Afrique : l’esprit de la charte de Casablanca
En 1960, le Maroc indépendant était déjà engagé pour la cause africaine. Le Royaume a envoyé des troupes dans le cadre d’une mission des Nations Unies pour chasser l’armée belge de la république du Congo qui venait d’obtenir son indépendance. L’année suivante, le Royaume a abrité la première Conférence internationale des États africains indépendants, qui allait devenir le Groupe de Casablanca. «Aucun État africain, pris isolément, n’est en mesure de faire face aux problèmes posés par son développement économique, bénéficier d’une aide étrangère et pratiquer sur le plan international une politique de non-alignement qui sauvegarde sa souveraineté et le mette à l’abri de toute influence étrangère», écrivait Thami Ouazzani, secrétaire général de la charte de Casablanca, en décembre 1962 dans les colonnes du Monde diplomatique. Pour Ouazzani, la charte de Casablanca, rédigée deux ans auparavant, visait l’unification de l’Afrique sur tous les plans. C’est en tout cas le leitmotiv qui a réuni en janvier 1961, les chefs des six États (Algérie, Ghana, Guinée, République arabe unie – RAU, Mali et Maroc) sur l’initiative de feu Mohammed V. Pour les dirigeants de ses six nations, l’union était nécessaire parce qu’aucun État africain ne pouvait avoir un poids quelconque sur le plan international pour traiter efficacement avec les grandes puissances et ainsi défendre une politique qu’il aurait librement choisie.
Leadership panafricain
En plus de l’hôte de la conférence, le roi du Maroc, les cinq chefs d’État participant à la conférence de Casablanca du 3 au 7 janvier 1961 étaient : Gamal Abdel Nasser pour la RAU, le Dr Kwame Nkrumah pour le Ghana, Sekou Touré pour la Guinée, Modibo Keita pour le Mali et Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). S’étaient joints à la conférence le représentant du roi Idriss 1er de Libye ainsi que des observateurs congolais (pro-Lumumba) et cingalais.
Feu Mohammed V accompagné de feu le prince Moulay Abdellah, lors d’entretiens avec trois dirigeants africains © DR
Les participants ont adopté une série de résolutions rassemblées dans un texte, celui d’une « charte africaine » définissant notamment les contours d’une Assemblée consultative africaine et la création d’un « commandement militaire commun ». Les participants à la conférence ont marqué leur solidarité par leur opposition radicale au colonialisme et par leur volonté de construire l’Afrique sur des bases institutionnelles plus révolutionnaires. Ils ont ainsi clairement soutenu l’indépendance de l’Algérie et la révolution congolaise tout en accordant une aide au gouvernement de Lumumba. Plus encore, ce que l’on appellera désormais le ‘‘Groupe de Casablanca’’, a condamné les essais nucléaires français.
Contrer le bloc transsaharien
Un groupe d’États composé du Libéria, de la Sierra Leone, du Nigeria, du Togo, de la Somalie, de la Tunisie et de l’Éthiopie s’est formé à la conférence de Monrovia du 8 au 12 mai 1961.
La conférence de Monrovia en 1961 © DR
48 heures avant cette conférence, Sekou Touré, défendant ardemment le Groupe de Casablanca, annonçait qu’il ne se rendrait pas dans la capitale libérienne et exprimait, via un communiqué, son rejet d’une conférence qui, selon ses propos, «(…) ne fait qu’entretenir une confusion qui sacrifie l’authenticité au nombre et l’organisation concrète de la lutte anti-impérialiste à des compromis en contradiction flagrante avec l’intérêt supérieur des peuples africains». En parallèle, un ‘’mini-sommet africain’’, regroupant les signataires de la charte de Casablanca, se réunissait au Caire pour réitérer son engagement panafricain. Favorable aux ex-puissances coloniales, le Groupe de Monrovia défendait une coopération égalitaire entre les pays africains, le rejet du panafricanisme et une volonté bienveillante à l’égard de l’Occident. Houphouët-Boigny, président de la république de Côte d’Ivoire, déclarait à l’issue de la conférence de Monrovia : «Cette conférence est incontestablement la plus importante de toutes celles qui se sont tenues jusqu’à présent en terre d’Afrique entre les responsables africains». Les contradictions politico-idéologiques entre les deux groupes (Casablanca et Monrovia) allaient faire capoter toute initiative unitaire. Mais les événements internationaux, notamment la fin de la guerre d’Algérie et l’isolement du président ghanéen soupçonné de « mener des activités subversives contre les pays voisins« , vont rapprocher les deux blocs. S’adressant à la conférence africaine de Lagos de février 1962, feu Hassan II avait déclaré : «La ligne de conduite que nous nous sommes tracée et la charte de Casablanca à laquelle nous demeurons fidèles et loyaux…»
Après la conférence de Lagos en 1962, la conférence au sommet d’Addis-Abeba du 23 au 25 mai 1963 aboutira au regroupement des pays africains grâce à la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) dont huit arabes.
On ne parlait plus d’union des peuples noirs mais d’unification des peuples africains décolonisés qu’ils soient noirs ou non, d’où la symbolique du choix comme premier secrétaire général de l’OUA et de son adjoint de ressortissants des pays du Groupe de Casablanca (Guinée-Égypte) abolissant les divisions de l’Afrique noire et de l’Afrique arabe.
Fresque des 32 chefs d’État africains, pères fondateurs de l’OUA à Addis-Abeba © JA
Les frontières héritées de l’époque coloniale
L’un des premiers principes adoptés par l’OUA portait sur l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme. En tant que membre fondateur de l’organisation, le Maroc avait notifié sa réserve sur ce principe. Le Royaume n’a ratifié la charte de l’OUA qu’après avoir exprimé par écrit ses réserves marquant les limites de son adhésion à l’organisation, surtout par rapport à Sebta et Melilia, Sidi Ifni et les provinces sahariennes qui étaient toujours sous occupation espagnole.
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C’est pour protester contre l’entrée de la pseudo république arabe sahraouie démocratique que le Maroc quitte l’OUA le 12 novembre 1984 lors d’un Sommet tenu dans la capitale éthiopienne. Au cours de la séance d’ouverture, le chef de la délégation marocaine, le conseiller royal Ahmed Reda Guedira donnera lecture d’un discours adressé par feu Hassan II. «Maintenant, nous ne pouvons que vous souhaiter bonne chance avec votre nouveau partenaire, qui devra essentiellement combler le vide que le Maroc laissera, au niveau de l’originalité, de la crédibilité et du respect de l’Afrique et du monde», avait estimé le défunt Souverain tout en exprimant sa conviction qu’il viendra un jour où l’histoire rétablira les choses à la normale. 33 ans après, la RASD était toujours membre de l’Union africaine (UA) qui a succédé à l’OUA mais les choses ont changé, il n’était plus question pour le Maroc de faire profiter ses adversaires de son absence pour occuper le terrain. Le 31 janvier 2017, le roi Mohammed VI arrive au siège de l’UA à Addis Abeba et prononce un discours à la tribune. «Il est beau, le jour où l’on rentre chez soi, après une trop longue absence ! Il est beau, le jour où l’on porte son cœur vers le foyer aimé ! L’Afrique est mon continent et ma maison. Je rentre enfin chez moi, et vous retrouve avec bonheur. Vous m’avez tous manqué», avait dit le Monarque dans une allocution qui restera dans les annales de l’organisation continentale.
Le roi Mohammed VI, le 31 janvier 2017, au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba © DR
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Malgré les 33 années d’absence des instances de l’organisation continentale, les liens du Maroc avec les pays africains sont restés puissants, surtout depuis l’accession au Trône du roi Mohammed VI. Depuis l’an 2000, le Maroc a conclu près d’un millier d’accords avec les pays africains dans différents domaines de coopération alors qu’entre 1956 et 1999, 515 accords seulement avaient été signés.
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Entre 1961 et 2022, beaucoup de choses ont changé. Pourtant, nous sommes toujours en quête de cette unité africaine tant espérée. Au-delà de l’aspect institutionnel, il s’agit de regrouper les Afriques pour que notre continent arrive à décrocher sa véritable souveraineté, conformément à la vision des pères fondateurs.
Le Groupe de Brazzaville
Le premier groupe à se former fut le « Groupe de Brazzaville », du nom du lieu d’une conférence tenue dans la capitale du Congo du 15 au 19 décembre 1960. Les chefs d’État du Cameroun, de la Centrafrique, du Tchad, du Congo, du Dahomey (Bénin), du Gabon, de Côte d’Ivoire, du Niger, de Mauritanie, de Madagascar, du Sénégal et de la Haute-Volta (Burkina Faso) s’étaient réunis pour discuter de leurs orientations politiques et économiques. Ces anciennes colonies françaises, qui forment à partir de 1961 l’Union africaine et malgache (UAM), ont favorisé une coopération étroite avec l’ancienne puissance occupante et la préservation du système étatique légué par l’ère coloniale. Tous ces pays étaient pro-occidentaux et très méfiants du communisme et vont inspirer les membres du Groupe de Monrovia.