Temps de lecture : 6 minutes

Accueil / Articles Afrique / Afrique / Avis d'expert / Banques : devoir de discernement et vigilance, un double verrou contre les créances douteuses

Banques : devoir de discernement et vigilance, un double verrou contre les créances douteuses

Temps de lecture : 6 minutes


Temps de lecture : 6 minutes

Lorsqu’elles saisissent la justice pour contraindre leurs débiteurs défaillants, voire de mauvaise foi, à régler leurs dettes, il arrive que les banques essuient quelques revers par manque de vigilance et d’anticipation. Les emprunteurs de mauvaise foi s’engouffrent dans n’importe quelle brèche juridique pour se soustraire à leurs obligations vis-à-vis de leurs créanciers. Me Mouhamed KEBE, un des meilleurs spécialistes du droit des affaires de l’espace Ohada et associé-gérant du cabinet Geni & Kebe, rappelle que les banques ne devraient pas s’affranchir de l’obligation de discernement lors de l’instruction du dossier du crédit.

Temps de lecture : 6 minutes

Abashi Shamamba pour Lebrief Afrique : De ce que vous relevez au quotidien, quels sont les facteurs qui expliquent les difficultés qu’éprouvent les banques dans le processus de recouvrement judiciaire des créances dans la sous-région de l’UEMOA ?

Me Mouhamed Kebe : Les facteurs sont multiformes et divers. Nous ne pouvons lister toutes les difficultés, mais nous retiendrons certaines d’entre elles que nous estimons essentielles. Certaines difficultés liées au recouvrement des créances émanent directement et généralement des prêteurs professionnels, au moment de l’établissement des garanties. En effet, au moment de la rédaction des contrats de garanties, les parties sont tenues, du moins le prêteur, doit s’assurer du respect des mentions obligatoires suivant les différentes catégories de garanties, sous peine de nullité ou d’inefficacité.

Par ailleurs, d’autres difficultés sont relatives aux lenteurs judiciaires. Entre la date de saisine d’une juridiction et celle de la réalisation définitive des garanties et/ou du recouvrement effectif, il se passe un temps anormalement long pour le créancier. Ces lenteurs peuvent se justifier par le manque et/ou la mutation du personnel de la justice. Ce qui peut avoir un impact sur la délivrance des actes judiciaires et qui peut, dans certains cas, donner au débiteur le temps d’organiser son insolvabilité.

Mieux, l’obtention d’une décision de justice condamnant le débiteur au paiement n’est que le début dans la procédure de recouvrement. Cette décision ne garantit pas aux créanciers l’effectivité du recouvrement des créances.

Certaines contraintes sont enfin liées à lourdeur et à la complexité des procédures, sans occulter la problématique de la localisation des débiteurs et l’identification de leur patrimoine (notamment pour les créances non garanties). Aujourd’hui, d’expérience, il est apparu que les adresses indiquées par les débiteurs sont soit inexactes, fausses ou tout simplement inexistantes. Cette situation rend très difficile la mise en œuvre de la procédure de recouvrement des créances.

En conclusion, l’environnement juridique dans l’espace OHADA ne rend pas assez facile le recouvrement des créances. Ce qui peut avoir un impact sur l’accroissement du risque de crédit.

A.S. : Certains de vos confrères affirment que les débiteurs de mauvaise foi seraient « trop protégés » par la législation. Quel est votre avis?

M.K. : Je n’irai pas jusqu’à dire que les débiteurs de mauvaise foi seraient « trop protégés ». En réalité, les débiteurs, qui sont généralement défendeurs dans les procédures de recouvrement judiciaires, profitent souvent de la porosité législative et des lenteurs judiciaires. Tout de même, il existe manifestement des insuffisances législatives de manière à contraindre certains débiteurs, notamment ceux dits de mauvaise foi. C’est le cas de l’institution d’interdire aux débiteurs dits de mauvaise foi de pouvoir souscrire à des prêts pour un temps bien déterminé.

Comment expliquer que des entrepreneurs défaillants en arrivent à poursuivre leur banquier pour « abus de crédit » et que certains obtiennent gain de cause ?

M.K. : Il est vrai que les banques sont libres d’accorder des prêts à leurs clients. Toutefois, cette liberté peut trouver ses limites dans le soutien abusif, pouvant être appréhendé comme un abus de crédit de la part des banques. Les concours financiers accordés aux clients en situation irrémédiablement compromises laissent croire que lesdits clients sont solvables. Or, ces crédits ne créent qu’une apparence trompeuse sur la solvabilité réelle des clients bénéficiaires.

Ainsi, la banque peut voir sa responsabilité civile engagée dès lors qu’elle accepte de soutenir financièrement ses clients à travers des concours financiers alors qu’elle a connaissance de leur situation irrémédiablement compromise. C’est dire que les banques sont tenues à un devoir de discernement et de vérification.

En quoi selon vous, ces difficultés impactent-elles le coût du crédit et le niveau des garanties exigées par les banques aux PME ?

M.K. : Il est vrai que les difficultés auxquelles font face les banques constituent un facteur d’accroissement du coût du crédit et du niveau de garanties exigées. Il convient de noter que dans le processus de l’octroi des crédits, la banque tient fondamentalement compte de la solvabilité du débiteur. À l’échéance du prêt, si elle ne parvient pas à se faire rembourser, soit à l’amiable ou suivant la procédure d’exécution forcée, elle perd naturellement une partie de sa créance.

Pour combler ce risque de perte, ou disons le risque d’impayés, les banques se retrouvent dans l’obligation de renforcer les garanties, ce qui peut être constitutif de facteurs bloquants pour les entreprises consommatrices de crédits.

Au delà du cas des banques, n’est-ce pas la question de la sécurité juridique qui est posée, avec ses conséquences sur l’attractivité des pays de la sous-région ?

M.K. : Il est clairement indiqué dans le préambule du Traité de l’OHADA que cette Organisation poursuit particulièrement l’objectif de sécurité juridique et judiciaire, en disposant que le droit des affaires harmonisés doit «garantir la sécurité juridique des activités économiques».

La réalisation de cet objectif a été d’ailleurs l’une des raisons fondamentales, si ce n’est l’unique, de la création de l’OHADA. Cette sécurité juridique favorise l’essor des activités économiques et permet de promouvoir les investissements dans l’espace OHADA.

Tout investisseur, soit-il une banque, est à la recherche d’une sécurité juridique pour ses investissements. Naturellement, tout créancier est à la recherche d’un système juridique lui permettant d’avoir une procédure de recouvrement rapide, sûre et peu couteuse. À cet effet, un effort majeur a été fourni par le législateur OHADA, notamment à travers l’acte uniforme portant organisation des sûretés et celui portant procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.

Toutefois, il convient de noter que la pratique du recouvrement des créances dans l’espace OHADA a montré toutes les limites de la réglementation communautaire sur la question. C’est le cas notamment de l’exécution des décisions de justice, la résistance de certaines juridictions nationales par rapport à l’application du droit OHADA. Sur cet aspect, le juge a un rôle prépondérant à jouer.