LeBrief : 32 ans après sa création, le bilan de l’UMA est en deçà des grandes attentes qui y avaient été placées, quels sont les facteurs qui font que l’édification d’un espace maghrébin intégré est toujours au point mort ?
Hafid Boutaleb : L’UMA a péché dès le départ par sa trop grande ambition surtout non corrélée avec la réalité du terrain. Ses dirigeants ont essayé de monter une organisation régionale pléthorique dès le départ, avec des projets tous azimuts, en ignorant délibérément que la région restait déchirée par les antagonismes idéologiques liés à la guerre froide.L’UMA a aussi constitué dès le départ un projet politique, plus qu’économique, et est donc restée à la merci des relations politico-diplomatiques intermaghrébines souvent volatiles, au lieu d’être portée par les communautés d’affaires qui restent quant à elles beaucoup plus pragmatiques.
À ce titre, la construction européenne est le parfait contre-exemple à l’UMA. Celle-ci a commencé par des projets simples mais stratégiques: la Communauté économique du charbon et de l’acier, Euratom et le marché commun suite au traité de Rome de 1957. Il a fallu ainsi aller sur des chantiers stratégiques ainsi que sur la simplification douanière et réglementaire pour lancer et roder la machine. L’aspect politique n’a pu prendre forme que des décennies après.
Le Maroc par la voixde Sa Majesté Mohammed VI, ainsi que les présidents successifs de Tunisie et de Mauritanie n’ont eu de cesse d’appeler à la relance du processus d’intégration maghrébine.
LeBrief : La tension qui marque les relations entre le Maroc et l’Algérie, en raison de la position hostile du régime algérien sur la question du Sahara, sape tout effort de rapprochement. Ne peut-on pas laisser cette question de côté et travailler ensemble pour l’édification du Grand Maghreb ?
Hafid Boutaleb : L’Histoire a prouvé qu’il est en effet possible de contourner la question du Sahara marocain. La déclaration instituant l’Union du Maghreb arabea été signée àMarrakechle 17 février 1989 par les cinq chefs d’État de la Mauritanie, de la Libye, de la Tunisie, de l’Algérie et duMaroc. Or à cette date-là, le cessez-le-feu n’était toujours pas entré en vigueur au Sahara, et ne le sera qu’en 1991. Ainsi à ce moment, l’Algérie et le Maroc acceptaient de travailler ensemble, sur une base commune qui est l’UMA, et d’ouvrir la frontière terrestre (aujourd’hui fermée depuis 1994), indépendamment du contexte prévalant au Sahara marocain. Et si à cette époque l’urgence sociale, économique et sécuritaire était telle que l’UMA soit devenue une nécessité, trente ans plus tard, ces mêmes urgences sont encore plus exacerbées, et plus que jamais il est nécessaire pour les cinq pays constitutifs de l’UMA de se retrouver et travaillerensemble pour assurer un meilleur avenir au Maghreb.
Le Maroc par la voixde Sa Majesté Mohammed VI, ainsi que les présidents successifs de Tunisie et de Mauritanie n’ont eu de cesse d’appeler à la relance du processus d’intégration maghrébine. Il faut rappeler aussi que les Constitutions de ces pays considèrent la région du Maghreb et son avenir comme une orientation stratégique. Il est donc crucial que l’Algérie se joigne à cette dynamique, et ce pour le plus grand intérêt du peuple algérien.
les blocages politiques alimentent aussi des animosités et empêchent la convergence de peuples qui sont très semblables avec des marqueurs identitaires forts.
LeBrief : Combien coûte le « non-Maghreb » aux 5 pays de l’Union ?
Hafid Boutaleb : Le coût visible du « non-Maghreb » est de 2 points de PIB par an, par pays en moyenne, selon les diverses études des organisations internationales qui se sont essayées à cette estimation. Car que ce soit les Nations Unies, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, etc.… Toutes les instances internationales insistent sur ce coût exorbitant et sur l’urgence à relancer le processus d’intégration économique régional. Car 2% du PIB par an et par pays, cela représente des milliards de dollars de valeur ajoutée en moins par an, ainsi que des centaines de milliers d’emplois non crées, à cause d’un blocage politique délibéré.
Cela dit, le coût invisible est beaucoup plus important. En effet les blocages politiques et idéologiques qui freinent le développement de la région augmentent l’estimation du risque politique, et éloignent donc les investisseurs.
S’ajoute à cela l’urgence climatique. Les générations de demain, en 2050, subiront de plein fouet les effets dévastateurs du changement climatique. Stress hydrique, désertification, bouleversement des températures et déséquilibres des saisons, risque de pénuries, et évidemment le risque pandémique. Ce jour-là, ces générations se retourneront vers 2021pour voir ce que leurs dirigeants faisaient pour leur éviter les scénarii catastrophes, et aujourd’hui les pays maghrébins ne collaborent pas entre eux pour empêcher ces scénarii. Car oui, il existe des solutions pour empêcher cette belle région du globe de devenir un désert chaud et hostile dansl’avenir. On peutplutôt en refaire un terre d’abondance et de progrès. Faut-il rappeler que le Maghreb était désigné par les Romains sous l’antiquité comme étant le «grenier à blé de Rome»?
Enfin, les blocages politiques alimentent aussi des animosités et empêchent la convergence de peuples qui sont très semblables avec des marqueurs identitaires forts. C’est un des coûts invisibles mais des plus dévastateurs. Pour revenir à l’exemple de l’Union européenne (UE), celle-ci a pu voir le jour en dépit de millions de morts entre les pays européens du temps des guerres mondiales. Pourtant, il n’y a pas eu de violence similaire entre les pays du Maghreb, et par conséquent une telle fracture identitaire entre Maghrébins n’a pas lieu d’être et n’est en aucun cas justifiée.
Sauf au Maghreb où un blocage politique, somme toute minime, est systématiquement brandipour empêcher l’intégration économique régionale et condamner toute une région
LeBrief : D’autres ensembles régionaux ont pu atteindre les 10% voire 20% en termes de commerce intra-régional alors que l’UMA stagne à moins de 3% en la matière. Comment faire pour booster les échanges intra-maghrébins ?
Hafid Boutaleb : Il faut rappeler que la région du Maghreb est la moins intégrée du monde entier. Chaque pays du monde construit son avenir économique avec ses voisins immédiats, en dépit d’antagonismes politiques souvent considérables. Car la logique économique l’emporte systématiquement lorsqu’il s’agit d’harmoniser les législations et de promouvoir les échanges commerciaux de biens et de services, dont l’essor améliore les conditions économiques des citoyens.
Sauf au Maghreb où un blocage politique, somme toute minime, est systématiquement brandi pour empêcher l’intégration économique régionale et condamner toute une région à la stagnation et à la précarité. Une position incompréhensible pour tout esprit rationnel.
Car, afin debooster les échanges entre pays maghrébins, il faut améliorer l’offre logistique et mieux l’intégrer, pallier à l’inefficacité des services douaniers, réduire le coût de l’infrastructure, harmoniser la réglementation et simplifier le cadre juridique;en plus de la suppression des droits de douanes ainsi que des obstacles non-tarifaires, comme le coût des opérations commerciales aujourd’hui élevé.
Il existe des accords de libre-échange comme l’accord d’Agadir ou la zone arabe de libre-échange, mais malheureusement sur le terrain les opérateurs continuent de faire face à de considérables blocages. Il faut donc travailler sur le renforcement de capacité au niveau des douanes et des services fiscaux, et réactualiser ces accords en fonction du retour d’expérience du terrain, pour pouvoir atteindre les objectifs espérés par ces accords.
Le Maghreb a la chance d’être à proximité de l’UE, premier marché au monde, et sans ces réformes, nous sommes condamnés à voir la caravane UE passer, sans en profiter et en faire profiter les générations futures de Maghrébins. Or avec ces simples réformes, le Maghreb peut s’ancrer aux chaînes de valeur européennes et devenir une des régions les plus attractives au monde. Car ce ne sont ni les richesses, ni l’espace et ni les ressources humaines qui manquent au Maghreb, mais seulement la volonté politique d’une poignée de dirigeants.
Cette appellation reste subjective, et exclut l’autre pendant identitaire du Maghreb, non moins important, qui est l’amazighité.
LeBrief : Certains appellentà l’abandon du qualificatif « arabe » pour l’Union du Maghreb qui réunit certes des peuples arabes mais avec une forte identité amazighe. Qu’en pensez-vous ?
Hafid Boutaleb :Il est vrai que l’UMA est la seule organisation régionale dont le nom dénote d’un facteur identitaire. Cela montre à quel point au moment de sa création, les dirigeants maghrébins ont utilisé le logiciel idéologique au lieu de l’intérêt économique.Cette appellation reste subjective, et exclut l’autre pendant identitaire du Maghreb, non moins important, qui est l’amazighité. Un choix incohérent d’autant plus que les autres organisations régionales dans le monde optent souvent pour des désignations géographiques plutôt qu’identitaires: Afrique de l’Ouest, Europe, Communauté andine, Amérique du Nord, Pays du Golfe, Asie du Sud-Est, etc.… On ne note aucun référent identitaire.
Cela étant, aujourd’hui l’urgence est ailleurs, et en cas de retour àune même table des dirigeants du Maghreb, une réorganisation de l’UMA sera certainement envisagée, et à ce moment ce débat pourra ressurgir.
l’axe Casablanca-Tunis rassemble 80% de la population du Maghreb et regroupe les plus importants centres urbains, zones logistiques et industrielles, et régions agricoles
LeBrief : L’Égypte avait posé sa candidature pour adhérer à l’UMA en 1994. Est-ce que l’Union gagnerait à s’étendre géographiquement avec l’adhésion d’autres pays ?
Hafid Boutaleb :Aujourd’hui, l’UMA est geléeet envisager de l’étendre est un non sens. De plus, l’Égypte à elle seule abrite plus de 100 millions d’habitants, autant que tous les pays du Maghreb réuni. Même en cas de succès, l’UMA n’aurait pas eu intérêt à se déséquilibrer à ce point. D’autant qu’un des facteurs clés de succès de l’idée d’intégration économique du Maghreb reste la proximité géographique entre les grands foyers de peuplement. En effet, l’axe Casablanca-Tunis rassemble 80% de la population du Maghreb et regroupe les plus importants centres urbains, zones logistiques et industrielles, et régions agricoles, tout en étant à 14 km de l’UE à travers le détroit de Gibraltar. C’est surtout cet axe qui doit devenir la locomotive de la région du Maghreb, et il est grand temps de le dynamiser.
Cependant, en cas de relance de l’UMA, on pourrait imaginer que l’Égypte puisse être un état observateur, au côté des états de la rive nord de la Méditerranée occidentale, et de pays sahéliens.
la relance du processus de construction régionale au Maghreb est de l’intérêt de tous, au Maghreb et dans le monde
LeBrief : L’action maghrébine commune est à même de réaliser un développement durable, qui garantira une vie digne aux peuples pour un lendemain meilleur et pérenne. Que peut faire la société civile dans chacun des pays de l’UMA pour faire bouger les choses ?
Hafid Boutaleb : Comme partout ailleurs dans le monde, la convergence de nations en vue de mutualiser les efforts et de s’ouvrir à un marché commun permet un véritable saut qualitatif quant au niveau de vie des peuples. Mais comme partout ailleurs, il n’existe pas de solution miracle. Un Maghreb intégré n’est qu’une parmi d’autres options complémentaires les unes des autres, comme l’Union africaine (UA) ou l’Union pour la Méditerranée. Réussir tous ces défis régionaux implique de réussir aussi le Maghreb. Le non-Maghreb implique de ralentir voir compromettre ces ambitions régionales. Ainsi la relance du processus de construction régionale au Maghreb est de l’intérêt de tous, au Maghreb et dans le monde, surtout auprès des ensembles régionaux voisins que sont l’UA et l’UE.
C’est dans ce sens que le travailde la société civile doit s’inscrire. Il faut être inclusif, et bien comprendre que le Maghreb est l’affaire de tous. Il ne s’agit pas de créer un énième avatar panarabiste, ni de s’exclure en tant que Maghrébin du Moyen-Orient ou de l’Afrique subsaharienne, bien au contraire. Le Maghreb de demain peut être, si nous arrivons à surmonter les obstacles, encore plus pluriel, multilingue, tolérant et prospère pour le grand bénéfice des peuples du Maghreb, d’Afrique et d’Europe. Car un Maghreb intégré, c’est moins d’immigration clandestine, moins de radicalisme et d’extrémisme et une réponse plus adéquate aux défis du changement climatique.
Et pour que cela ne reste pas un vœu pieux, il faut que la société civile se mobilise. Et plus que jamais il est crucial d’ignorer les discours défaitistes ou haineux de part et autres des frontières de la région, et insister sur ce qui nous rassemble.
Pour conclure sur une note positive, je retiens la candidature conjointe portée par l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie qui a permis récemment à ce que le couscous, un plat traditionnel des pays du Maghreb, fasse officiellement son entrée au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO le 16 décembre 2020 dernier. Un bel exemple que les pays du Maghreb doivent tenter de répliquer, et pourquoi pas une candidature conjointe pour la Coupe du monde de football.
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