Achoura : Moroccan Nightmare
Achoura, une célébration riche en symboles et en significations, remémore un épisode clé de l’histoire religieuse. Il commémore le passage de la mer Rouge par le prophète Moussa, il y a environ 3.000 ans, lorsqu’il a fui l’armée du Pharaon avec son peuple. La commémoration de cette journée a été renforcée par le messager de Dieu, Sidna Mohammed, qui a institué le jeûne à cette occasion. La célébration de Achoura diffère chez les sunnites et les chiites (cf. encadré). Chez les musulmans sunnites, Achoura est une fête spirituelle empreinte de générosité, de charité et de joie. La pratique de la zakât (l’aumône de 2,5% des biens acquis pendant une année) est liée à cette période de l’année hégirienne. Quant aux festivités, elles sont marquées par des chants populaires, des instruments à percussion et l’abondance de fruits secs.
C’est aussi un mélange entre Noël et Halloween puisque les enfants sont au cœur des célébrations. Cadeaux, jouets et sucreries sont au rendez-vous. «Baba Aychour», figure légendaire, telle que celle du Père Noël, rend le sourire aux plus petits. Les anciens racontent qu’il collectait de l’argent pour offrir des friandises et des fruits secs aux enfants démunis et la tradition est toujours d’actualité avec les enfants qui demandent des dons pour célébrer la fête. La fête de Achoura, célébrée les neuvième et dixième jours de Moharram, est aussi celle des femmes qui animent la soirée avec des tambourins (taârijas) et d’autres instruments musicaux. Cependant, l’esprit festif de Achoura est parfois terni par des pratiques et comportements irresponsables.
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Fête gâchée
Dans certaines régions, Achoura est une fête du carnaval avec des défilés masqués et des danses autour de grands feux. Néanmoins, des incidents liés à l’utilisation de pétards et de pneus brulés peuvent ternir les festivités, dépassant parfois les scènes de violence du film «Achoura» du réalisateur Talal Selhami, sorti en 2018. L’intrigue du film s’amorce avec quatre enfants jouant à se faire peur dans les campagnes marocaines. Leur jeu les mène jusqu’à une maison peuplée de légendes urbaines, où l’un d’entre eux disparaît mystérieusement. Près de 25 ans plus tard, les trois enfants devenus adultes ont relégué ce souvenir au fond de leur esprit, jusqu’à ce que leur ami disparu refasse surface, simultanément à une série d’enlèvements d’enfants.
Mais, la réalité dépasse parfois la fiction. Aujourd’hui, Achoura est une nuit terrifiante, aussi bien en milieu rural que dans les cités. Dans les villes, ce sont les quartiers populaires qui enregistrent les incidents les plus dramatiques. Cette année, un tragique incident a eu lieu à Mohammedia où un jeune garçon de seulement 13 ans a perdu la vie à cause d’une fusée de détresse rouge, normalement destinée aux pêcheurs en mer pour signaler un danger ou appeler les secours. La victime jouait devant chez elle lorsqu’un individu a tiré une fusée qui l’a touchée au visage, causant des brûlures mortelles. La mère de la victime, profondément bouleversée, a témoigné devant les autorités, affirmant que son fils avait été la cible d’un groupe de jeunes «voyous» qui semaient la pagaille dans le quartier avec des pétards et des couteaux. Elle réclame justice pour la mort de son fils et souhaite que les responsables soient sévèrement punis.
À la veille de Achoura, un autre accident s’est produit dans la province de Settat, où un mineur de 17 ans a perdu la vie et un autre a été gravement blessé à cause de l’explosion d’une bonbonne de gaz lancée dans un feu allumé par des jeunes et des mineurs.
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Contrôle strict
Les autorités ont pris des mesures pour lutter contre la vente illégale de pétards. Récemment, une campagne d’envergure menée dans les différentes villes du Royaume a permis de saisir des milliers d’unités de pétards et de feux d’artifice, ainsi que d’arrêter plusieurs individus impliqués dans le trafic de ces produits dangereux. Douaniers, gendarmes, policiers et éléments des forces auxiliaires font tout pour mettre fin à la vente de ses produits de contrebande.
Malgré tout, la vente de ces produits dangereux se poursuit, avec des noms comme «Zidaniya», «Daech», «Messi», «Chitane», «Saroukh», «Touma»… Tous désignent ces crackers et pétards, présentés de manière attirante pour inciter les enfants à les acheter. Les vendeurs et commerçants insistent sur la forte détonation de certains de ces produits, pouvant causer des handicaps durables et des blessures sérieuses. Parmi eux, «Zidaniya» et «Daech» sont considérés comme les plus dangereux. Il est peut-être temps que des sanctions sévères soient envisagées pour les importateurs et les revendeurs de pétards, en particulier ceux qui en vendent à des mineurs.
Le cauchemar de 2020
En 2020, malgré le couvre-feu nocturne imposé à cause de la pandémie de Covid-19, des jeunes se sont livrés à des actes de terreur en utilisant des pétards, des fumigènes, des jets d’œufs et d’autres objets dangereux pour blesser des passants, en particulier des enfants, causant des traumatismes oculaires et des dégâts matériels. Des actes de vandalisme avaient perturbé plusieurs quartiers populaires de Rabat et de Casablanca à l’occasion de la fête de Achoura, suscitant la frayeur parmi la population.
Les célébrations avaient dégénéré en cauchemar, entraînant des blessés et des dégâts matériels. Les affrontements entre la police et les jeunes avaient conduit à une trentaine de blessés parmi les forces de l’ordre. 157 individus, majoritairement des mineurs, ont été interpellés pour leur implication présumée dans des actes de vandalisme, de jets de pierres, de résistance aux forces de l’ordre et d’incendie de pneus sur la voie publique.
Coutumes ancestrales ?
Un groupe de touristes néerlandais installés dans un hôtel près de la médina de Rabat a vécu une nuit d’enfer. «Les fortes explosions, la fumée et les cris ont perturbé notre sommeil. On a cru que c’était des actes terroristes avant que le réceptionniste nous explique que ces scènes de bombardement à l’extérieur étaient en fait des jeux à l’occasion d’une fête musulmane», confie l’un des touristes. Un pétard vendu à 5 DH peut faire perdre au Maroc des milliers de DH à cause de la réticence d’un seul touriste à revenir dans le royaume des lumières. Des citoyens innocents ont perdu l’ouïe et la vue par le passé à cause de ses engins. Des femmes enceintes ont fait des fausses-couches à cause d’un pétard trop fort mis dans un tonneau sous une voiture, provoquant une forte explosion et des vibrations effroyables.
Les autorités locales mènent des campagnes de sensibilisation sur les risques liés à l’utilisation irresponsable de ces engins dangereux pour préserver ainsi la sécurité de la population marocaine. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques a même consacré le prêche du vendredi à cette célébration dénuée de tout fondement religieux et des dangers qui en résultent.
Chaâla ou le jeu de feu exaspère les parents. Ce jeu renvoie vers des pratiques païennes antéislamiques et peut causer des brûlures graves, voire la mort. Quant au lendemain, les jeux sont moins dangereux quoique dérangeants. «Si vous êtes au Maroc le jour de Achoura, évitez de sortir le lendemain, le jour de Zem Zem, du nom d’un puits de la Mecque. Ce jour-là, les enfants sillonnent les rues de la ville à la recherche d’une cible, qu’ils ne manqueront pas d’asperger copieusement. Ils en ont le droit, c’est le jour de Zem Zem, le lendemain du jour de Achoura», peut-on lire sur un guide touristique en ligne.
En effet, malgré les restrictions liées à la pénurie d’eau, les enfants continuent d’arroser les passants. Mais il y a pire. Certains utilisent des œufs pourris et des tomates, obligeant les gens à retourner chez eux pour se changer.
Achoura est une célébration aux multiples dérives. En plus des incidents qui émaillent chaque année cette fête, les Marocains s’adonnent à des pratiques peu religieuses, comme le fait de purifier les maisons en brulant des plantes, résines et autres encens pour éloigner les mauvaises énergies. Enfin, cette journée serait également propice à la pratique de la magie pour ceux qui cherchent à attirer la chance, à susciter l’amour ou à éloigner les mauvais esprits à travers des grigris. Malheureusement, cela n’a absolument rien à voir avec le véritable esprit de Achoura.
Achoura chez les chiites
La fête de Achoura dans le chiisme a acquis une signification toute particulière, en commémorant le martyre du troisième imam des chiites, Hussein, ainsi que de ses partisans, aux mains du califat omeyyade. En l’an 680 de l’ère chrétienne, Hussein, le petit-fils du prophète et fils d’Ali Ibn Abi Talib, quatrième calife de l’Islam, se dirige vers l’Irak pour revendiquer ses droits à la succession califale, après l’assassinat de son père, imputé aux Omeyyades. Malgré une résistance farouche, Hussein et son armée sont vaincus par les troupes du calife Yazid Ier, envoyé de Damas. Selon la tradition, Hussein est décapité et son corps mutilé. Son lieu de décès devient son lieu de sépulture, et Karbala est aujourd’hui un important centre de pèlerinage chiite. Pour comprendre le sens profond de la fête chiite, il faut observer les rites de Achoura. Ces rites débutent dès le premier jour du mois de Moharram et se prolongent jusqu’au 20 du mois de Safar, 40e jour. Cependant, la période de deuil proprement dite s’étend jusqu’à la fin du mois de Safar. Pendant ces deux mois de deuil, toute célébration profane est prohibée, en particulier les mariages. Chants, danses et soins corporels tels que le maquillage et le henné sont également théoriquement interdits. Ces interdictions sont particulièrement strictes durant les dix premiers jours de Moharram.