que la CEDEAO voulait faire une «démonstration de force» pour convaincre les putschistes nigériens qu’elle était prête à mettre sa menace à exécution. «Le but ultime est d’essayer d’amener le général Abdourahmane Tchiani à la table du dialogue», a-t-il déclaré.
Jérôme Pigné, président et co-fondateur du réseau de réflexion stratégique sur la sécurité au Sahel, affirme à France 24 que la CEDEAO pourrait mobiliser plusieurs milliers d’hommes, la Côte d’Ivoire ayant déjà annoncé pouvoir fournir un bataillon de 800 à 1.100 soldats. Le bloc ouest-africain a d’ailleurs au moins sept opérations militaires à son actif, sous le régime de la force en attente, remarque Jérôme Pigné.
Si les militaires discutent des modalités d’une possible opération armée pour rétablir au pouvoir le président Mohamed Bazoum écarté depuis le 26 juillet, la CEDEAO semble toutefois encore privilégier la voie du dialogue. Les appels à un règlement pacifique de cette crise se sont d’ailleurs multipliés ces derniers jours, en particulier de la part des États-Unis.
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«La balle est dans la main de la junte, le CNSP, au Niger. S’ils se retirent du bord du gouffre, l’option militaire ne sera pas nécessaire. Mais nous voulons les avertir que toutes les options sont sur la table, et qu’aucune option n’est écartée», prévient Abdel-Fatau Musah, commissaire de la CEDEAO. Inflexibles, les militaires retiennent toujours prisonnier Mohamed Bazoum qu’ils comptent d’ailleurs poursuivre pour «haute trahison». Ils ont du reste mis en garde contre une «agression illégale et insensée» et promis une «riposte immédiate», le cas échéant.
Le président du Nigeria Bola Tinubu a averti que toute «nouvelle détérioration» de l’état du président du Niger Mohamed Bazoum, séquestré depuis le coup d’État militaire qui l’a renversé, aurait «de sérieuses conséquences», lors d’un entretien avec le président du Conseil européen Charles Michel, selon une responsable de l’UE. «Les conditions de détention du président Bazoum se détériorent. Toute nouvelle détérioration de son état de santé aura de sérieuses conséquences», a indiqué Tinubu, qui préside actuellement l’organisation régionale, lors d’un entretien jeudi, selon les propos rapportés vendredi par une responsable de l’UE.
Du temps pour mobiliser
Outre Abidjan, quatre autres pays au moins devraient participer. Il s’agit du Nigeria, du Sénégal, du Bénin et de la Guinée-Bissau qui s’ajoute et devrait confirmer sa participation avec moins de 500 personnes, si tout va bien et selon les informations du correspondant de RFI à Cotonou. Les militaires n’ont pas fini le travail de répartition commencé ce jeudi et il devrait être finalisé ce vendredi à la reprise des travaux.
Ce mécanisme d’intervention militaire dont dispose la CEDEAO peut, en effet, être activé en cas de «violation grave et massive des droits de l’homme et de l’État de droit» et «en cas de renversement ou de tentative de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu».
Aucun calendrier n’a été fixé pour l’activation et le déploiement des troupes. La nouvelle résolution prévoit une réponse «immédiate», mais les observateurs de la sécurité connaissant les rouages de la CEDEAO estiment qu’il faudra du temps avant que les troupes puissent être mobilisées.
«Ce ne sera pas facile pour la CEDEAO parce qu’il n’y a pas de force en attente», a déclaré Mike Ejiofor, consultant en sécurité basé à Abuja. Il a également soulevé des questions sur les opérations de la force.
«Où sera située la base opérationnelle – au Nigeria ou au Bénin ? Comment les troupes seront-elles rassemblées ? Qui financera les opérations des forces ? Le Nigeria lutte contre l’insurrection islamiste et ses ressources sont épuisées. Le Nigeria portera le fardeau principal de tout déploiement militaire de la CEDEAO, car il compte sept États limitrophes du Niger. C’est le pays qui sera le plus touché», a-t-il affirmé.
Ejiofor préconise plutôt une solution politique à la crise du Niger. Il appelle également le gouvernement nigérian à définir l’intérêt national et les enjeux avant d’accepter la position de la CEDEAO.
L’Union africaine et la CEDEAO peinent à s’entendre
Devant la presse, Abdel Fatau Musah a défendu l’opération militaire sur le plan juridique et opérationnel. Sur la légalité de l’action militaire en vue au Niger pour rétablir la démocratie, il a rappelé que la CEDEAO a informé l’Union africaine (UA) et le secrétariat général des Nations unies, ajoutant que l’institution régionale a obtenu le soutien de ces deux organisations.
Cependant, Abdel Fatau Musah estime que l’organisation régionale n’a pas besoin de l’accord de l’ONU pour intervenir au Niger et a donné l’exemple de la Russie qui n’a pas eu recours au Conseil de sécurité et de paix des Nations unies pour son invasion en Ukraine.
«Nous connaissons notre concept d’opération, nous connaissons le risque. Nous connaissons les opportunités et nous mettons tout cela dans la phase de planification. La planification est virtuellement terminée. Pour l’instant, cette réunion porte sur les engagements et sur le moment où nous commencerons à marcher vers le pays», a-t-il affirmé.
La difficulté du financement de cette opération est posée par certains observateurs. Mais, selon le commissaire aux Affaires politiques, à la Paix et à la Sécurité de la CEDEAO, l’organisation est en mesure de porter financièrement cette intervention militaire. «Mais toute aide extérieure sera la bienvenue», a-t-il souligné.
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Concernant une possible confrontation avec le Mali et le Burkina, Abdel Fatau Musah répond que ces pays ne contrôlent pas leurs frontières avec le Niger, où opèrent l’État islamique et le Jnim. «Si j’étais eux, je me concentrerais sur les défis sécuritaires à l’intérieur» de leur propre territoire, a-t-il prévenu. Les gouvernements de Ouagadougou et de Bamako
ont mis en garde «contre les conséquences désastreuses d’une intervention militaire au Niger qui pourrait déstabiliser toute la région».
L’UA, elle, rejette l’idée d’une intervention militaire au Niger et se désolidarise donc du positionnement de la CEDEAO, rapportent plusieurs sources. Alors que l’option d’une intervention militaire est toujours sur la table de l’organisation régionale, l’UA aurait opté pour un rejet catégorique de l’usage de la force pour rétablir la situation au Niger.
Selon des informations du média d’investigation Africa Intelligence, au cours d’une réunion d’urgence du Conseil Paix et Sécurité (CPS), tenue le 14 août pour statuer sur le règlement du conflit interne au Niger, l’Union se serait désolidarisée du bellicisme ambiant prôné par la CEDEAO. Une information aussi rapportée par Le Monde, qui décrit une réunion «tendue», «interminable», «de plus de dix heures», citant des diplomates. L’organisation devait officialiser sa position le 16 août.
«Certains, au sein du Conseil, ont souhaité pouvoir émettre des réserves et demander des clarifications dans la séquence qui pourrait conduire», a confié une source diplomatique africaine à RFI. Signe des points de désaccord, aucun communiqué n’a été publié à l’issue du Conseil.
Selon un diplomate africain, qui a participé à la réunion, les pays d’Afrique australe et d’Afrique du Nord se sont montrés tout à fait réfractaires à l’idée de toute intervention militaire.