«On se bat avec nos armes et c’est beau pour le football de montrer que si on a un groupe uni, si tactiquement on est en place, on peut soulever des montagnes, c’est ce qu’on a fait aujourd’hui», affirmait l’entraîneur national Walid Regragui après le match des Lions de l’Atlas face au Portugal. Interrogé sur le travail effectué et sur la courte période de préparation après son arrivée au mois d’août, Regragui lâcha : «impossible de rêver de ça, je suis arrivé en pompier de service il y a trois mois. J’ai beaucoup voyagé, j’ai beaucoup travaillé avec les joueurs, on a fait beaucoup de vidéo, de tactique, de travail pour qu’ils comprennent vraiment ce que je veux. On s’est même pris la tête avec certains mais ils ont compris où je voulais aller. J’ai vu beaucoup de gens qui parlaient, alors je vais sortir un proverbe : la défaite est orpheline, mais la victoire se partage avec beaucoup de monde. Beaucoup veulent s’accaparer ça, mais c’est le groupe qui l’a pris, ce n’est pas quelqu’un d’autre. C’est ni le coach, ni personne. (…) Ce succès : merci à la fédération, mais aussi les joueurs et personne d’autre».
Si le peuple a célébré dans une extraordinaire liesse populaire les Lions de l’Atlas à leur retour mardi à Rabat, le roi Mohammed VI a décoré en premier lieu le président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lakjâa, tout comme Walid Regragui du Ouissam Al Arch de 2e classe (commandeur). Le Souverain a suivi de près l’évolution du football national depuis sa célèbre lettre royale aux Assises nationales du sport tenues en 2008 à Skhirate.
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Réforme en profondeur
La lettre royale adressée aux participants des Assises nationales du sport le 24 octobre 2008 avait provoqué un véritable cataclysme dans tout le microcosme sportif. Direct et ferme, le message du Roi constituait une feuille de route pour le sport, toutes disciplines confondues. «On ne saurait atteindre l’objectif de promouvoir le sport, qu’en dépassant les dysfonctionnements qui le pénalisent. Ces entraves vont, en effet, à l’encontre des nobles objectifs qui y président et du rôle essentiel qui lui échoit pour l’ancrage des valeurs de patriotisme et de citoyenneté digne et pour l’édification d’une société démocratique, moderne et saine. Parmi les manifestations les plus criantes de ces dysfonctionnements dans le paysage sportif, l’on observe que le sport est en train de s’enliser dans l’improvisation et le pourrissement, et qu’il est soumis par des intrus à une exploitation honteuse pour des raisons bassement mercantilistes ou égoïstes», affirmait le chef de l’État.
Abbas El Fassi, premier ministre entouré de la ministre de la Jeunesse et des sports, Nawal El Moutawakkil, et du président du Comité olympique marocain et patron de la FRMF, Housni Benslimane, prenait la mesure de la réforme exigée par le Roi. Quant aux dirigeants des clubs, associations et fédérations, ils comprirent que l’heure des comptes a sonné et que l’amateurisme dans la gestion n’était plus admis.
Le football d’abord
La réforme devait commencer par le sport le plus populaire : le football. En 2009, Ali Fassi Fihri remplace le général Housni Benslimane à la tête de la FRMF. Le dimanche 28 mars de la même année, le Roi inaugure l’Académie Mohammed VI de football réalisée à Sala Al Jadida. Une structure qui a révolutionné le football marocain. L’ancien directeur technique national (DTN), Nasser Larguet, soulignait dans un commentaire à l’AFP qu’«un joueur par ligne» de l’Equipe nationale vient de cet ambitieux centre de formation : «Youssef En-Nesyri, Azzedine Ounahi, Nayef Aguerd et Reda Tagnaouti».
Réalisée sur un terrain d’une superficie de 18 hectares, l’Académie Mohammed VI de football identifie et forme de futurs footballeurs de haut niveau, à travers la mise en place d’un système éducatif combinant sport et études. Ce système a pour caractéristique d’offrir aux étudiants, âgés de 12 à 18 ans, une carrière footballistique ou, le cas échéant, de poursuivre normalement leur cursus scolaire dans d’autres établissements. Cette pépinière de talents a fait des émules et plusieurs académies régionales ont été créées dans les quatre coins du Royaume.
Entretemps, le championnat national est devenu professionnel. L’avènement de ce championnat pro lors de la saison 2011-2012 devait permettre aux clubs d’accéder à de nombreux avantages, dont le financement de la construction d’un centre de formation, d’une aire de jeu en gazon artificiel, en plus d’une quote-part sur les produits générés par le sponsoring et la publicité. Le Fath union sportive (FUS) de Rabat en est l’exemple le plus réussi avec une gestion de haut niveau, des infrastructures aux normes internationales et une direction technique aux larges prérogatives. Walid Regragui en sait quelque chose…
Le législateur poussera aussi les clubs à abandonner le statut d’association pour se transformer en sociétés anonymes sportives (SAS). Même si ce projet trébuche à cause de diverses entraves, il conduira à terme à une mise à niveau des différents clubs. Ce n’est pas un hasard si depuis une décennie, les équipes marocaines engagés dans les compétitions africaines sont les plus titrées grâce aux lauréats des centres de formation des clubs professionnels. Idem pour les équipes nationales féminines et masculines, toutes catégories confondues, dont celle des locaux qui a remporté le Championnat d’Afrique des nations pour deux éditions consécutives. La formation des cadres a connu un autre saut qualitatif avec l’organisation au Maroc du diplôme d’entraîneur « CAF Pro », dont deux membres de la première promotion étaient au Qatar, Walid Regragui et Aliou Cissé. Le parcours prestigieux de l’équipe A à la Coupe du monde n’est donc pas un couronnement mais le commencement d’une montée en puissance du Maroc sur l’échiquier footballistique mondial.
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La méthode Lekjâa
Qu’on l’apprécie ou pas, il faut reconnaître le travail de fond qu’il a effectué depuis son élection en 2014 à la tête de la FRMF. L’ingénieur agronome berkani a su concrétiser la vision royale en mettant en œuvre une approche triangulaire axée sur les infrastructures, le talent et un encadrement qualifié. Nommé ministre délégué chargé du Budget en 2021 et réélu à la tête de la FRMF en 2022, Lekjâa bénéficie de la confiance de la plus haute autorité du pays. Il a prouvé qu’il avait l’étoffe d’un grand commis de l’État.
Seule ombre au tableau, un hashtag « #Mafia_Lekjaa » lancé par les « ultras » de plusieurs clubs lors de la saison 2019-2020. Favoritisme et considérations «polito-footballistiques» sont pointés du doigt. Certains iront même jusqu’à qualifier l’entourage de Lekjâa de corrompu à cause notamment de programmation «désavantageuse» des matchs en retard et de la dissolution de certaines associations d’ultras.
Face à ce vent de révolte, l’homme tient debout et reste à l’écoute du public quand il s’agit de l’Équipe nationale, sachant qu’il est plébiscité au niveau national au sein de la fédération ou de la ligue professionnelle. Répondant à la demande populaire, il limogera Vahid Halilhodži? qui a consolidé l’ossature de l’Equipe nationale après le départ d’Hervé Renard. C’est le même groupe que Walid Regragui a repris en lui insufflant une nouvelle dynamique. Lekjâa avait longtemps milité pour un retour de Hakim Ziyech auquel Halilhodži? opposait un non catégorique. C’est que Lekjâa s’occupe lui-même de négocier avec les joueurs.
https://youtu.be/ipr39rXElzQ
Il assiste aux entraînements comme il l’a fait au Qatar avec plusieurs allers-retours Doha-Rabat pour s’acquitter de sa mission ministérielle et suivre le cheminement du Projet de loi de finances 2023. Dans les tribunes, il suit les rencontres, encourage les joueurs et monte au créneau quand l’arbitrage porte préjudice au Onze national. Travailleur infatigable, Lekjâa est aujourd’hui au summum de sa gloire. Il fait partie des hommes les plus influents du Maroc.
Le président de la FRMF a su aussi se frayer un chemin dans les instances de la Confédération africaine de football (CAF) et est même parvenu à se hisser en mars 2021 au Conseil de la Fédération internationale de football association (FIFA). Dans sa déclaration à la presse mercredi à Johannesburg, le patron de la CAF, Patrice Motsepe, a exprimé sa fierté par rapport à l’exploit des Lions de l’Atlas au Qatar : «Je tiens à exprimer notre profonde gratitude aux joueurs, à l’équipe technique, à la Fédération royale marocaine de football sous la direction exceptionnelle du président Fouzi Lekjaâ, au peuple marocain et au roi Mohammed VI». La direction exceptionnelle de Lekjâa est clairement soulignée et ce n’est pas le patron de la FIFA, Gianni Infantino, qui dira le contraire. Sous la présidence de Lekjâa, les conclaves de deux institutions se tiennent régulièrement au Maroc et le Royaume fait l’unanimité quand il s’agit d’attribuer l’organisation d’un événement d’envergure internationale. En témoigne la décision de confier au Maroc d’organiser la prochaine édition de la Coupe du monde des clubs en février 2023. Reste à capitaliser sur tout ça pour préparer un bon dossier de candidature pour l’organisation du Mondial 2030.
Des Assises nationales du sport de 2008 au Mondial 2022, un travail de fond a été effectué et nous en récoltons aujourd’hui les fruits. Cela démontre que quand la volonté et la rigueur sont réunies, même dans ce pays, les choses évoluent. Une parlementaire a même dit que l’exploit des Lions de l’Atlas «prouve que le travail paie toujours», plaidant dans la foulée pour une révision des politiques publiques. Qui dit mieux ?
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