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Bamako veut prendre en main sa souveraineté

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Assimi Goita, chef du Conseil militaire et président de la transition du Mali. © DR

En moins d’une semaine, le Mali aura fait deux déclarations fortes. D’une part, le pays rompt l’accord d’Alger, supposé rétablir la paix à laquelle aspire le pays depuis 2015. Et d’autre part, avec le Burkina Faso et le Niger, le Mali quitte l’organisation économique régionale, la CEDEAO, dont ils étaient tous trois membres fondateurs en 1975. Ces deux événements sont-ils annonciateurs d’un chamboulement de l’ordre régional ?

La junte au pouvoir au Mali a officialisé jeudi dernier la «fin, avec effet immédiat», de l’important accord d’Alger signé en 2015 avec les groupes indépendantistes du nord du pays, longtemps considéré comme essentiel pour stabiliser le pays. Après des mois de dégradation des relations avec Bamako, les groupes indépendantistes signataires de l’accord d’Alger ont repris les hostilités en 2023.

La junte a invoqué «le changement de posture de certains groupes signataires», mais aussi «les actes d’hostilité et d’instrumentalisation de l’accord de la part des autorités algériennes, dont le pays est le chef de file de la médiation», indique un communiqué lu à la télévision d’État par le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement installé par les militaires. Parmi différents griefs, la junte reproche à l’Algérie d’héberger des bureaux de représentation de certains groupes signataires de l’accord de 2015 et devenus «des acteurs terroristes».

Après avoir dénoncé «une perception erronée des autorités algériennes, qui considèrent le Mali comme leur arrière-cour ou un État paillasson, sur fond de mépris et de condescendance», le régime malien «exige des autorités algériennes de cesser immédiatement leur hostilité».

Rébellion touarègue de 2012

L’insurrection malienne de 2012 (aussi désignée sous le nom de rébellion touarègue ou soulèvement touareg de 2012 ou guerre de l’Azawad) est un conflit armé qui, au nord du Mali, a opposé l’armée malienne aux rebelles touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), né fin 2011 de la fusion de groupes rebelles, et au mouvement salafiste Ansar Dine, alliés à d’autres mouvements islamistes.

Il s’agit des premières actions du genre depuis un accord ayant mis fin à la rébellion en 2009. En effet, des rébellions ont touché le Mali et le Niger dans les années 1990 et au début des années 2000, avec une résurgence de 2006 à 2009. Communauté nomade d’environ 1,5 million de personnes, les Touaregs, membres de diverses tribus, sont répartis entre le Niger, le Mali, l’Algérie, la Libye, le Burkina Faso.

Le 17 janvier 2012, des combattants du MLNA attaquent de camps militaires maliens dans une ville du nord du pays. Les trois jours suivants, les structures militaires de deux autres villes sont ciblées. Les groupes touaregs exigeaient alors l’indépendance ou l’autonomie. «Cette nouvelle organisation a pour objectif de sortir le peuple de l’Azawad de l’occupation illégale du territoire azawadien par le Mali», indiquait son premier communiqué publié le 16 octobre 2011. L’Azawad, région naturelle considérée comme le berceau des Touaregs, s’étend de l’ouest au nord du Mali.

Bamako veut prendre en main sa souveraineté

Carte de la rébellion touareg au Azawad, au nord du Mali, indiquant les attaques des rebelles au 5 avril 2012. © DR

Cette insurrection, qui coïncide avec le retour de Libye de rebelles qui combattaient aux côtés de Kadhafi, a ouvert la voie à des groupes armés liés à Al-Qaïda qui ont conquis l’essentiel du Nord et divisé le pays pendant neuf mois en deux, et a, par la suite, déclenché une intervention militaire de la France – dans le cadre de l’opération Serval puis Barkhane – et plongeant le Sahel dans la guerre.

Durant ce soulèvement, le consulat algérien à Gao, l’une des principales villes du nord du Mali, a été saisi par au moins deux personnes portant des ceintures d’explosifs. Sept otages ont été pris, dont le consul. En ce qui concerne la déclaration unilatérale d’indépendance de l’Azawad, le Premier ministre algérien a déclaré qu’il n’accepterait jamais de «remettre en cause l’intégrité territoriale du Mali» que l’Algérie a prévu de coordonner avec le MNLA pour travailler à la libération des otages.

Lire aussi : Mali : l’ONU alerte sur les tensions croissantes dans le Nord

L’Algérie apporte une médiation cruciale pour mettre fin au conflit entre les groupes rebelles et les forces maliennes. Après un cessez-le-feu en 2014, les groupes armés à dominante touarègue ont signé en 2015 avec le gouvernement et des groupes loyalistes qui combattaient à ses côtés l’accord de paix dit «d’Alger», qui prévoyait plus d’autonomie locale et l’intégration des combattants dans une armée dite «reconstituée», sous l’autorité de l’État.

Dégradation des relations avec Alger à partir de 2020

Au lendemain de la prise de pouvoir au Mali par la junte militaire dirigée par le Colonel Assimi Goïta, l’alliance historique avec Alger est au bord de la rupture. Si l’accord d’Alger prévoyait notamment de rétablir la paix au Mali par une «régionalisation» – mais sans autonomie ni fédéralisme –, il est considéré par nombre d’observateurs comme «moribond».

D’un côté, la rébellion indépendantiste avait cessé ses combats, respectant de fait l’accord de paix, mais de l’autre, les violences terroristes se sont propagées au centre du pays, allant jusqu’à d’autres pays : au Burkina Faso et au Niger voisins. Puis avec le départ des troupes françaises et le retrait de la mission onusienne, la Minusma poussée à la sortie après dix ans de présence, les groupes armés se sont opposés à ce que les camps de la mission soient transférés à l’armée malienne, sur fond de rivalité pour le contrôle du territoire.

Lire aussi : Mali : l’armée reprend le contrôle de la ville stratégique de Kidal

En janvier 2023, les signes précurseurs d’une rupture totale surgissaient. Africa Intelligence a rapporté que l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est revenu «humilié» d’une visite ce mois-ci à Bamako où, en réaction à son appel à relancer les discussions autour des accords d’Alger, le chef de la junte malienne lui a opposé que «les problèmes du Mali se traitent au Mali». «L’accord n’a cessé de recevoir des coups de boutoir de la part des autorités maliennes qui ont tout fait pour en retarder la mise en œuvre», avait déclaré une source algérienne au Monde.

Le 20 décembre de la même année, l’ambassadeur algérien à Bamako est convoqué par le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, suite à des «actes inamicaux» et «une ingérence» d’Alger dans «les affaires intérieures» du Mali. Le ministre malien dénonce «les rencontres récurrentes, aux niveaux les plus élevés en Algérie, et sans la moindre information ou implication des autorités maliennes, d’une part avec des personnes connues pour leur hostilité au gouvernement malien, et d’autre part avec certains mouvements signataires de l’accord de 2015 et ayant choisi le camp des terroristes».

Lire aussi : Mali : un nouveau pas vers la rupture avec Alger

Mais l’accord recevra un rude coup supplémentaire le 31 décembre dernier, lorsque le président malien de la transition avait annoncé lors de ses vœux de Nouvel An la mise en place d’un «dialogue direct inter-malien». Sans médiation internationale contrairement à ce que prévoit l’accord d’Alger.

Rupture, désormais actée

«Désormais, il y a plus de négociations en dehors de Bamako. On ne va plus [… ] dans un pays étranger parler de nos problèmes», a fermement déclaré le premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, dans une vidéo publiée vendredi sur les réseaux sociaux. «Tous les canaux de négociations sont désormais fermés», a, pour sa part, dit à l’AFP Mohamed Elmaouloud Ramadane, porte-parole du Cadre stratégique permanent, alliance de groupes armés qui avaient signé l’accord de 2015 avant de reprendre les armes l’an dernier. «Nous n’avons pas d’autre choix que de livrer cette guerre qui nous est imposée par cette junte illégitime avec qui le dialogue est impossible.»

Au lendemain de la fin annoncée de l’accord, Bamako a créé un organe de dialogue purement national pour tenter de faire la paix. Le Comité de pilotage du dialogue inter-malien pour la paix «est chargé de la préparation et l’organisation» de ce dialogue, dit le décret signé par le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, et publié vendredi soir.

En réaction, le régime algérien, qui a dit avoir pris connaissance «avec beaucoup de regrets et une profonde préoccupation, de la dénonciation par les autorités maliennes de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger», a relevé la «gravité particulière de cette décision pour le Mali lui-même». Alger accuse de plus le gouvernement malien d’avoir œuvré depuis son arrivée au pouvoir à saper l’accord d’Alger. «En effet, il n’a échappé à personne que les autorités maliennes préparaient cette décision depuis bien longtemps. Les signes avant-coureurs depuis deux ans en ont été leur retrait quasi total de la mise en œuvre de l’accord, leur refus quasi systématique de toute initiative tendant à relancer la mise en œuvre de cet accord, leur contestation de l’intégrité de la médiation internationale», écrit le communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères.

Trois membres fondateurs de la CEDEAO quittent le navire

Aux côtés du Burkina Faso et du Niger, le gouvernement malien a annoncé dimanche qu’il quittait immédiatement la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). «Après 49 ans, les vaillants peuples du Burkina Faso, du Mali et du Niger constatent avec regret et grande déception que l’organisation (de la CEDEAO), sous l’influence de puissances étrangères, s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et de l’esprit du panafricanisme», a déclaré le colonel Amadou Abdramane, porte-parole de la junte nigérienne.

Les trois pays, membres fondateurs de l’organisation régionale en 1975 qui comptait jusqu’à l’annonce 15 pays membres, sont actuellement dirigés par des juntes militaires et ont été, de ce fait, suspendus du bloc régional avec les relations se sont détériorées depuis des mois. «L’organisation n’a notamment pas réussi à assister ces États dans leur lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité», a déploré le colonel nigérien, accusant le groupe de sanctions «inhumaines» pour annuler les coups d’État dans leurs pays.

Les pays sahéliens accusent de plus l’organisation de ne pas les avoir aidés face au terrorisme qui sévit depuis 2012, au Mali d’abord, puis aussi au Burkina et au Niger voisins, faisant des milliers de morts, combattants et civils, et provoquant le déplacement de millions de personnes. L’année dernière, les trois pays se sont retirés de la force internationale connue sous le nom de G5, pour former leur propre Alliance des États du Sahel (AES).

Dimanche, la CEDEAO a déclaré que les trois pays étaient des «membres importants de la Communauté» et que le bloc «reste déterminé à trouver une solution négociée à l’impasse politique». L’organisation a, de plus, déclaré ne pas avoir «encore reçu de notification formelle directe» de la part des pays concernant leur retrait.

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