Marché des médicaments : les défaillances relevées par le Conseil de la concurrence
Des médicaments. Image d'illustration © DR
Les difficultés d’accès des Marocains aux médicaments ont été soulignées dans un récent avis du Conseil de la concurrence (CC). La publication de ce document fait suite à une demande de l’Organisation démocratique du travail (ODT), datée du 19 mars 2013, portant surla cherté des médicaments et son impact sur les citoyens. Selon le document du CC, bien que la liste des médicaments acceptés au remboursement ait augmenté, passant de 1001 médicaments en 2006 à plus de 4.374 en 2019, portant ainsile nombre de médicaments acceptés pour remboursement par le ministère de la Santé à 7.394, les prix de ces derniers restent «plus élevés par rapport à ceux ayant cours dans un certain nombre de pays voisins du Maroc».
Dans ledit avis, le Conseil souligne que «le secteur du médicament n’est pas un marché normal soumis totalement aux règles de l’offre et de la demande et à la libre concurrence. Il est caractérisé par l’intervention de l’État, à travers une réglementation très stricte, et ce dans le but de protéger la santé des citoyens, en tant que service public, et de garantir l’accessibilité aux médicaments au prix juste et à la qualité meilleure». Toutefois, le CC estime que le cadre inapproprié et dépassé qui régit ce secteur, sa politique incohérente et sa gouvernance quasi inexistante en font «un régulateur mis sous tutelle et amputé de ses prérogatives initiales qui lui garantissaient une réelle indépendance».
Les principaux axes d’amélioration relevés par le CC
À travers ce nouvel avis, le Conseil de la concurrence souligne les sept principaux axes d’amélioration du marché du médicament. Il cite ainsi en premier lieu l’urgence de l’adoption d’une stratégie pharmaceutique globale, qui prendrait en compte «les contraintes du secteur et les défis auxquels sont confrontés ses différents acteurs», tout en assurant «l’accès des citoyens aux médicaments à travers une couverture médicale généralisée». Le deuxième point concerne les modalités de fixation des prix des médicaments, notamment enintroduisant «la notion du Service Médical Rendu d’un médicament et le droit au remboursement, comme outils de négociation des prix des médicaments». Le CC recommande aussi «l’organisation de campagnes d’information et de sensibilisation» au profit des citoyens afin de les inciter à utiliser lesgénériques. Et, il appelle à la révision du statut des pharmaciens d’officine, compte tenu de l’importance de leur rôle dans la chaine sanitaire et des problèmes qu’ils confrontent au quotidien. De plus, le Conseil exhorte les pouvoirs publics à «encourager davantage l’investissement national dans le secteur pharmaceutique, tout en appuyant le potentiel d’exportation du médicament vers le marché africain, notamment le médicament générique», rapporte EcoActu. La même source indique que le CC réclame la réforme du système de régulation de cemarché,«et ce, en invitant les pouvoirs publics à mettre en place une gouvernance efficace et harmonieuse, agissant avec anticipation sur les niveaux des prix pratiqués par les fabricants». En outre, l’un des points les plus importants de cet avis porte sur le régime d’octroi des Autorisations de mise sur le marché (AMM). Pour le CC, les demandes d’AMM présentées par les laboratoires à la tutelledoivent être traitées avec beaucoup plus de transparence et leurs délais de livraison doivent être considérablement réduits.
Les précisions de Abdel majid Belaïche
Contacté par la rédaction de Lebrief.ma, Abdel majid Belaïche, analyste des marchés pharmaceutiques, nous a livré davantage de précisions à ce sujet. Selon lui, «le CC a mis le doigt sur un certain nombre de dysfonctionnements au niveau du marché des médicaments. La réglementation actuelle est effectivementcomplètement inadaptée et incomplète pour ce secteur. Et les industriels locaux sont confrontés à plusieurs obstacles, le ministère de la Santé favorisant davantage les importateurs au détriment dela production pharmaceutique nationale et locale».
D’après notre interlocuteur, «pour les AMM, la loi stipule que les demandeurs peuvent obtenir cette autorisation au bout de neuf àdix mois, mais la réalité est autre. Ces derniers doivent attendre jusqu’à plus de deux ans pour la recevoir». «Ce n’est pas normal !d’autant plus que l’AMM sert principalement à assurer l’accès rapide des Marocains à un traitement innovant qui vient remplacer un traitement peu efficace qui existait avant», s’emporte Abdel majid Belaïche. Et de déplorer : «tout retard dans l’octroi des AMM affecte le patient, en le privant d’un médicament plus adapté à son besoin,les organismes gestionnaires de l’assurance maladie, puisqu’il les empêche de rembourser des médicaments moins chers et de faire des économies, et l’économie nationale, dans la mesure oùil bloque des opportunités de création d’emploi à travers le lancement d’un nouveau médicament sur le marché marocain. Ainsi, il ressort de ce retard un important impact économico-social».
L’analyste nous explique que depuis la sortie du dernier rapport à ce sujet en 2010, la situation s’est malheureusement beaucoup plus dégradée. «Ce secteur a dépassé aujourd’hui les six milliardsde déficits en termes de balance commerciale, et ce en raison de l’octroi d’AMM à l’importation et non à la fabrication locale, pour des médicaments qui sont “fabricables” au Maroc et qui ne font même pas appel à des techniques qu’on ne maitrise pas», regrette-t-il. Dans ce sens, l’importation de médicaments affecte en premier le patient marocain, en deuxième les organismes de gestion des assurances maladie, en troisième l’état marocain sur le plan fiscal, et enfin les fabricants locaux qui sont défavorisés par rapport aux importateurs, affirme Belaïche.
Par ailleurs, la pandémiede la Covid-19 a mis la lumière sur l’importance de l’approvisionnement en médicaments et produits de santé, autrement appelé la «souveraineté sanitaire». «À titre d’exemple, la France qui a délocalisé 80% de cetteindustrie vers les pays asiatiques, en particulier l’Inde et la Chine, est aujourd’hui incapable de fabriquer le moindre comprimé de paracétamol», explique notre source. Ainsi, après la fermeture des frontières suite au déclenchement de la Covid-19, toute sa chaine d’approvisionnement a été bouleversée.
Enfin, pour Abdel majid Belaïche, «aujourd’hui, il est fondamental de revenir vers un modèle de fabrication industrielle locale marocaine très puissant, intégrant, et les laboratoires marocains, et les entités multinationales investies et implantées au Maroc. Il est temps de tirer des leçons des erreurs du passé et viser une autosuffisance en termes de fabrication et de production de médicaments».
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