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Cyberattaques : les banques africaines dans le viseur

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La deuxième édition du baromètre de l’industrie financière africaine réalisé par Deloitte et Jeune Afrique, livre une analyse approfondie des défis et des opportunités auxquels sont confrontées à moyen terme les institutions financières. Deux enjeux stratégiques majeurs s’en dégagent : la transformation digitale et la cybersécurité. Aristide Ouattara, associé Leader Industrie financière chez Deloitte Afrique francophone décrypte ces enjeux.

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Abashi Shamamba pour Lebrief Afrique : À quoi renvoie l’expression « industrie financière » dans votre baromètre ?

Aristide Ouattara : Au sens de cette enquête, l’industrie financière comprend tous les acteurs qui produisent des services financiers en tête desquels se trouvent les banques, les sociétés d’assurance et une troisième catégorie composée d’opérateurs de niches tels que les fintechs, les sociétés de gestion d’actifs et les sociétés d’intermédiation sur les marchés des capitaux.

 

A.S : Votre étude conclut à un très haut niveau de confiance des dirigeants en l’avenir malgré des incertitudes qui pèsent sur les économies africaines. Comment expliquez-vous le contraste avec le diagnostic des agences de notation financière ?

A.O : Permettez-moi d’abord d’apporter une petite précision. Notre enquête a été réalisée avant la crise qui a éclaté suite à la faillite de la Silicon Valley Bank, la banque de la tech américaine et les récents déboires de Credit Suisse.

Ceci étant dit, nous pensons que sur le plan macroéconomique, les fondamentaux justifiant cette confiance des dirigeants existent. Le fait que l’industrie financière africaine parte d’un niveau assez bas, ses leaders voient naturellement des perspectives de croissance plus importantes de la demande en services financiers. Pour revenir à votre remarque sur les agences de notation, je pense qu’elles ont un prisme très occidental de la situation des économies africaines. Ce n’est pas une critique, mais juste un constat. Je ne fais qu’interpréter ce que disent les gens. Ce décalage illustre la déconnexion entre les opérateurs qui vivent au quotidien les réalités sur le terrain et les analystes de ces agences qui, avec un regard externe basé sur des « standards » internationaux, en tirent des projections moins optimistes.

 

A.S : Votre remarque rejoint un peu celle de quelques personnalités qui reprochent aux agences de notation leur prétendue sévérité envers les Etats africains. Est-ce vraiment la faute du thermomètre si le patient a de la fièvre ? 

A.O : Je ne vais pas entrer dans ce débat, les agences de notation financière sont aussi nos partenaires. Tout ce que je peux dire est qu’il existe des bonnes raisons de s’interroger sur la pertinence des notations souveraines. Il y a plusieurs zones de questionnement.

Pour revenir à l’industrie financière, en Afrique, il n’y a quasiment aucune banque commerciale notée « investment grade » (ndlr : BBB chez S&P Global Ratings) parce que les ratings des banques sont alignés systématiquement sur la notation souveraine de leur pays. Tant qu’il n’y aura pas de titres obligataires d’Etats africains classés dans la catégorie « investment grade », quelle que soit sa santé financière et ses perspectives, aucune banque, ni compagnie d’assurance africaine ne pourra prétendre à cette notation. On peut légitimement se poser des questions sur ce genre d’extrapolation. Je rappelle que la Silicon Valley Bank qui a fait faillite aux Etats-Unis était beaucoup mieux notée que plusieurs groupes bancaires du continent. La bonne nouvelle est que des agences de notation africaines sont en train d’émerger et la prise de conscience par les grandes agences mondiales de l’importance d’adapter leur approche.

 

A.S : La cybersécurité est la préoccupation centrale des dirigeants de la finance africaine. Étonnement, ils passent sous silence l’expérience-client.

A.O : Je ne le pense pas. La banque par exemple, va vivre au quotidien la réalité du client dans ses enjeux de gestion opérationnelle. La préoccupation par rapport au risque de cybersécurité tient au fait que celui-ci est permanent dans la gestion de l’expérience-client. Si ce risque devient crucial aux yeux des dirigeants, c’est à lier avec le fil rouge de notre baromètre qui est l’innovation et la transformation de l’industrie financière. Et dans ce processus, un gros effort d’investissement est fait dans la digitalisation et des partenariats avec les fintechs. Ce qui signifie que l’exposition au risque de cybersécurité ne fait qu’augmenter.

Si ce risque préoccupe tant les dirigeants de l’industrie financière, c’est parce que le moindre sinistre peut avoir de gros impacts. Le premier est d’ordre réputationnel qui, derrière, va avoir une incidence sur les clients au travers la diffusion des données personnelles. Cela entache gravement l’image de la banque. Le deuxième niveau d’impact est financier. Une banque victime d’une attaque cyber se voit souvent réclamer une rançon par les hackers qui se chiffre en millions de dollars.

 

A.S : Avez-vous le sentiment que les banques mettent le paquet pour se prémunir contre ces attaques ?

A.O : Nous avons d’ailleurs réalisé une étude spécifique consacrée à ce point. Lorsque nous échangeons avec les dirigeants des banques, il apparaît qu’elles sont en train d’investir, mais pas suffisamment à notre goût. Il ne s’agit pas seulement d’acheter des solutions techniques, mais de mettre en place un vrai dispositif de gestion de la cybersécurité assorti d’une stratégie qui intègre en amont l’exposition à ce risque car un sinistre de cybersécurité coûte dix fois plus cher lorsqu’il est détecté en aval par rapport à celui qui est identifié en amont.

 

A.S : Quelle est l’ampleur des cyberattaques dans l’industrie financière du continent ?

A.O : Je n’ai pas les derniers chiffres en tête, mais avec la guerre en Ukraine, tous les secteurs en Europe ayant considérablement renforcé leur défense contre ce phénomène, les « attaquants » commencent à s’orienter vers les zones les plus faibles, notamment l’Afrique. Nous le voyons tous les jours, le nombre de cyberattaques a augmenté. Il y a clairement une inflation des attaques en ligne qui deviennent encore plus sophistiquées qu’auparavant.

 

A.S : La transformation digitale est l’autre chantier prioritaire des dirigeants. Mais quand on voit la galère des clients pour se faire rembourser un sinistre automobile auprès d’une assurance à Dakar, Niamey ou Ouagadougou, cela prête presque à rire.

A.O : Vous avez totalement raison. Par rapport au précédent baromètre, il y a une certaine incohérence dans les propos des dirigeants sur la perception de la maturité dans la transformation digitale. Étrangement, certains se sont positionnés pour cette édition à une échelle inférieure de celle où ils étaient précédemment. En matière de transformation digitale orientée client, il y a une forte hétérogénéité entre les banques, voire au sein du même groupe bancaire entre services. Certains peuvent être très avancés alors d’autres peuvent se retrouver encore à l’âge de la pierre. Dans ce domaine, le juge de paix est, et sera toujours le client.

Propos recueillis par Abashi SHAMAMBA

Les messages essentiels de l’enquête

65% des dirigeants d’institutions financières (banques, assurances, sociétés de gestion d’actifs), soit 2 sur 3, considèrent leur industrie de plus en plus attractive. D’autre part, les avancées majeures récentes telles que le déploiement du projet pilote du Système de Paiement et de Règlement Panafricain ou la mise en ligne de la plateforme d’interconnexion permettant la négociation de titres cotés en bourse sur les sept places boursières continentales dont Casablanca), renforcent ce regain d’optimisme.

L’industrie financière reconnaît, toutefois, faire face à des pressions à court terme, telles que l’inflation. En effet, si elle persistait, cette pression pourrait contraindre les opérateurs à adapter leur approche commerciale (pour plus de 40% des répondants) ou leur tarification (pour plus d’un sondé sur deux) afin de limiter l’impact sur leur rentabilité et leur solvabilité.

Les cryptos sont une opportunité, mais…

La menace grandissante représentée par les risques de cybersécurité constitue un autre point de vigilance. Pour la 2e année consécutive, ce risque arrive en tête des préoccupations des dirigeants devant le risque opérationnel.

La transformation digitale reste un chantier prioritaire étant donné que moins de 10% des institutions interrogées estiment avoir atteint le niveau espéré. La mutation rapide du secteur est également portée par le phénomène de l’open data ou open banking/insuring. Ce phénomène permet aux institutions financières traditionnelles d’innover en ouvrant leurs systèmes aux fintechs. Près de 38% des dirigeants interrogés déclarent avoir déjà initié de tels partenariats. En parallèle, 63% considèrent les cryptoactifs comme une opportunité qui nécessite cependant un encadrement par les régulateurs.

Ces grandes ambitions restent néanmoins entravées par des difficultés structurelles dont la faible profondeur des marchés financiers, la limitation des instruments d’atténuation des risques et la faiblesse, voire l’absence de réglementation sur certaines thématiques émergentes dont la finance digitale.

Méthodologie de l’enquête

À travers une trentaine de questions adressées aux dirigeants d’institutions financières, cette enquête, menée en septembre 2022, offre un tour d’horizon des enjeux et perspectives de la transformation du secteur. Ce baromètre est publié dans un contexte marqué par la faillite soudaine de deux banques régionales américaines et les déboires de l’ex-géant Crédit Suisse racheté par UBS. L’impact de cette crise sur l’industrie bancaire africaine est en cours d’analyse (à travers un sondage additionnel adressé aux participants de l’enquête fin mars 2023), mais ne devrait pas changer fondamentalement les riches enseignements tirés de cette enquête.