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Abderrahim Bourkia : libérer le génie créatif et la mentalité de rêveur des Marocains
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LeBrief : Sociologiquement parlant, comment qualifiez-vous ce que la nation marocaine est en train de vivre avec sa sélection de football ?
Abderrahim Bourkia : C’est un drame exemplaire. Ce qui se déroule devant nous est une épopée nationale dont les acteurs majeurs sont joueurs, staffs technique et médical, et ceux qui gèrent la chose «footballistique». Sans oublier les supporters présents massivement au Qatar pour apporter leur soutien et leurs actions collectives «supportrices» : chants, slogans, drapeaux et emblèmes en osmose avec les joueurs sur la pelouse. C’est un moment historique.
LeBrief : Quelle définition peut-on donner à ce que les Lions de l’Atlas ont provoqué comme sentiments d’honneur et de fierté de la nationalité marocaine ?
Abderrahim Bourkia : Ce sentiment de «ciment national retrouvé». Le phénomène de «communion» entre les joueurs, le staff et les Marocains d’ici et d’ailleurs, nous avons tous ensemble vécu la totalité de cette histoire commune que l’on va raconter avec émerveillement à nos enfants et nos petits-enfants.
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LeBrief : Le club des « Ultras » du Onze national s’est élargi en accueillant des millions de nouveaux adhérents du continent africain, de l’espace arabe, du monde musulman et des pays non occidentaux. De Djakarta à Taza en passant par Gaza, les supporters ont soutenu jusqu’au bout Walid Regragui et ses poulains. Quel est votre commentaire par rapport à ce sentiment d’appartenance qui transcende les pays ?
Abderrahim Bourkia : C’est l’affirmation d’un sentiment communautaire qui transcende les frontières géographiques, mentales, physiques et culturelles. Sans pour autant les gommer (les frontières), ces formes de mobilisation massive à l’échelle des villes de l’Afrique et du Monde Arabo-musulman, ces foules «sentimentales» et ces scènes de liesse ont permis de rapprocher davantage ces contrées. L’épopée marocaine est souvent perçue comme une revanche par les pays du Sud sur les pays du Nord. D’ailleurs, nos matchs dans l’épreuve la plus populaire à travers le monde, ce sont comme des événements qui cristallisent le rêve de ceux avec qui nous partageons les mêmes valeurs, cultures et traditions.
LeBrief : Les supporters marocains ont véhiculé une image très positive pendant cette Coupe du monde avec un esprit de solidarité et d’attachement au pays. La foi et la bénédiction des parents manifestées par nos joueurs ont aussi ébloui le monde entier. Est-ce qu’on peut considérer ça comme une leçon de vie dans un monde à la dérive?
Abderrahim Bourkia : Les matchs des Lions de l’Atlas se sont offerts comme un outil performant de communication pour notre société (nos sociétés) ; comme un événement exemplaire qui condense et théâtralise ce que «Nous Marocains» voudrait dire. Telle une fiction réelle, ludique et dramatique de ce qu’un Marocain pourrait éventuellement accomplir, produire et représenter fidèlement et naturellement sans fioriture les valeurs fondamentales qui façonnent notre société. Les mêmes valeurs sont d’ailleurs partagées dans Notre Méditerranée «Mare Nostrum», en Afrique et du Golfe à l’Atlantique : l’amour voué à la patrie et aux parents, le respect de l’autre, la foi en «nous-mêmes» et en Dieu bien évidement, le travail collectif et l’abnégation.
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LeBrief : Certains Marocains d’ici vont-ils aussi changer de regard sur les Marocains du monde avec l’exploit réalisé par une équipe qui compte une majorité de MRE ?
Abderrahim Bourkia : Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question car je trouve que ce regard, s’il existe, en dit long sur son porteur. Et là, je ne vais pas sortir mon lexique pour dresser ce profil-type qui doit, à mon avis, revoir son mode d’emploi. Personnellement, je vois les choses autrement. Nous sommes toutes et tous Marocain-e-s. Personne ne peut dire que les joueurs qui représentent notre patrie sont des Marocains à moitié. Nos joueurs sont 100% Marocains, qu’ils soient binationaux ou pas. Ils représentent pour moi les Marocains du futur dont les parents ou les grands-parents sont nés au Maroc. Premièrement, ils possèdent en commun un riche legs de souvenirs du pays des ancêtres avec ce lot de valeurs fondamentales : le respect, l’amour des parents, de la terre, des racines… et deuxièmement, le désir de jouer pour le drapeau rouge étoilé et de représenter la nation retrouvée. Pour moi ce sont les Marocains du futur, qu’ils parlent «darija», «berbère», «rifain» ou qu’ils s’expriment davantage en espagnol, en français, en hollandais, en anglais, en chinois ou autres. Toute tentative de les «taxer» de « zmagris » et non entièrement Marocains est nulle et non avenue. C’est l’ignorance combinée à des sentiments tordus comme la jalousie, la rancune, la haine qui sont, à mon avis, derrière ce regard négatif. C’est ce que je pense aussi quand j’entends quelqu’un ironiser sur la sélection française en disant que c’est une équipe africaine. Il faut arrêter avec ce genre de discours qui n’est que le reflet de l’ignorance et qui a des effets potentiellement destructeurs sur la cohésion sociale.
On doit aussi féliciter le travail de l’Académie Mohammed VI de football et son équipe dirigée à l’époque par Nasser Larguet. Il ne faut pas oublier que cinq joueurs présents avec Walid Regragui sont lauréats de cette académie.
LeBrief : Comment peut-on capitaliser sur cette allégresse générale pour un véritable sursaut de la société marocaine ?
Abderrahim Bourkia : Cette réussite est transposable sur d’autres secteurs et domaines. Elle prouve que l’on a du potentiel, de la compétence pour faire de bonnes performances et franchir la marche nécessaire pour développer ce Maroc que l’on aime et qui est capable de contenir toute sa composante, aller de l’avant en plaçant les bonnes personnes au bon endroit et d’exalter le mérite des personnes qui travaillent avec dévouement, abnégation pour construire le Maroc de demain et une société confiante en elle-même et capable de faire face aux défis futurs. Il faut juste libérer ce génie créatif, cette mentalité de rêveur de ce Marocain-e aux ambitions légitimes et non détournées ou tordues, investir en cette jeunesse et garantir l’accès à la bonne éducation, à l’école, à la culture et au sport pour notre pays.
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