Temps de lecture : 12 minutes
Compensation : la réforme inachevée
[brid_ads]
Temps de lecture : 12 minutes
La pandémie de Covid-19 nous a rappelés à la dure réalité. Pas moins de 10 millions de nos concitoyens sont en situation précaire et le poids de l’économie souterraine est proche de 30% du PIB. De ce fait, le gouvernement a dû soutenir 4,3 millions de familles opérant dans le secteur informel à travers des aides directes du Fonds spécial Covid-19 créé sur instructions royales. Un dispositif inédit a été mis en place dans l’urgence et qui a montré, malgré quelques défaillances, que l’on pouvait cibler les franges défavorisées et en finir avec le système inefficace de soutien au pouvoir d’achat.
À l’origine de la compensation
Il faut revenir à la période du protectorat pour comprendre comment a été créé ce système de compensation. À l’époque, la résidence générale était confrontée à un problème de taille. Le Royaume vivait une période de grande famine, et un rationnement drastique des produits alimentaires a été imposé entre 1940 et 1947. Cette période difficile a été surnommée par les Marocains «Aâm El Boun» (l’année du bon). En pleine seconde guerre mondiale, les citoyens devaient se procurer ces précieux bons pour s’approvisionner en produits de première nécessité. En parallèle, un système de subvention a été instauré pour réguler l’approvisionnement du marché des produits de base et la protection du pouvoir d’achat des citoyens par la maîtrise des niveaux des prix et des flux d’importation et d’exportation. La compensation est née en 1941…. Si ce système était réservé à l’appui financier des citoyens, il a aussi soutenu pendant plusieurs décennies des secteurs industriels comme l’agroalimentaire avec ses segments laitier, huilier et sucrier, mais aussi l’énergie à travers les produits pétroliers et le BTP via le ciment.
Réparer des «injustices»?
Le mécanisme par lequel le budget de l’État supporte une partie du coût d’un produit est appelé compensation. L’État répare en quelque sorte les erreurs liées à ses orientations économiques et qui se répercutent sur les prix réels de certains produits. Des sommes exorbitantes sont débloquées chaque année pour financer les subventions. Le Maroc étant un pays non producteur du pétrole subit de plein fouet la flambée des cours internationaux des matières premières. La volatilité des marchés mondiaux affecte son équilibre budgétaire et certaines denrées comme les céréales restent dépendantes de la campagne agricole et donc de la pluviométrie. Grâce à la réforme de la compensation entamée en 2013, la liste des produits subventionnés n’en compte plus que trois: la farine, le sucre et le gaz.
Conçu au départ pour sauvegarder le pouvoir d’achat des plus démunis, le système de compensation a surtout profité aux plus nantis. En effet, 20% des ménages les plus aisés profitent à hauteur de 75% des subventions, tandis que les 20% les plus démunis ne bénéficient qu’à hauteur de 1% (analyse de l’économiste Hicham El Moussaoui dansLibération). Par ailleurs, le détournement des produits subventionnés est flagrant. Des professionnels bénéficient des produits destinés à l’usage domestique. C’est le cas du gaz butane utilisé massivement dans le secteur agricole pour le pompage de l’eau d’irrigation. Et ce n’est certainement pas le petit agriculteur qui a recours à l’irrigation. Quant au sucre, il est acheté au prix subventionné par les industriels notamment les limonadiers et les biscuitiers qui l’utilisent dans la production de leurs produits. Et comme pour le sucre, la farine subventionnée ne profite pas aux personnes qui en ont le plus besoin. En 2007, les magistrats de la Cour des comptes faisaient le constat «d’un circuit de fraude caractérisée où opèrent de concert plusieurs intervenants (minoteries, commerçants quotataires…) et qui est animé essentiellement par les minoteries en vue de bénéficier de façon illégale de la prime de compensation» (source : rapport annuel 2007 de la Courdes comptesp. 113).
Au lieu de réparer les «injustices», la compensation est devenue le symbole suprême de l’injustice sociale dans notre pays. Pourtant, la refonte de ce système considérée comme une réforme structurelle est à l’arrêt depuis deux ans.
Comment ça se passe?
Le système de compensation est géré par deux établissements publics dotés de la personnalité morale et de l’autonomie financière qui sont la Caisse de compensation (CDC) et l’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL). La CDC est chargée des subventions relatives au gaz butane et au sucre ainsi qu’une subvention spéciale pour les provinces sahariennes (cf. encadré),alors que l’ONICL gère celle relative à la farine.
Pour le gaz butane, les prix de ce produit n’ont pas augmenté depuis des décennies. Si l’on venait à appliquer le prix réel de la bonbonne de gaz, cela aurait une grande répercussion sur le pouvoir d’achat des citoyens (cf. infographie). Le système de compensation fonctionne de la manière suivante: les opérateurs du secteur gazier présentent leurs factures à la CDC qui assure la compensation du différentiel entre le prix de revient du gaz butane conditionné et les prix de vente par les sociétés de distribution. La Caisse leur rembourse également les frais de transport du gaz butane en vrac avant son conditionnement entre les sources d’approvisionnement et centre emplisseurs.
La même procédure est appliquée pour le sucre. La subvention accordée au sucre concerne aussi bien le sucre local que le sucre d’importation. Depuis le 1er janvier 2013, le prix de référence pour la subvention du sucre local est de 2661 DH/tonne et celle du sucre importé est de 5335 DH/tonne. Mais lorsque le sucre importé ou acquis localement est exporté, la subvention doit être restituée par opérateurs sur la base d’un prix fixé trimestriellement par une commission interministérielle. Et lorsque le sucre est utilisé par les sociétés de boissons gazeuses qui écoulent localement leurs produits, cette restitution porte sur un montant forfaitaire de 1000 DH/tonne.
Enfin, pour la farine subventionnée, c’est l’ONICL qui est en charge de ce produit. La qualité de celle-ci laisseà désirer. D’ailleurs, cette farine dite «nationale» est introuvable dans les grandes villes. Depuis des années, ce n’est plus la farine avec laquelle les boulangers fabriquent le pain vendu à 1,20 DH la pièce. La farine subventionnée correspond en moyenne à une consommation de près de 9 millions de quintaux par an. Il s’agit en fait d’une farine subventionnée à tous les niveaux y compris au stade de la distribution (minoteries vers grossistes), et dont les prix sont réglementés par l’État au niveau de l’organisme stokeur, du minotier et de la distribution jusqu’au consommateur. L’ONICL est chargé du contrôle chez les opérateurs du secteur meunier.
L’organisme public dispose également de ses propres centres de stockage et d’un laboratoire pour s’assurer de la qualité du produit. Chaque six mois, la commission interministérielle chargée de la répartition des dotations de la farine subventionnée de blé tendre se réunit pour décider des dotations pour chaque province et préfecture.
Réforme de la compensation
La Loi de finances 2021 consacre une enveloppe de 12,5 milliards de DH (MMDH) à la compensation. 80% de cette enveloppe est attribuée à la subvention des prix du gaz butane. La charge de la compensation atteint ainsi près de 4% des dépenses au titre du budget 2021. Imaginez tout ce qu’on peut faire avec ces 12,5 MMDH en termes de programmes à caractère social. Réduire dans un premier temps cette charge de compensation avant de la supprimer définitivement, c’est la tâche à laquelle s’est attelé l’exécutif.
Le plus difficile a été fait en 2014 quand le gouvernement de Abdelilah Benkirane a démantelé la subvention des hydrocarbures après une phase d’indexation des prix des carburants en 2013. Une véritable bouffée d’oxygène pour les comptes publics puisque la charge de compensation est retombée de 56 MMDH en 2012 à 12 MMDH en 2015. Selon des économistes, cette décompensation a permis d’économiser l’équivalent de 5% du PIB. Fin 2015, le précédent gouvernement avait aussi envisagé une baisse mensuelle de la subvention du sucre, d’un montant de 0,15 DH/kg par mois. Il avait par la suite mis cette décision en stand-by, en raison des élections de 2016. Le gouvernement de Saad Dine El Otmani avait pour sa part essayé de décompenser le sucre, mais s’est finalement rétracté face au lobbying de certains industriels. Vous vous souvenez sûrement du passage de Lahcen Daoudi, ex-ministre délégué chargé des affaires générales et de la gouvernance à la Chambre des représentants, en février 2018 quand il a expliqué comment l’État récupérait l’argent du sucre utilisé par les exportateurs et comment les aides étaient «détournées» en quelque sorte.
L’ancien ministre PJDiste, connu pour son franc-parler, promettait alors que le gouvernement mettrait fin aux dysfonctionnements du système de compensation avant la fin de son mandat. Mais le Parlement est un lieu où la promesse gouvernementale est vaine, les réformes s’essoufflent avec le temps ou souffrent d’enjeux électoraux comme en cette année 2021.
La révision de ce système de subvention généralisé, voire carrément sa suppression en optant pour la réalité des prix, est de plus en plus pressante. Il est vrai que ce système procure une certaine paix sociale. Ne l’oublions pas, en 1981, les émeutes du pain éclataient à Casablanca à cause d’une hausse de 50% du prix de la farine décidé par le gouvernement en réponse aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) qui avait imposé un plan d’austérité au Maroc et une réduction du subside sur les produits alimentaires. Aujourd’hui, si suppression de la compensation il y a, en creux, cela reviendrait à instituer un mécanisme qui ciblera directement les ayants droit à l’aide. Il faudra commencer par l’activation du Registre social unifié (RSU). Le texte régissant le RSU est dans le circuit législatif et ne devrait pas tarder à être publié au Bulletin officiel (BO). Ce registre donnera plus de visibilité sur la population, d’identifier la précarité des groupes vulnérables et nécessiteux, pour mieux les cibler.
Subvention des provinces sahariennes Une subvention est accordée pour l’approvisionnement en sucre et huile de table des provinces de Sud, à savoir : Laâyoune, Boujdour, Dakhla et Smara, ainsi que la province de Tarfaya pour le mois de Ramadan. Cette subvention concerne aussi bien le manque à gagner sur l’achat de ces produits, que les frais de logistique (transport, manutention… etc.). Le manque à gagner correspond à la différence entre le prix de revient et le prix de vente fixé par l’État.
Aïd Al-Adha : l’activité au ralenti après la fêteCe samedi, c’est le 3e jour de l’Aïd El Kébir au Maroc. Les rues et quartiers des grandes agglomérations, autrefois animés et agités, se son… |
Agriculture : Akhannouch rattrapé par le PMVEn 2008, le Royaume a adopté un ambitieux Plan Maroc vert (PMV), qui visait à atteindre l'autosuffisance alimentaire, avec des niveaux de 50… |
Ramadan : le florissant business du mois sacré«Depuis trois jours, mon budget quotidien est passé à 400 DH. Je n'ai pas le choix, toute ma petite famille, enfants et petits-enfants, pren… |
Bons du Trésor : revigorer la demande«Si cette intervention est opérée, elle sera la première dans l’histoire de Bank Al-Maghrib», avait dit Abdellatif Jouahri, wali de la banqu… |
CFC : le cœur de la finance africaineAu cœur de la nouvelle zone Casa-Anfa érigée sur le terrain du 1er aéroport de la capitale économique du Royaume, se dresse la tour CFC Firs… |
Mix énergétique : le Maroc sur la bonne voieCe sont des chiffres encourageants, ceux dévoilés par l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) relatifs à l’exercice 20… |
Politique monétaire : le statu quo justifié ?On s’en souvient. La crise des subprimes (2007-2008) avait conduit les banquiers centraux à créer des liquidités très en amont des marchés f… |
Livraison et courses : la guerre des tranchéesCoursiers, messagers, expressistes, livreurs… Les rues des grandes villes marocaines grouillent de transporteurs à vélo, moto, scooter ou v… |