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Emmanuel Macron en Afrique : quatre pays en quatre jours pour une «nouvelle relation»
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Emmanuel Macron a achevé samedi sa tournée en Afrique centrale, entamée quelques jours après un discours à Paris affirmant que le continent n’était plus un «pré carré» français, appelant à de nouveaux partenariats, loin des liens opaques et du soutien aux dirigeants en place hérités de la période coloniale.
Avec le même fil rouge : tourner définitivement la page de la «Françafrique» et construire une «nouvelle relation» avec le continent, le chef de l’État français a visité quatre pays en quatre jours, à savoir : le Gabon, l’Angola, le Congo et la République démocratique du Congo (RDC).
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«Cet âge de la Françafrique est bien révolu», a lancé jeudi depuis Libreville, le président français. «J’ai parfois le sentiment que les mentalités n’évoluent pas au même rythme que nous quand je lis, j’entends, je vois qu’on prête encore à la France des intentions qu’elle n’a pas, qu’elle n’a plus (…) Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre» sur le continent, a-t-il martelé, alors que l’opposition gabonaise l’accusait d’apporter son soutien au président Ali Bongo Ondimba, fils et successeur d’Omar Bongo, en pleine année électorale.
Prenant exemple sur le sommet pour la préservation des forêts tropicales, co-organisé par la France et le Gabon mercredi et jeudi à Libreville, Emmanuel Macron a répété sa volonté de «bâtir un partenariat équilibré», de mettre en place un nouveau «logiciel», reposant sur «l’humilité» et de «porter des causes communes» avec les pays du continent, pour le climat, la biodiversité et les enjeux économiques et industriels du XXIe siècle. De nouveaux partenariats en rupture avec les pratiques opaques de la «Françafrique» et ses réseaux d’influence hérités du colonialisme.
Angola, nouveau «pivot» de la France en Afrique
Les relations que la France entend développer avec cette ancienne colonie lusophone, indépendante depuis 1975, illustrent la nouvelle approche française à destination du continent, à l’instar d’autres «pays pivots régionaux» que sont l’Éthiopie, le Nigeria ou le Kenya.
Dans la matinée du vendredi 03 mars, Emmanuel Macron a rencontré son homologue angolais, João Lourenço, à Luanda, où il a participé à un forum économique centré sur l’agriculture, avec la présence de plus de 50 entreprises françaises, avant de se rendre à Brazzaville.
Le président français était accompagné de représentants de grands groupes céréaliers, de spécialistes du développement d’infrastructures comme Meridiam et de TotalEnergies.
Des accords de coopération ont été conclus pour renforcer la filière agricole angolaise, alors que le pays lusophone d’Afrique australe importe une grande partie de ses produits alimentaires.
«Ça correspond à l’idée que je me fais du partenariat économique entre le continent africain et la France», a expliqué le chef d’État français devant une centaine de participants. À savoir «répondre aux défis de l’Angola avec les acteurs qui sont les nôtres, les solutions qui sont les nôtres, plutôt que de venir plaquer des solutions toutes faites, et le faire en défendant nos intérêts de part et d’autre de manière respectueuse mais déterminée».
C’est une «stratégie de souveraineté alimentaire à laquelle nous croyons pour le continent africain», consistant à «bâtir des partenariats équilibrés et réciproques» et à développer du «’made in Africa’ qui doit devenir une référence», a-t-il dit.
Visite express à Brazzaville
Emmanuel Macron a atterri à Brazzaville, la capitale du Congo, en provenance de Luanda, en Angola, où il n’y a passé que quelques heures avant de rejoindre dans la soirée Kinshasa, la capitale de la RDC, en proie aux groupes armés.
Lors de cette visite express, le président français a rencontré le président congolais Denis Sassou Nguesso, soulignant parmi les sujets d’intérêts bilatéraux le volet «mémoriel, historique et culturel».
Le président congolais a de son côté énuméré les sites historiques et touristiques que le président français pourrait voir à Brazzaville quand il viendra plus longtemps, allusion à sa visite que beaucoup de Congolais ont jugée trop courte.
«Je voudrais remercier le président Macron pour l’honneur qui est fait aux Congolais. Je dois préciser que je l’attends ici. Je l’attends ici lorsque nous lancerons le sommet des trois bassins» (les trois grands bassins forestiers du monde), a lancé le président congolais.
Avant son départ, dans un discours devant la communauté française, il a réaffirmé son ambition de «dépoussiérer» la relation avec l’Afrique et souhaité que «l’amitié» avec le Congo s’appuie sur les pages «glorieuses» de leur histoire commune «pour bâtir des pages nouvelles, réinventées».
L’étape de Brazzaville, où Denis Sassou Nguesso règne d’une main de fer depuis près de 40 ans, apparaissait quelque peu à contre-courant de la nouvelle orientation de l’Hexagone.
Dernière étape, Kinshasa
Après Brazzaville, Emmanuel Macron a franchi le fleuve Congo dans la soirée pour arriver à Kinshasa. Lors de leur conférence de presse commune, les deux dirigeants ont disserté sur la fin de la «Françafrique».
«Je l’ai encouragé à ce sujet parce que j’estime que la Françafrique est dépassée», a d’abord esquissé le président de la RDC. «Si la France veut être aujourd’hui en compétition avec tous les autres partenaires de l’Afrique, elle doit se mettre au diapason de la politique africaine et de la manière dont les peuples africains regardent désormais les partenaires de coopération», a averti Félix Tshisekedi.
Alors que la France y est accusée de soutenir le Rwanda plutôt que Kinshasa, confronté à une rébellion dans l’est du pays – majoritairement le groupe tutsi du M23 (« Mouvement du 23 Mars ») -, Emmanuel Macron tente d’obtenir une désescalade dans l’est du pays. Ses efforts de paix restent toutefois contestés à Kinshasa.
«Le pillage à ciel ouvert de la République démocratique du Congo doit cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre», a martelé le président de la République française samedi à la mi-journée. Ce dernier venait de déplorer l’«agression injuste et barbare» dont son pays estime être victime.
Le chef de l’État français n’a toutefois pas condamné à proprement parler le Rwanda, se refusant à toute «escalade de tribune» sur ce sujet sensible, mais lancé de fermes mises en garde à Kigali.
Une visite qui intéresse peu
La visite du président français a intéressé «assez modérément» les habitants des pays traversés, selon François Soudan, directeur de la rédaction du journal Jeune Afrique. Le journaliste poursuit : «d’ailleurs, on ne fait plus ces fameux accueils populaires qu’il y avait à l’époque de De Gaulle, Pompidou, Giscard, ça n’existe plus. Maintenant, il y a un certain désintérêt et un certain éloignement par rapport à la France et ce qu’elle représente».
Dans l’Hexagone, les Français sont nombreux à être pessimistes quant à l’avenir des relations entre la France et l’Afrique. En effet, le dernier sondage d’Odoxa Backbone Consulting réalisé pour Le Figaro, six Français sur dix estiment que la présence française en Afrique est importante, mais 62% se montrent pessimistes pour l’avenir et à mettent en doute la capacité d’Emmanuel Macron d’instaurer «une nouvelle relation équilibrée, réciproque et responsable». Une présence française oui, mais pour des raisons bien précises. Ainsi, une nette majorité estime que celle-ci est importante pour la défense des intérêts économiques français (61%), pour l’aide au développement (60%), la sécurité du continent africain (58%), le rayonnement culturel de la France (57%) et la lutte contre l’immigration clandestine (56%).