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A visages découverts, les enfants en proie aux prédateurs

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Deux enfants rescapés du séisme d'Al Haouz © DR

Au lendemain du tremblement de terre dévastateur qui a secoué le Maroc dans la nuit du 8 au 9 septembre, et alors que la Nation entière est mobilisée, une nouvelle tendance préoccupante embrase la Toile. Mariages des mineurs, kidnappings, agressions sexuelles, traite des êtres humains… De nombreux enfants, en particulier des filles, sont devenus des victimes potentielles, suscitant une inquiétude généralisée parmi la société civile et les autorités. La médiatisation de leurs images constitue un grave danger pour leur sécurité, alertent les associations.

Le tremblement de terre, qui a secoué le Maroc dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre, a fait basculer une partie importante de la population dans une situation délicate. Avec les milliers de personnes impactées par la catastrophe, les enfants figurent parmi les individus les plus vulnérables. En quelques secondes, ils ont perdu leur passé, leur présent, leur futur.

Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) estime qu’environ 100.000 enfants ont été touchés par la catastrophe, même si le nombre exact de victimes reste incertain. «L’UNICEF ne connaît pas encore le nombre exact d’enfants tués et blessés, mais les dernières estimations de 2022 indiquent que les enfants représentent près d’un tiers de la population au Maroc», avait indiqué, lundi, l’agence, rappelant le dernier bilan des autorités et soulignant que ce chiffre «risque d’augmenter».

100.000 enfants impacts par le séisme selon l'UNICEF

Capture d’écran UNICEF

Toutefois, des estimations locales indiquent que c’est dans la région du Haouz que l’on a dénombré le plus grand nombre de décès chez les enfants, suivie de Chichaoua, Taroudant et Azilal, rapporte le quotidien Al Ahdath Al Maghribia dans son édition du jeudi 14 septembre.

«Tout ce qui existait, n’existe plus»

Les enfants rescapés ne peuvent plus, aujourd’hui, exercer correctement leurs droits, précise l’organe onusien. Des droits comme le droit à l’éducation (les cours étant suspendus dans 42 communes et douars), mais aussi le droit à un logement sûr… Certains ont perdu leur foyer, d’autres leur famille entière, et tous, le sentiment de sécurité.

Selon le bilan provisoire des dégâts, le ministère de l’Habitat et de la Politique de la ville dirigé par Fatima Ezzahra El Mansouri, interrogé par Médias 24, fait état de près de 6.000 bâtiments détruits et 20.000 autres endommagés. Une situation qui a obligé les familles à se délocaliser, les exposant aux aléas climatiques à un moment de l’année où les températures chutent pendant la nuit.

Lire aussi : Séisme à Al Haouz, l’urgence de sauver un héritage millénaire

Lundi, le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, notait que 530 écoles et 55 internats ont été endommagés, principalement les provinces de Chichaoua et Taroudant. «Le séisme a impacté une zone particulièrement rurale et enclavée […] comptant environ un million d’élèves inscrits et un corps enseignant de plus de 42.000 professionnels», a, pour sa part, indiqué un communiqué de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Les hôpitaux et autres installations médicales ont également été endommagés. Aucun bilan des dégâts enregistrés n’a pour l’heure été communiqué.

«La vie des enfants a été bouleversée et bien que la réponse humanitaire ait été rapide et importante, force est de constater que l’avenir de milliers d’enfants, et particulièrement de fillettes, est incertain», déplore l’association “Kif Mama Kif Baba”. À ce stade, il est encore prématuré d’obtenir des informations complètes sur le sort des familles, «tout comme de parler de prise en charge d’enfants en famille d’accueil ou en kafala, dont les procédures sociales et judiciaires sont bien déterminées par les autorités compétentes», met en garde la Plateforme Convention Droits des Enfants (CDE), réseau d’associations œuvrant dans le domaine de la protection de l’enfance.

«Les enfants ont subi un lourd traumatisme psychologique et leur résilience passe par le maintien, dans la mesure du possible, de liens familiaux mêmes dans des conditions matérielles difficiles», tient à rappeler la même source.

L’image, vecteur d’empathie ?

Plusieurs médias, influenceurs et autres internautes, ont rapporté les histoires tragiques d’enfants qui ont perdu leurs parents, familles ou amis dans ce drame. «À la suite du séisme, qui a durement touché certaines régions du Maroc, des images et vidéos bouleversantes, montrant des enfants, filles et garçons, seuls dans les ruines de leur village, nous parviennent», constate le groupement d’associations.

Car «ce qui guide dans la couverture, c’est les bonnes images, les bonnes histoires, l’intérêt du public», précisait, en réaction à la dévastation dans les Caraïbes, le professeur à l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère de l’Université Saint-Paul, Simon Tremblay-Pepin. Mais, pour l’expert, la formation des journalistes, qui donne la primauté à l’émotion pour «faire vivre les événements» serait à blâmer. «L’image est forte, personne n’en doute, mais en quoi cela nous aide à mieux comprendre, à mieux saisir?», s’était-il demandé.

Certains journalistes — sincèrement bienveillants — justifient leur couverture médiatique du fait que leur conversation avec une victime pourrait avoir l’effet d’un baume. La science leur donne tort : «depuis deux décennies, il a été démontré que le témoignage à chaud des victimes ne les protège pas d’une évolution psychologique défavorable», explique Nicolas Bergeron, médecin psychiatre au CHUM et professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

D’autres, en effet, voient dans l’image l’incarnation de la souffrance des uns et la dignité d’autres. Souvenez-vous en février dernier lorsque la photo d’Adem Altan, photographe depuis quarante ans, dont quinze à l’AFP, a fait la Une des médias du monde entier. Une photo qui pour le photojournaliste résumait la douleur des victimes du séisme : un père serrait la main de son enfant morte sans la lâcher, dans les décombres et la dévastation. C’est le papa même qui a demandé au photographe de «prendre la photo de son enfant».

«L’homme est un loup pour l’homme»

«Quand les structures autoritaires censées nous protéger de notre sombre nature hobbesienne s’effondrent dans la poussière et le chaos, le plus souvent, le paradis descend sur Terre», écrivait en 2019 Christopher Ryan. Et, depuis vendredi dernier, nous avons vécu ce paradis à travers la solidarité sans précédent qui s’est construite au profit des régions sinistrées.

Lire aussi : C’est la compassion qui nous unit

La diffusion de vidéos et de photos des enfants victimes du séisme a, certes, largement contribué à fédérer les citoyens autour d’actions de solidarité. Qui ne serait pas ému devant les larmes d’un enfant pleurant ses parents ou devant la perplexité de son âme innocente face à la catastrophe ? Cependant, d’autres, malintentionnés, ont profité du drame pour en faire leur gagne-pain.

 

En effet, quelques jours après le tremblement de terre, les villages ont été envahis de personnalités et d’influenceurs venus «médiatiser» la tragédie, monnayant leur contribution à l’élan national. «Ce n’est pas parce que l’on a la possibilité de montrer quelque chose qu’on doit le faire : les sentiments des victimes ne sont pas un bien de consommation», s’insurge Dr. Bergeron.

Toutefois, «en diffusant ces images, les enfants sont exposés à de nombreux dangers», alerte la Plateforme CDE exhortant internautes et professionnels des médias à protéger les enfants. Il est de plus en plus reconnu que la traite des personnes et les crises humanitaires sont liées. «En effet, celles-ci peuvent renforcer des tendances et des schémas de traite préexistants ou créer les conditions propices au développement de nouvelles formes d’exploitation», écrit en préambule l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

L’utilisation des images d’enfants devient dès lors un vrai sujet. Nul doute que certains, dans un effort d’information, ont eu une bonne intention, mais force est de constater les dérives qui existent. Depuis un peu plus de 24 heures, des actes abjects sont dénoncés sur la Toile. Simple maladresse ou esprits malintentionnés ?

La tendance apparue sur les plateformes de médias sociaux, en particulier TikTok, Instagram et Facebook, inquiète. De nombreux rapports ont fait état d’individus, principalement des hommes adultes, faisant des déclarations troublantes et prenant des mesures qui suscitent des inquiétudes quant au bien-être et à la sécurité d’enfants, déjà traumatisés par la catastrophe.

Le Collectif 490 a, en ce sens, pris l’initiative de relayer certaines de ces dérives, appelant la société civile à la dénonciation ferme. Même son de cloche du côté de l’association “Kif Mama Kif Baba” : «Nous sommes extrêmement inquiets par les informations qui nous sont remontées par les associations partenaires qui travaillent sur le terrain et qui nous font part d’une explosion du nombre de mariages de fillettes par Fatiha, de déplacement, kidnapping et agressions sexuelles sur enfants».

Sur les réseaux sociaux, une internaute s’est dite «sidérée d’entendre les témoignages de bénévoles qui travaillent depuis samedi pour venir en aide aux populations de la région d’Al Haouz et qui assistent à des scènes de harcèlement de jeunes filles de la région». Et de décrire «une bande d’idiots profite de la situation pour leur demander [aux jeunes filles] de rentrer chez elles avec elles, tandis que d’autres invitent leurs amies à les épouser, sous prétexte qu’ils veulent aider.»

À cet égard, l’association s’est mobilisée pour alerter les autorités et lance un appel au gouvernement pour mettre en place un moratoire sur l’autorisation du mariage des enfants visant à interdire aux magistrats d’octroyer toute autorisation de mariage d’enfant jusqu’à nouvel ordre, ainsi qu’un décret-loi visant à pénaliser le mariage d’enfants et à sanctionner d’emprisonnement toute personne qui «se marie» de façon coutumière avec une mineure ou facilite ce «mariage».

«Nous lançons également un appel aux Marocains qui sont témoins de situations de mariage d’enfants ou de leur exploitation en tout genre à informer immédiatement les autorités compétentes (police, gendarmerie, procureur) et/ou à nous contacter par téléphone (ou Whatsapp) au : 0766099078», insiste l’association dans son communiqué.

Par ailleurs, la Commission nationale marocaine de lutte et de prévention de la traite des êtres humains (CNCLT), relevant du ministère de la Justice, a lancé mercredi un «numéro vert» afin de permettre aux citoyens de signaler tout cas suspect qu’ils soupçonnent d’être lié à la traite des êtres humains ou à la mise en danger d’enfants. La Twittoma indique toutefois que le numéro à contacter est le : 0524420587

https://twitter.com/M_Hamza_Hachlaf/status/1702005345806168174?s=20

Le droit à l’oubli !

Les associations, membres de la Plateforme CDE, appellent, ainsi les médias et les internautes, à ne pas relayer les images et les vidéos montrant des enfants seuls dans les ruines causées par le séisme d’Al Haouz. Parallèlement aux dangers, il en va de leur dignité.

Le Conseil national de la presse (CNP) insiste également sur l’importance de respecter les principes déontologiques de la profession lors de la couverture de cet événement tragique, en évitant toute forme de sensationnalisme ou de manque de respect de la dignité des défunts et des victimes, ainsi qu’envers les sentiments de leurs familles et de leurs proches.

Avec la «nouvelle mémoire numérique» que le moteur de recherche universelle, Google, tisse et concentre depuis sa création, ces enfants resteront à jamais les «enfants du séisme». Un moment de leur histoire qu’ils souhaiteront un jour peut-être oublier. D’autant plus que «la mémoire est globale et vogue au grès du vent, tel ce beau navire que le poète Apollinaire interroge dans «La Chanson du Mal- Aimé»», écrivait déjà en 2022, sur les colonnes de La Vie Eco, notre confrère Najib Refaïf.

 

 

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