Accueil / Monde

Algérie : l’après Gaïd Salah

Temps de lecture

La mort soudaine du patron de l’Armée Nationale Populaire algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah, intervient à un moment où l’Algérie fait face à une crise multidimensionnelle. Le pays est confronté à une contestation populaire sans précédent, qui réclame le départ de l’élite politique, dont le nouveau président de la République, Abdelmajid Tabboune, ainsi que la fin de l’ingérence militaire dans les affaires politiques de l’État. Le décès de Gaïd Salah menace-t-il donc la légitimité (déjà fragile) du nouveau dirigeant du pays ?

Ce lundi 23 décembre, la presse algérienne a annoncé le décès du vice-ministre de la Défense et chef de l’état-major de l’Armée Nationale Populaire (ANP), le général Ahmed Gaïd Salah. Une crise cardiaque survenue dans la nuit du dimanche au lundi a eu raison de l’homme le plus puissant de l’Algérie et l’a emporté quelque jour seulement avant son 80e anniversaire. Ce dernier avait entamé sa carrière militaire à l’âge de 17 ans en adhérant à l’armée de libération nationale qui combattait les Français. Il avait par la suite suivi une formation de deux ans dans une académie militaire soviétiqueavant de gravir les échelons de l’armée algérienne, rapporte le journal Le Soir d’Algérie. Il était chef des forces terrestres lors de la sanglante guerre civile des années 1990, menée par l’Algérie contre les islamistes. Il avait formé une alliance solide avec le président Abdelaziz Bouteflika au début des années 2000, quand ce dernier l’avait sauvé d’une retraite anticipée forcée. En tant que vice-ministre de la Défense, il avait aidé le président à démanteler les puissants services de sécurité intérieure du pays. Pendant des années, le général Gaïd Salah est resté dans l’ombre, prêt à soutenirBouteflika, mais sans jamais lui voler la vedette. Et le gouvernement l’avait bien récompensé pour ses services, lui et son armée, avec l’argent provenant des revenus pétroliers du pays, indique la même source.

Soulèvement et poignard dans le dos

Quand Bouteflika a annoncé qu’il comptait se présenter pour un cinquième mandat présidentiel, malgré sa paralysie et la détérioration croissante de sa santé, les Algériens frustrés sont sortis dans la rue pour réclamer le départ de l’élite politique. Face à la colère du peuple et à l’apparition du mouvement de contestation Hirak,Gaïd Salah n’avait d’autre choix que de retirer son soutien à son bienfaiteur. Ainsi,après ladémission de Bouteflika le 2 avril 2019, le patron de l’armée a été propulsé au-devant de la scène politique. « Ses sorties hebdomadaires se sont érigées en véritable rituel qui scandait la vie institutionnelle. À 79 ans, l’homme sillonnait infatigablement les six Régions militaires en se fendant à chaque sortie d’un nouveau bréviaire de caserne où il imposait la marche à suivre », rapporte le quotidien algérien Al Watan. La même source ajoute qu’il « fustigeait tantôt les partisans de la transition, tantôt les “préalables” au dialogue ; il s’en prenait aux promoteurs du slogan “Dawla madania, machi askaria !” (État civil, pas militaire) en soutenant qu’il était “dicté par des cercles hostiles à l’Algérie” ».

Confronté à un mouvement de protestation indomptable, Gaïd Salah a lancé une campagne anti-corruption pour arrêter et déférer devant les tribunaux les poids lourds de l’ère Bouteflika. Une mesure, bien que saluée par certains Algériens, a été considérée par l’opinion publique comme une tentative visant à exploiter la révolution dans l’objectif d’évincer les rivaux du numéro 1 de l’ANP. En outre, il a été le principal architecte de « la parodie électorale du 12 décembre qui, de l’avis de nombreux électeurs, ne réglera rien et ne fera qu’acter la régénérescence du “système” (implication de l’armée dans les affaires de l’État et retour de “l’élite politique corrompue” », déplore Al Watan.

Avenir sombre pour le gouvernement Tebboune

Boycotté et rejeté par la majorité des Algériens, Abdelmajid Tebboune vient de perdre son principal allié militaire. En effet, Gaïd Salah a longtemps soutenu la candidature de Tebboune et a fortement contribué à son ascension à la tête du pays. Interviewée par Médias24, Boualem Sansal, écrivain, essayiste et figure emblématique de l’opposition et du militantisme algérien, a déclaré : « Celui qui doit trembler, c’est le président Teboune, il vient de perdre celui qui l’a fait roi et qui assurait sa sécurité. Il est tout à fait possible qu’après le deuil, il démissionne, car il est nu, il n’a pas de gouvernement encore et toutes les institutions sont paralysées. Le Hirak va continuer de plus belle, ce qui constitue un risque, car il n’est pas organisé et pas si uni qu’on le dit ». Interrogé sur l’avenir du pays, l’écrivain a précisé : « Avec les réserves de change dont dispose le pouvoir (environ 80 milliards $), la situation de l’Algérie restera jusqu’à 2022, celle des six ou sept dernières années, après 2022, sauf remontée spectaculaire du prix du baril de pétrole d’ici là, l’Algérie entrera dans la zone des grandes tempêtes, celle de la faillite économique systémique… Il n’est pas sûr qu’un nouveau pouvoir issu du Hirak puisse sortir le pays de la crise. La crise est profonde et nous n’avons ni les hommes ni le logiciel pour faire en quelques années ce que nous aurions dû commencer au lendemain de l’indépendance, en1962, et poursuivre avec sérieux jusqu’à ce jour ».

Hormis les spéculations fatalistes de Sansal, les interrogations qui prédominent actuellement au sujet de l’Algérie sont : « Est-ce que la mort de Gaïd Salah va accélérer le changement souhaité par le Hirak ? Donnera-t-elle plus de liberté d’action au nouveau Président ?». Ces questions restent sans réponses, et l’on suivra de très près l’évolution de la situation dans ce pays voisin, dont l’avenir ne présage rien de bon.

Dernier articles
Les articles les plus lu

Le G7 s’engage à respecter les obligations liées au mandat de la CPI contre Netanyahu

Monde - Les membres du G7 s'engagent à respecter leurs obligations concernant le mandat d'arrêt délivré contre Netanyahu

Farah Nadifi - 26 novembre 2024

Le doyen de l’humanité est décédé à l’âge de 112 ans

Monde - John Tinniswood, reconnu comme l'homme le plus âgé de la planète, est décédé à 112 ans dans le nord de l'Angleterre.

Mbaye Gueye - 26 novembre 2024

ONU : Omar Hilale élu président de la 6e Conférence sur le désarmement au Moyen-Orient

Monde - Omar Hilale a été élu à la présidence de la 6e Conférence pour l’établissement d’une zone exempte d’armements au Moyen-Orient

Farah Nadifi - 26 novembre 2024

Trump taxe pour sécuriser les frontières

Monde - Donald Trump, a menacé d’instaurer une taxe douanière de 25 % sur l’ensemble des marchandises en provenance du Mexique et du Canada.

Ilyasse Rhamir - 26 novembre 2024

Accord d’un cessez-le-feu imminent au Liban ?

Monde - Les USA estiment qu'un accord de cessez-le-feu au Liban est « proche », suite à l'opération israélienne lancée il y a deux mois.

Rédaction LeBrief - 25 novembre 2024

Présidentielles en Roumanie : un candidat indépendant crée la surprise

Monde - Călin Georgescu, ingénieur agronome de 62 ans, crée la surprise lors du premier tour des élections présidentielles en Roumanie

Mbaye Gueye - 25 novembre 2024

COP29 : un accord qui ne satisfait pas tout le monde

Monde - L'accord a provoqué des réactions virulentes du côté du groupe des négociateurs africains et des petits États insulaires.

Mbaye Gueye - 25 novembre 2024
Voir plus

Le Chien des Baskerville

Monde - "Le Chien des Baskerville" (1901), de l'incontournable Sir Arthur Conan Doyle, est l'une des plus célèbres aventures de Sherlock Holmes.

Rédaction LeBrief - 26 décembre 2023

Trump forever !

Monde - Donald Trump veut se représenter en 2024 à la présidentielle et la campagne a commencé par un spectacle digne d'une série avec FBI, villa de luxe en Floride et intrigue politico-complotiste !

Atika Ratim - 11 août 2022

USA : Matt Gaetz retire sa nomination au poste de secrétaire à la Justice

Monde - Matt Gaetz, choisi la semaine dernière par le président-élu américain Donald Trump pour occuper le poste de secrétaire à la Justice a annoncé qu'il se retirait de cette nomination.

Farah Nadifi - 21 novembre 2024

Deuxième jour de trêve : première frappe israélienne contre le Hezbollah

Monde - L'armée israélienne a annoncé avoir mené une frappe aérienne sur une installation du Hezbollah dans le sud du Liban, marquant la première violation de la trêve fragile.

Rédaction LeBrief - 28 novembre 2024

Le “muskisme”

Monde - Mais qu’est-ce qui fait avancer Elon Musk ? D’où lui vient ce rêve de sauver l’humanité en l’envoyant sur Mars ?

Rédaction LeBrief - 27 septembre 2023

Le G7 s’engage à respecter les obligations liées au mandat de la CPI contre Netanyahu

Monde - Les membres du G7 s'engagent à respecter leurs obligations concernant le mandat d'arrêt délivré contre Netanyahu

Farah Nadifi - 26 novembre 2024

Liberté de la presse : la Maroc classé 129e sur 180 pays

Monde - Dans son rapport de 2024 sur la liberté de la presse, RSF met en lumière une détérioration des conditions de travail des journalistes.

Sabrina El Faiz - 3 mai 2024

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire