Intelligence artificielle : où en est l’Afrique ?
L’IA, une technologie en constante évolution qui simule l’intelligence humaine dans les machines et logiciels, est en train de révolutionner les secteurs sociaux à l’échelle planétaire. Les études prévoient que l’IA pourrait contribuer jusqu’à 15.700 milliards de dollars à l’économie mondiale d’ici 2030. L’Afrique, elle, devrait récolter près de 1.200 milliards de dollars, soit une augmentation de 5,6 % du produit intérieur brut (PIB) du continent.
Entre potentiel transformateur et défis à surmonte
Sandra Makumbirofa, économiste principale chez Research ICT Africa, a mis en avant le potentiel transformateur de l’IA pour dynamiser les économies africaines. Cette performance pourrait être réalisée par le biais d’une inclusion financière accrue, la création d’emplois et l’amélioration de la prestation des services publics. Elle a cependant souligné que l’essentiel des bénéfices économiques de l’IA est actuellement capté par les États-Unis et la Chine, faisant écho à une étude de la CNUCED. Elle appelle donc à une participation active des pays africains dans les enceintes internationales afin de défendre leurs intérêts.
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Lors d’une discussion, animée par Dorothy Ooko, directrice de la communication et des affaires publiques pour l’Afrique chez Google, le secrétaire exécutif Claver Gatete a abordé le manque de connaissance général sur l’IA et les défis liés à la dépendance des systèmes d’IA aux données précises. Il a insisté sur l’importance de développer des infrastructures, telles que la connectivité Internet, pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA, soulignant la nécessité d’une collaboration entre pays pour partager la technologie et les innovations.
Gatete a relevé que parmi les 1,6 milliard d’individus non connectés à travers le monde, une grande partie se trouve en Afrique. «Sans connexion, il est impossible de bénéficier des avantages de l’IA. Les infrastructures et les investissements dans le secteur énergétique, indispensables au développement informatique, sont cruciaux», a-t-il conclu, soulignant le besoin urgent d’investissements dans ces domaines pour avancer.
IA et emploi en Afrique
L’intelligence artificielle se profile aussi comme une opportunité pour générer de l’emploi parmi les jeunes africains actuellement sans travail, à condition que les activités des entreprises internationales soient régulées pour prévenir toute forme d’exploitation. L’IA, qui permet aux logiciels informatiques d’effectuer des tâches complexes de manière autonome, est un domaine en plein essor sur le continent africain, avec de nombreuses startups spécialisées offrant leurs services à des entreprises globales. Ce secteur en croissance offre des perspectives d’emploi pour de nombreux jeunes, bien que l’inquiétude demeure quant au risque d’exploitation de travailleurs sous-payés, notamment dans le cadre de la collecte de données pour entraîner des logiciels d’IA.
L’Afrique, avec sa main-d’œuvre économique comparée à d’autres régions, devient une destination privilégiée pour les entreprises recherchant une alternative à l’Inde pour l’implantation de leurs centres d’appels, en particulier dans les pays d’Afrique de l’Est comme le Kenya, le Rwanda et l’Ouganda. Ces pays offrent de nombreux avantages, dont une main-d’œuvre anglophone abordable, une connexion internet stable et un faible décalage horaire avec l’Europe, constituant ainsi une solution avantageuse pour les deux parties.
Cette situation pose une question politique importante tant pour les dirigeants africains que pour la communauté internationale, qui doivent veiller à l’amélioration des conditions de travail et à la protection des droits des travailleurs tout en exploitant le potentiel de création d’emploi offert par l’IA.
Entre innovation et vigilance réglementaire
Les experts reconnaissent les bénéfices de l’IA dans divers secteurs tels que l’agriculture et la santé, en soulignant son rôle dans la gestion optimale des données, des infrastructures, ainsi que des ressources naturelles sous-exploitées. Toutefois, ils alertent sur les dangers associés, notamment le stockage des données africaines par des multinationales hors du continent et l’exploitation potentielle de réglementations lacunaires pour mener des expérimentations non régulées.
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Face à cette technologie disruptive évoluant rapidement, il est crucial que les politiques réglementaires soient mises en place non seulement pour encadrer son utilisation mais aussi pour encourager une adoption proactive de l’IA sur le continent. Avec un potentiel de contribuer à l’économie mondiale et africaine, l’IA doit être orientée de manière à servir l’intérêt public.
Il est donc impératif que les gouvernements africains établissent des réglementations et encouragent les acteurs des chaînes de valeur de l’IA, en se focalisant particulièrement sur le soutien aux PME, pour stimuler l’innovation et garantir un accès juste et équitable aux technologies d’IA.
Souveraineté numérique et IA
L’affirmation de la souveraineté numérique doit être au cœur de la stratégie africaine pour embrasser pleinement l’ère numérique. Il est essentiel que les gouvernements africains conçoivent des cadres éthiques pour encadrer le développement et l’utilisation de l’Intelligence Artificielle, en se concentrant sur la protection de la vie privée, la sécurité des données, la transparence et la responsabilité des systèmes IA. L’Afrique a également un besoin impérieux de collecter et de contrôler ses propres données, encourageant ainsi une politique de démocratisation des données pour en garantir l’accès équitable.
À l’heure de l’IA générative, maîtriser cette technologie devient un enjeu de souveraineté numérique face à l’appétit des géants technologiques. Sans intervention immédiate, l’IA risque d’accentuer les disparités entre les nations. La «colonisation numérique» par l’IA est une menace sérieuse, avec le risque que les pays africains soient réduits à adopter des technologies étrangères sans pouvoir préserver leur indépendance numérique. Ce danger inclut notamment l’exploitation des talents locaux, l’Afrique devenant un réservoir de main-d’œuvre formée aux technologies internationales plutôt qu’aux solutions locales.
Un autre risque majeur est celui du »pillage des données», une pratique déjà en cours qui menace la propriété des données africaines. Cette nouvelle forme de colonisation pourrait permettre des expérimentations risquées sur le continent, exacerbant les inquiétudes liées à l’intersection de l’IA avec d’autres technologies comme la biotechnologie ou la nanotechnologie dans le cadre de la quatrième révolution industrielle.
Face à ces défis, il est primordial de promouvoir une autonomie technologique africaine, encourageant l’émergence de solutions locales d’IA adaptées aux besoins spécifiques du continent. Cet effort vers une IA «made in Africa» vise à garantir la souveraineté numérique africaine, bien que cela nécessite de surmonter les obstacles liés au niveau actuel de développement technologique sur le continent.