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Kamala Harris en Afrique : concrétiser les engagements américains ou contrer Pékin et Moscou ?

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La vice-présidente américaine, Kamala Harris, lors de son point de presse à l’attérissage à l’aéroport d’Accra, au Ghana, le 26 mars 2023. © Ernest Ankomah

Après Jill Biden et Antony Blinken, c’est au tour de Kamala Harris de visiter le continent africain. La vice-présidente américaine a entamé le 26 mars sa tournée commençant par le Ghana. Une tournée qui devrait se poursuivre jusqu’au 2 avril avec comme ultime arrêt la Zambie. Dans le sillage de sa nouvelle stratégie africaine, Washington entend-elle ainsi rétablir ses liens avec l’Afrique ou serait-ce un jeu diplomatique pour contrer la présence grandissante de Pékin et de Moscou sur le continent, riche en ressources ?

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, a entamé dimanche dernier une tournée africaine. À l’agenda trois pays : le Ghana, la Tanzanie et enfin la Zambie. Un voyage qui fait suite à d’autres déplacements de hauts responsables américains cherchant à affirmer la présence américaine sur le continent après une longue absence.

Lire aussi : La première dame des États-Unis se rend en Namibie et au Kenya

Avec cette visite, les États-Unis chercheraient à concrétiser les engagements voulus il y a quelques mois par le président Joe Biden lors du sommet US-Afrique , tenu en décembre dernier à Washington, au cours duquel il a plaidé pour la création d’un vaste partenariat avec le continent.

L’avenir reste toutefois entre les mains des Africains. «Qu’on ne s’y trompe pas pour autant. Entre les discours mielleux et la réalité sur le terrain, il y a toujours un gros fossé que les Africains doivent s’efforcer de combler avec du patriotisme, de la solidarité entre eux, de la formation et un sens de responsabilité», note le quotidien guinéen Le Djely.

Tourner la page Trump

Alors que l’arrivée en 2008 de Barack Obama, premier président noir à la Maison-Blanche, avait suscité d’immenses espoirs, de nombreux dirigeants africains font régulièrement part de leur frustration quant à la politique américaine envers l’Afrique. Le continent encore trop perçu comme une série de problèmes – guerres, famines, etc. – plutôt qu’une terre d’opportunités.

Et l’enjeu est de taille pour l’Administration Biden afin de combler le retard pris par les États-Unis et accentué par les années Trump. Celui qui voyait dans L’Afrique qu’un ensemble de “pays de merde”, s’était en effet totalement désintéressé du continent.

Edem Selormey, qui mène des recherches sur l’opinion publique au Centre ghanéen pour le développement démocratique, précise à cet effet que cela transparaît dans «ce que les citoyens voient sur le terrain», comme les projets d’infrastructure, et «les États-Unis sont absents de ce tableau depuis un certain temps».

Cette page-là, le Démocrate a la ferme intention de la tourner. Pour y arriver, Kamara Harris doit apporter des preuves de la sincérité de son pays, notamment à travers la réalisation des nombreuses promesses jusque-là non tenues, et manifestement éviter plusieurs pièges, principalement celui de présenter les États africains comme des pions dans la stratégie géopolitique des États-Unis.

Mais le désir de réparer la politique de l’ancien président Républicain ne suffit pas à expliquer l’idylle que nourrit Joe Biden pour l’Afrique. Les derniers développements au niveau géopolitique sont de mise. L’invasion russe de l’Ukraine a sans aucun doute donné aux États-Unis un sentiment d’urgence supplémentaire pour convaincre plus de pays africains : les votes de l’ONU pour condamner la guerre russe en Ukraine ayant divisé les pays.

L’ombre chinoise plane

Ce voyage s’inscrit clairement au sein de la stratégie de Washington visant à freiner la présence grandissante de Pékin et de Moscou sur le continent. «Il ne fait aucun (mystère) que nous sommes engagés dans une compétition avec la Chine, très clairement, pour concurrencer la Chine à long terme», a déclaré un haut responsable américain lors d’un briefing sur la visite de Kamala Harris.

La rivalité entre les États-Unis et la Chine a été une toile de fond récurrente du voyage de Kamala Harris. Et nulle part cela n’a été plus apparent qu’en Zambie et lors de sa précédente étape en Tanzanie. Atterrissant ce vendredi à l’aéroport de Lusaka pour la dernière étape de son voyage, Harris verra un nouvel aéroport étincelant. «Plutôt qu’un symbole de développement local prometteur, il s’agit d’un rappel de l’influence profonde de la Chine dans ce pays», écrit l’Associated Press.

Avec 254 milliards de dollars de transactions en 2021, la Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial bilatéral de l’Afrique, selon l’Institut américain de la paix. Cela représente quatre fois le montant des échanges entre les États-Unis et le continent.

Pékin présente de fait une image puissante dans le monde en développement : «celle d’un pays qui a rapidement construit son économie et sorti une grande partie de sa population de la pauvreté», a fait remarquer Ian Johnson, un ancien journaliste basé en Chine qui travaille au Council on Foreign Relations, basé aux États-Unis..

Selon lui, les dirigeants africains pensent «voyons ce que nous pouvons apprendre de la Chine», ajoutant qu’«il y a une certaine fascination pour la façon dont ils l’ont fait».

«La plupart des pays africains ne s’excusent pas, à juste titre, de leurs liens étroits avec la Chine», a tweeté jeudi le vice-président du Nigeria, Yemi Osinbajo. «La Chine se montre là où et quand l’Occident ne veut pas et ou est réticent».

Alors que les prêts chinois suscitent de «vraies inquiétudes» au sein de l’administration Biden qui craint que l’Afrique ne glisse davantage dans la sphère d’influence de Pékin, le haut responsable de l’administration américaine a souligné que Washington ne cherchait pas à reproduire les méthodes de la Chine.

«Le Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique a clairement indiqué que notre relation avec l’Afrique ne peut pas, ne doit pas et ne sera pas définie par la concurrence avec la Chine. Le voyage du vice-président illustrera que nous avons un programme affirmatif en Afrique», a-t-il estimé, revendiquant un «programme positif en Afrique» reposant sur la transparence et des partenariats entre le public et le privé.

Un avenir plein d’espoir ?

Et lors de ce voyage, la vice-présidente a en effet choisi de se concentrer sur l’établissement de partenariats indépendants de la concurrence géopolitique, reconnaissant toutefois que les États-Unis ne disposaient que de peu de temps pour faire des percées sur le continent.

«Je pense qu’il y a une fenêtre, et nous avons fait un effort concerté et intentionnel pour démontrer notre engagement et notre volonté d’investir dans une relation», a-t-elle déclaré à la presse au début de son voyage. «Je pense que la fenêtre est définitivement ouverte aujourd’hui, et je pense que sur la base de ce que nous faisons maintenant, la fenêtre continuera à être ouverte. Mais cela dépendra des investissements que nous ferons à partir de maintenant pour créer l’élan nécessaire à la pérennité de cette approche».

En ce sens, Kamala Harris a fait, au cours de son voyage, une série d’annonces : plus d’un milliard de dollars de fonds publics et privés pour le développement économique, 100 millions de dollars pour l’aide à la sécurité en Afrique de l’Ouest et 500 millions de dollars pour faciliter le commerce avec la Tanzanie.

Le président américain avait, en décembre dernier lors du sommet pour les dirigeants africains, annoncé qu’il souhaitait consacrer 55 milliards de dollars au continent dans les années à venir.

Toutefois, le scepticisme règne quant à la capacité des États-Unis à tenir leurs promesses.

Trois pays, des priorités différentes

«Le contexte unique de chaque pays africain visité par la vice-présidente est essentiel à comprendre pour mieux cerner les opportunités que chacun d’entre eux offre aux États-Unis dans le but de trouver des domaines d’intérêt mutuel sur lesquels s’associer», analyse Landry Signé, Senior Fellow à Brookings Institution, et parrain de notre support Lebrief Afrique.

Dans un récent article paru, l’expert livre, pour ces trois pays, les principales priorités sur lesquelles l’Administration Biden devrait se pencher.

Tout d’abord, le Ghana, première étape de la tournée de Harris, avec lequel les États-Unis entretiennent des relations chaleureuses et amicales et qu’ils considèrent comme un partenaire économique important, les volumes d’échanges entre ces pays dépassant 1,2 milliard de dollars. Malgré une économie plus diversifiée que de nombreux autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Ghana connaît actuellement des niveaux élevés de dette publique et des niveaux record d’inflation accentués par la guerre en Ukraine et la pandémie liée à la Covid-19.

La vice-présidente a discuté de la crise de la dette et des cadres internationaux pour soutenir l’allégement et la restructuration de la dette, les réformes économiques et la mobilisation de l’importante diaspora ghanéo-américaine aux États-Unis pour créer, entre autres, une prospérité partagée. Elle a annoncé, lundi, 139 millions de dollars d’aide au pays.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, salue la population ghanéenne alors qu’elle va s’adresser à la jeunesse au Black Star Square à Accra, Ghana, le 28 mars 2023.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, salue la population ghanéenne alors qu’elle va s’adresser à la jeunesse au Black Star Square à Accra, Ghana, le 28 mars 2023. © MISPER APAWU / AFP

En Tanzanie, deuxième étape du voyage, la vice-présidente a salué les progrès accomplis par le pays en matière de démocratie, décrivant la présidente Samia Suluhu Hassan comme une «championne» de la démocratie. Elles sont toutes deux les premières femmes à occuper leurs postes respectifs, envoyant un signal fort au reste de l’Afrique et au reste monde que l’inclusion des femmes est une priorité absolue pour les États-Unis.

Ensuite, le pays a un fort potentiel pour un plus grand investissement américain. Kamal Harris a annoncé jeudi que l’Exim Bank, agence américaine de crédit à l’exportation, allait signer un mémorandum d’accord pour faciliter des exportations vers la Tanzanie d’une valeur de plus de 500 millions de dollars dans les secteurs du transport, des infrastructures, des technologies numériques et de l’énergie verte. Dans le secteur numérique, l’enjeu est crucial : la Tanzanie a un taux de pénétration dans les télécommunications de près de 100 %, bien que celui d’Internet ait été plus lent, avec moins de 25 % de la population connectée.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, et la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, lors du point de presse conjoint, le 30 mars 2023 à Dar Es Salam.

La vice-présidente américaine, Kamala Harris, et la présidente de la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, lors du point de presse conjoint, le 30 mars 2023 à Dar Es Salam. © Reuters

Enfin, en Zambie, même si la crise de la dette sera probablement un sujet de conversation majeur – le pays est devenu le premier pays africain à faire défaut sur sa dette en 2020, le fardeau atteignant près de 15 milliards de dollars -, la numéro deux américaine devrait profiter de cette visite pour poursuivre les engagements d’investissement existants et en prévoir de nouveaux. Bien que le commerce bilatéral ait été faible, l’intérêt des investisseurs, lui, augmente. En témoigne le US-Zambia Business Forum, qui a attiré en 2022 des centaines d’entreprises américaines et zambiennes dans une grande variété de secteurs tels que l’exploitation minière, les soins de santé et la technologie.

Il existe, en effet, un potentiel important d’investissement dans les minéraux essentiels à une transition verte sur lequel les États-Unis devraient se concentrer, notamment en trouvant des domaines où la valeur peut être ajoutée dans le pays. À titre d’exemple, le ministre zambien des Finances a identifié les États-Unis comme un partenaire idéal pour investir dans des moyens de créer des produits finis à partir de cuivre qui peuvent soutenir le système d’énergie verte.

Alors que les engagements qui ont émergé du Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique couvrent de nombreux sujets, notamment le partenariat sur les droits de l’homme, la démocratie et l’inclusion des femmes, l’approfondissement du commerce et des investissements bilatéraux reste la clé de voûte du voyage africain de Kamala Harris.

L’élan découlant de ce que les États-Unis considèrent comme un Sommet réussi, il est essentiel que la visite de la vice-présidente réitère ces priorités et que l’administration continue de trouver des moyens de tirer parti de ses «points forts». Kamala Harris réussira-t-elle ce pari ?

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