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Au Sénégal, une démocratie en eaux troubles

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Le président du comité de pilotage du dialogue national, Moustapha Niasse, remet au président Macky Sall le rapport final du dialogue national, le samedi 24 juin 2023 au palais de la République. © DR

Après deux semaines de consultations, la Commission politique sénégalaise a livré, samedi 24 juin, ses conclusions du dialogue politique national au président Macky Sall. Sur les questions politiques, les participants à la consultation, tenue en l’absence de la coalition de l’opposition, sont parvenus à s’entendre sur 12 points majeurs sur 16. Pour le locataire du palais de la République, ce consensus «est une piste pour faire avancer la démocratie sénégalaise dans sa féconde diversité, fruit de débats francs et profonds» et pour restaurer un climat de confiance permettant d’aller vers «des élections apaisées et des compétitions saines». Et, selon lui, les points de non-accord sont en réalité des points de désaccord depuis 2019.

Lors d’une cérémonie officielle au palais de la République, à Dakar, en présence des principaux acteurs ayant pris part aux travaux, le président Macky Sall a reçu, samedi dernier dans l’après-midi, le rapport final des travaux du dialogue national.

Le président du comité de pilotage du dialogue national, Moustapha Niasse, s’est, pour sa part, félicité de «la maturité et de l’esprit d’ouverture» qui ont prévalu tout au long des travaux. Il a salué également «le temps record» dans lequel les commissions techniques du dialogue ont travaillé.

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«Les travaux ont commencé le 9 juin et ont été clôturés le 22 juin», a précisé, lors de sa prise de parole, le président du comité de pilotage. Saluant le travail qui a été réalisé par les 8 commissions techniques et une commission de synthèse, Niasse, ancien président de l’Assemblée nationale, a déclaré : «Nous avons adopté les propositions dans leur contexte, mais c’est vous qui entérinez. Nous avons élaboré des propositions, c’était notre mission et toutes les propositions sont là».

Le dirigeant sénégalais a, pour sa part, salué les conclusions du dialogue qu’il avait lancé le 31 mai dernier, parlant à ce sujet d’un «travail de qualité avec des propositions pertinentes et réalistes» qu’il dit avoir acceptées «globalement».

Nous nous sommes basés sur les ressorts de notre patrimoine culturel pour nous parler parce qu’il y a des moments dans la vie d’une nation où il faut pouvoir s’élever et aller à l’essentiel

— Macky Sall, président sénégalais

Le dialogue national a débouché sur 270 recommandations et propositions dont des «mesures phares» pouvant contribuer au développement économique et social du Sénégal, a souligné le rapporteur général des concertations lancées par le chef de l’État, Marie Angélique Savané.

«Je vous félicite pour ce travail de qualité avec des propositions pertinentes et réalistes que j’ai acceptées globalement. Je dis bien globalement», a dit le locataire du palais de la République. «Au-delà des questions politiques, vous avez planché avec beaucoup de perspicacité sur les grands dossiers du développement économique et social», a indiqué le président Sall, après la présentation du rapport final. Il se dit également «convaincu» que le dialogue constitue «un mérite de tout le peuple sénégalais». «Aucune institution internationale n’est venue nous imposer un dialogue. C’est quelque chose que nous avons tirée de nos propres ressorts culturels pour nous parler nous-mêmes», a-t-il fait valoir.

Le président sénégalais a invité l’exécutif à «examiner le rapport avec attention», dans une perspective de «transformer les propositions en mesures concrètes». «Les rapports de toutes les commissions seront examinés avec attention, notamment les recommandations qui doivent engendrer la prise de mesures pour améliorer les acquis et leur donner un contenu d’efficacité et de résilience», a indiqué le président Sall. Et pour donner à ces conclusions un «contenu plus efficace et de résilience», le chef de l’État a donné au gouvernement un délai d’une semaine, pour proposer à l’Assemblée nationale l’adoption de textes législatifs en procédure d’urgence.

Macky Sall s’est également réjoui de la participation, à ce dialogue national, de nombreux acteurs politiques et de la société civile ainsi que des partis dits non alignés, «guidés par les intérêts supérieurs de la nation». «Quand on a la majorité politique, on peut bien gouverner, mais il y a des moments, il faut agir par consensus», a-t-il poursuivi, ajoutant qu’il faut «du courage et de la maturité politique pour accepter de participer à un dialogue».

Sur des questions qui portaient sur les questions relatives à l’élection présidentielle et aux élections législatives et à la consolidation des acquis démocratiques, à la paix, à l’État de droit et à la stabilité du pays, les participants à cette consultation, tenue en l’absence de la coalition de l’opposition Yewwi askan Wi (libérer le peuple) et du Mouvement des forces vives du Sénégal F24, ont discuté, précise le rapport, de 16 sujets dont 12 points d’accord et quatre points de désaccord. Au terme de deux semaines de travaux, la Commission politique a acté un consensus sur plusieurs points conformément à son Code de conduite. Au total, neuf réunions ont été tenues, dont huit séances pour la plénière de la Commission politique.

Douze points d’accord, Karim Wade et Khalifa Sall, futurs candidats ?

Macky Sall s’est félicité également des douze points d’accord du rapport sur les 16 points à discuter. «En suivant la présentation, j’ai noté 12 points d’accord qui sont des points majeurs. (…) Chacun des 12 points est une piste pour faire avancer la démocratie sénégalaise dans sa féconde diversité», a-t-il soutenu. Ce qui représente, selon lui, «des consensus forts» devant permettre d’aller vers «des élections apaisées et des compétitions saines».

Il s’agit entre autres points, selon le rapport, du parrainage citoyen, du parrainage des élus, de la caution allouée à l’élection présidentielle, de la question des droits civiques et politiques des candidats, de la question de la candidature du président sortant, de la modification de l’article L.29 du Code électoral, du bulletin unique à l’élection présidentielle, de l’évaluation des organes de contrôle et de supervision des élections (CENA-CNRA), des modalités de contrôle et d’audit du Fichier électoral, de la révision de l’arrêt de la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI), en date du 23 mars 2015, des modalités de désignation du chef de l’opposition et enfin de la création d’un Comité de suivi.

La Commission déclare que le respect des Institutions de la République est un devoir impérieux pour l’ensemble des citoyens notamment l’observation, par tous, des règles édictées par la Constitution, les lois et règlements en vigueur au Sénégal.

— Extrait des déclarations fortes de la Commission politique

Plus concrètement, les points d’accord portent sur la baisse du nombre de signatures nécessaires pour le parrainage de la candidature à la présidentielle, passant de 1% des inscrits sur le fichier électoral à désormais un nombre compris entre 0,6% et 0,8%. Pour ce qui est du parrainage des élus, l’accord porte sur le parrainage de 8% des députés correspondant à 13 parlementaires pour l’actuelle législature et de 20% des chefs d’exécutif territoriaux correspondant à 120 maires et présidents de conseil départemental présentement, indique le rapport. La caution quant à elle ne doit désormais pas excéder 30 millions de FCFA.

Au sujet de la commission politique qui a cristallisé toutes les attentions du fait du contexte préélectoral avec la présidentielle de février 2024, le président Sall s’est félicité des consensus trouvés par les acteurs.

En ce sens, l’accord sur la modification de l’article L.28-3 du Code électoral en y ajoutant la mesure de la grâce, aboutira à ce qui suit : «Aux personnes qui, frappés d’incapacité électorale à la suite d’une condamnation, bénéficient de la réhabilitation ou font l’objet d’une mesure d’amnistie ou de grâce. Pour les personnes bénéficiant d’une mesure de grâce, l’inscription sur les listes électorales ne pourra intervenir qu’après l’expiration du délai correspondant à la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement, s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement, ou d’une durée de trois ans à compter de la date de la grâce, s’il s’agit d’une condamnation à une peine d’amende». Cette modification ouvre à l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall (aucun lien de parenté avec l’actuel président) et Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, tous deux recalés à la présidentielle de 2019 à cause de leur condamnation par la justice, la possibilité de participer à la prochaine présidentielle.

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Les participants à cette concertation se sont en effet entendus sur le principe de réviser le procès de l’opposant Karim Wade, condamné en 2015 à six ans de prison ferme pour enrichissement illicite. Ancien ministre d’État de son père, Karim Wade, 58 ans, a été gracié en 2016 par Macky Sall, et est depuis exilé au Qatar. La concertation a également proposé de modifier des textes pour permettre à l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, empêché par une condamnation en 2018 de se présenter contre Macky Sall en 2019, d’être candidat à la présidentielle de 2024.

De plus, la modification de l’article L.29 du Code électoral intégrera la limitation de l’inéligibilité permanente. L’article L.29 sera modifié ainsi qu’il suit, précise le rapport : «Cette interdiction d’inscription sur les listes électorales ne concerne que ceux qui sont condamnés pour crime, trafic de stupéfiants et pour les infractions portant sur les deniers publics à l’exception des cas prévus à l’article L.28-3 du Code électoral. Pour les autres infractions, cette interdiction est de cinq ans après l’expiration de la durée de la peine prononcée».

La commission s’est également accordée sur la commande d’une étude de faisabilité sur l’opportunité ou non de l’utilisation du bulletin unique après l’élection présidentielle du 25 février 2024 et sur le Statut de l’Opposition.

Dans un autre registre, le pôle de la Majorité invite les entités à discuter de l’article 87 de la Constitution pour donner au Président de la République nouvellement élu le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale. Cet article, précise le rapport, en l’état actuel, ne donne au Président la latitude de dissoudre le Sénat qu’après deux ans d’existence.

Quatre points de désaccord, l’avenir de Sonko scellé ?

Si globalement 12 points d’accords ont été trouvés, les points de désaccords portent notamment sur la question de l’organe de tutelle en charge des élections. En effet, précise le rapport, les Non-alignés, l’Opposition et la Société civile réaffirment la nécessité d’un organe de tutelle indépendant avec une personnalité consensuelle à sa tête, à défaut, il est proposé de créer un ministère chargé des élections dirigé par une personnalité non partisane ; tandis que la Majorité retient que le système actuel a suffisamment produit des résultats appréciables gages de la crédibilité du système démocratique sénégalais. Sur ce point précis, le président de la République considère que «le Sénégal qui vote depuis 1860, n’a pas de problème de système électoral».

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Par ailleurs, figurent parmi les points de désaccord : le cumul de la fonction de chef de l’État et de chef de parti, l’arrêt des poursuites et la libération des détenus et la déchéance électorale comme peine complémentaire. Le président Sall, lui, dit ne pas trouver «d’incontinents» à ce sens que le président de la République demeure également «un acteur politique».

La Commission condamne de façon ferme toutes les violences constatées dans notre pays d’où qu’elles viennent et quelle que soit leur nature.

— Extrait des déclarations fortes de la Commission politique

En l’état, les conclusions du dialogue national éliminent, de facto, de la course présidentielle, Ousmane Sonko, dont la condamnation par la justice dans l’affaire de viol. Le rapport du dialogue national pourrait difficilement calmer la tempête sociopolitique dans le pays de la Teranga, dans la mesure où l’avenir politique d’Ousmane Sonko se voit davantage sceller sur les termes de certains points de désaccords. Une affaire qui, pour rappel, l’opposait à Adji Sarr sur fond de fort soupçon de briguer un troisième mandat du président Sall avait été à l’origine d’émeutes meurtrières à Dakar et dans d’autres villes du pays.

Sall, vers un troisième mandat ?

Lors de la cérémonie d’ouverture du Dialogue national avec les forces vives de la nation, le président Sall avait exhorté à un dialogue inclusif et sans tabou. La question de sa troisième candidature sur laquelle il ne s’est toujours pas clairement prononcé s’est naturellement invitée aux travaux. Le président Sall a pour autant promis de donner très bientôt sa position sur la question.

«Je vais répondre parce que le moment est venu pour le faire, mais ce n’est pas aujourd’hui. Je ferai un discours à la nation, j’apporterai ma réponse qui ne peut pas dépendre du contexte dans lequel nous évoluons», a-t-il expliqué.

Les pôles (majorité, opposition et non alignés) ainsi que la société civile, après avoir rappelé leurs positions sur la question, en appellent au respect de la Constitution, des lois et règlements.

— Extrait des conclusions de la Commission politique

«Certains écrivent par ci, des rapports sont produits par là ; ce n’est pas cela qui va déterminer le choix du président de la République. Ce sera un choix libre, souverain qui s’exercera et qui sera expliqué au pays, quel qu’il soit et qui sera assumé», a-t-il insisté donnant rendez-vous pour ce faire après la fête de la Tabaski (Aïd al-Adha) qui sera célébrée le 29 juin au Sénégal. «Il faut que cela soit clair, il y a beaucoup d’excitation, ça sera un choix libre et souverain qui sera expliqué au pays et qui sera assumé. Donc attendons après la Tabaski, on va s’y mettre…», a-t-il fait savoir.

C’est ainsi dire que Macky Sall continue d’entretenir le mystère sur sa prochaine candidature ou pas à l’élection présidentielle. Une position plus qu’ambiguë sui renforce l’anxiété des Sénégalais. Et, à en croire les observateurs de la scène politique sénégalaise, le dialogue national devra permettre à Macky Sall de se tailler les opposants à sa mesure, notamment Khalifa Sall et Karim Wade qu’il pourrait battre à plate couture. Ces derniers ont été tenus loin du jeu politique et sont éclaboussés par des accusations de corruption.

Dans un autre scénario, en promettant «des élections apaisées», le président Sall pourrait aussi agréablement surprendre les Sénégalais en se déclarant non partant pour le 25 février 2024, se rangeant ainsi du bon côté de l’histoire dans la même lignée que les pères fondateurs du Sénégal. Une chose semble certaine, toute attitude contraire ferait basculer le Sénégal dans une grande incertitude.

L’opposition monte au créneau

Des formations politiques de l’opposition, dont le parti Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, ndlr) de l’opposant Sonko et des organisations de la société civile, n’ont, toutefois, pas participé au dialogue initié par le président. En lieu et place, elles ont conduit un dialogue parallèle dénommé «Dialogue du peuple» et piloté par le F24, la plateforme des forces vives contre le 3ᵉ mandat.

Dans leurs conclusions publiées vendredi, ces entités ont récusé la 3ᵉ candidature du président Sall contre laquelle elles comptent se battre par tous les moyens.

Le camp Sonko n’a, pour sa part, pas attendu la prise de parole du chef de l’État pour partir à l’offensive. L’un des avocats de l’opposant, le Français Juan Branco, a présenté jeudi dernier à Paris le contenu d’une plainte de 170 pages déposée devant le pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, ainsi qu’une demande d’enquête à la Cours pénale internationale (CPI). Ces actes visent le président sénégalais Macky Sall, son ministre de l’Intérieur Antoine Diome, le général Moussa Fall, commandant de la gendarmerie sénégalaise, ainsi qu’une centaine d’autres personnes selon lui. Et concernent la période allant «de mars 2021 à juin 2023».

«Cette démarche va entraîner pour les personnes visées des conséquences pour le restant de leurs jours, car les crimes qui ont été commis sont imprescriptibles», a affirmé Juan Branco. Depuis ces troubles de 2021, «aucune enquête n’a été diligentée (au Sénégal) et aucune poursuite pénale» n’a été entamée, a fustigé auprès de l’AFP Alioune Sall, député des Sénégalais de la diaspora et coordonnateur en France du Pastef, le parti de Sonko. «Plus de deux ans après, on a jugé nécessaire, en tant que parti politique et en tant que Sénégalais, de poursuivre le combat sur le plan international, dès lors que l’État sénégalais, qui est censé garantir les droits fondamentaux de ses ressortissants, ne le fait pas», a-t-il dit.

Durant la conférence de presse jeudi, des vidéos et des photos, dont certaines insoutenables, présentées par l’avocat, comme celles de manifestants tués ou très gravement blessés lors des troubles de juin, ont été diffusées. Selon Juan Branco, «la présidence de la République, elle-même, en tant qu’institution, a mis en place des commandes d’armes particulièrement massives dont nous avons retracé le cheminement», a-t-il affirmé, citant «la livraison de 104 tonnes d’armes à la présidence au deuxième semestre 2022».

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La ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, a aussitôt qualifié de «puérile et ridicule» la démarche du camp de l’opposant Sonko. Elle a contesté que la justice française puisse agir au nom du principe de compétence universelle. Quant à la CPI, elle «ne peut pas se prononcer tant qu’il y a une justice interne nationale qui suit son cours pour les mêmes faits, et c’est le cas au Sénégal». Elle a invoqué la gravité des troubles et le droit des forces de sécurité à se défendre, et assuré que des investigations «indépendantes» étaient ouvertes. «Cette initiative judiciaire, pour nous, c’est de l’enfantillage et également, c’est du ridicule», a-t-elle déclaré. En attendant, et au milieu de cette bataille politico-judiciaire qui semble sans fin, c’est le Sénégal tout entier qui retient son souffle.

Lors de la cérémonie clôturant la concertation nationale ce samedi 24 juin, le président Sall s’était exprimé publiquement et officiellement pour qualifier d’«actes terroristes qui ne resteront pas impunis» ces troubles meurtriers survenus après la condamnation de l’opposant Sonko. De «graves dérives des 2 et 3 juin, événements inédits», selon le président qui ont entraîné «des atteintes graves et des dommages» sur des «biens publics et privés». «Il est établi que ces faits sont assimilables à des actes terroristes qui ne resteront pas impunis», a-t-il ajouté.

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