Par nécessité ou par choix, de plus en plus de Marocains se tournent vers l’option du side hustle, à comprendre : deuxième job, lancement d’un projet, du freelance… Fatigués, à bout de nerfs, ils sont nombreux à ne plus avoir le choix de cette double vie… professionnelle, afin de subvenir aux besoins de leur famille.

Madame et Monsieur travaillent. S’il y a quelques années, c’était déjà une révolution en soi, ça ne l’est plus tellement. Maintenant, Madame et Monsieur ont une double vie. Une double vie professionnelle, restons polis, mais une double vie tout de même. Puisqu’ils doivent gérer deux plannings professionnels, deux patrons, deux numéros et parfois même deux fuseaux horaires ! Eh oui, les Marocains opèrent même avec la Chine s’il le faut.

En parallèle de leur emploi principal, certains Marocains mènent une activité secondaire. C’est ce qu’on appelle le phénomène side hustle. Une source de revenus supplémentaire qui peut prendre plusieurs formes. Il s’agit soit d’un job en freelance, complètement déclaré sous la houlette de l’autoentrepreneuriat, soit d’un job au noir, en catimini avec seconde adresse mail, autre numéro et discussions en cachette… à croire que c’est illégal… eh bien oui ça l’est. Dans d’autres cas, certaines personnes se lancent corps et âmes dans un projet commercial parallèle, espérant, ainsi, doubler leurs revenus et, pourquoi pas, un jour, carrément démissionner de leur job actuel et ne vivre que de leur affaire.

Une économie en berne

Pour boucler leurs fins de mois, ils sont prêts à tout, et le side hustle est quasiment devenu incontournable. La faute à qui ? À une économie en berne d’abord. Ce n’est même plus un secret, le Maroc traverse une période économique difficile, avec une inflation qui ne répond qu’à ses propres lois. Cela engendre, en partie, une stagnation affligeante des salaires et du pouvoir d’achat. Selon l’enquête permanente de conjoncture menée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), l’indice de confiance des ménages (ICM) au deuxième trimestre (T2) de 2024, 82,6% des ménages déclarent une dégradation du niveau de vie au cours des 12 derniers mois, tandis que 13% estiment que leur niveau de vie est resté stable et 4,4% constatent une amélioration. Le solde d’opinion sur l’évolution passée du niveau de vie reste négatif, à moins 78,2 points, légèrement en hausse par rapport au trimestre précédent. À la mi-juillet 2024, date de publication de cette étude, 55,1% des ménages s’attendaient déjà à une dégradation du niveau de vie. Le mécontentement général pousse de plus en plus de salariés à chercher des solutions alternatives pour augmenter leurs revenus.

Une enseignante de 32 ans dans une école privée à Casablanca confie à Le Brief avoir commencé à donner des cours particuliers après ses heures de travail pour compenser son faible salaire : « Je gagne 8.000 dirhams par mois, et suis divorcée avec un enfant, ça ne me suffit pas à couvrir mon loyer, mes factures, et mes courses. J’ai donc commencé à donner des cours particuliers à domicile pour compléter mes revenus. Oui, ça m’aide financièrement, mais ça m’épuise. Je n’ai plus de temps pour moi-même ».

Cette maîtresse n’est pas un cas isolé. De nombreux travailleurs marocains, jeunes et moins jeunes, se tournent vers les side hustles pour survivre. Ces activités vont des cours particuliers à la vente en ligne, en passant par le design graphique, la conduite de VTC ou encore la livraison à domicile. C’est un phénomène qui prend tellement d’ampleur, que le visage du marché du travail que nous connaissions jadis n’a plus la même forme. « Ceux qui ont des qualifications spécifiques et très demandées, comme les informaticiens, trouvent généralement plus facilement des missions supplémentaires. Par exemple, certains d’entre eux travaillent à plein temps dans une entreprise et effectuent des heures supplémentaires à l’extérieur pour des entreprises qui ne peuvent pas se permettre d’avoir un responsable informatique en interne. Ils interviennent alors à l’occasion, le week-end ou sur des plages horaires décalées. Cela se retrouve également dans des domaines comme la comptabilité, la finance, ou encore dans le secteur de l’enseignement, où des personnes donnent des cours particuliers ou travaillent dans des écoles en parallèle de leur emploi principal », déclare Essaid Bellal, fondateur du cabinet Diorh à Le Brief.

Un second job : par choix ou par nécessité ?

S’il y a quelques années, les jeunes diplômés se tournaient vers ce type d’emplois en attendant mieux, le « en attendant » s’est transformé, avec l’inflation, en habitude sociétale, particulièrement parmi les jeunes et les classes moyennes. Plusieurs facteurs contribuent à cette tendance. Nous avons, pour commencer, la partie logique : la précarité économique, puis le coût de la vie en hausse !

Les salaires, et bon nombre peuvent en témoigner, dans la plupart des secteurs sont souvent insuffisants pour couvrir les besoins de base, le logement, la nourriture, l’éducation des enfants, et les soins de santé. Il est donc tout à fait logique de chercher un complément de revenu pour joindre les deux bouts.
Parallèlement, il y a le coût de la vie qui grimpe, grimpe, grimpe, sans jamais s’essouffler. Particulièrement dans les grandes villes où les prix des produits de base, comme les fruits, légumes, viandes et volailles, n’ont eu de cesse de suivre une courbe ascendante. Le panier de course moyen a connu une hausse considérable en termes de prix ces dernières années.

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Le second job n’est toutefois pas qu’une solution temporaire. Pour certains, cela représente une véritable opportunité. Prenons l’exemple de ces jeunes diplômés qui, une fois sur le marché, se trouvent face à des offres d’emplois limitées et une demande saturée. Dans ce contexte, où la concurrence est rude et fait rage, les jeunes diplômées peuvent se retrouver longtemps, voire très longtemps au chômage.

Face à une telle situation, certains se lancent dans des petits jobs dits en free, de petits projets et même de la vente en ligne. C’est l’histoire de Narjiss, mère d’un enfant, comptable de formation qui, actuellement, s’est reconvertie dans la vente de linge de maison, suite à une longue période de chômage. S’il s’agit d’une alternative à un emploi traditionnel, c’est surtout, et avant tout, une nécessité de mettre un peu de beurre dans les épinards.

« Mon mari ne peut constamment subvenir aux besoins de toute la famille, en absence de travail, je dois trouver une solution, et même si je décroche un poste, maintenant, je ne pense pas lâcher ma petite affaire qui nous rapporte un bon complément »

Narjiss, autoentrepreneur.

Pour certains, le second emploi n’est pas seulement une question de nécessité, mais aussi une volonté de s’émanciper financièrement. En effet, de plus en plus de Marocains, notamment parmi les jeunes diplômés, souhaitent se libérer des contraintes imposées par un seul revenu. Les opportunités offertes par le travail en freelance, le commerce en ligne, ou même les services à la personne permettent à ces individus de diversifier leurs sources de revenus et d’améliorer leur situation économique.

Et puis, certains Marocains prennent un second emploi non pas uniquement pour des raisons financières, mais aussi pour se réaliser personnellement. Beaucoup voient dans cette opportunité une manière d’exploiter leurs compétences, passions ou talents dans des domaines qui leur tiennent à cœur, mais qui ne sont pas nécessairement liés à leur emploi principal. « Il existe plusieurs types de second emploi. Pour certains, c’est même un tremplin vers l’auto-entrepreneuriat. Ils commencent par accepter des missions en freelance, puis envisagent de se lancer à leur compte, parfois après avoir quitté leur travail, que ce soit de leur propre initiative ou suite à une restructuration. À ce moment-là, ils comptent sur eux-mêmes et peuvent se tourner vers le consulting ou le freelance en travaillant pour plusieurs entreprises à la fois, sans garantie d’emploi stable », détaille le spécialiste des ressources humaines.

2ème job, impact non mesurable, mais flagrant

Vous le connaissez, ce patron au grand complexe d’infériorité, dissimulé sous des couches de fausse supériorité qui, sous couvert de vous donner un salaire, pense mériter toute votre énergie, votre vie, votre esprit et votre temps ? Ce patron, c’est le patron-type marocain. Ça sent le vécu ! Traditionnellement, le patron marocain s’attend à avoir tout cela dans un joli packaging enrubanné. Mais avec la prolifération des side hustles avec leur second job, ils ne savent plus où donner de la tête ! Ils doivent faire face à une nouvelle génération d’employés à l’attention partagée entre deux activités professionnelles.

Essaid Bellal nous explique que les side hustles peuvent avoir des conséquences directes sur la productivité des employés : « il est évident qu’une personne qui travaille la nuit sera moins productive le lendemain. Cela est mesurable, surtout dans les entreprises bien structurées. En revanche, beaucoup de ces effets passent inaperçus dans des entreprises moins organisées ». Selon l’expert, lorsqu’une entreprise bien organisée travaille au résultat, la baisse de productivité peut être rapidement visible. À contrario, dans les entreprises où seule la présence prime, cela peut passer inaperçu.

Certaines entreprises, notamment dans le secteur technologique et les start-ups, adoptent une approche plus flexible et inclusive vis-à-vis des side hustles. Elles estiment qu’un salarié épanoui dans ses projets personnels est plus engagé et productif dans son travail principal. D’autres, en revanche, voient cette tendance d’un mauvais œil, craignant que les side hustles ne détournent l’attention de leur job actuel.

Pis encore lorsqu’il s’agit de métiers de la santé où l’attention accrue doit rester stable tout au long de la journée, ou de la nuit. « Mon salaire d’infirmière est à peine suffisant pour couvrir mes dépenses. J’ai commencé à vendre des produits de beauté sur Instagram pour gagner un peu plus. Cela m’aide à payer mes factures, mais cela me prend beaucoup de temps, surtout après une journée de travail déjà longue », explique une infirmière d’un CHU, sous couvert d’anonymat.

Que dit la loi ?

Le travail en freelance peut être contrer par un employeur, dans le cas où celui-ci n’a pas donné l’autorisation écrite, dans le contrat de travail. Ça, c’est dit. Plusieurs textes de loi permettent d’encadrer ce type d’activité. Le Code du travail marocain mentionne l’existence de freelance et sa non-légalité. « Sur le plan juridique, cela dépend du contrat de travail. De plus en plus d’entreprises incluent des clauses spécifiques interdisant à leurs employés d’exercer une autre activité professionnelle, mais ce n’est pas encore généralisé. Si le job secondaire ne nuit pas au travail principal et ne concerne pas un concurrent direct, il est souvent difficile pour l’employeur d’intervenir. Dans le cas où l’activité a un impact négatif, l’employeur peut demander à l’employé d’arrêter, mais sans le licencier directement », nous explique Bellal. En d’autres termes, un employé de bureau travaillant dans une société de marketing ne pourrait pas lancer sa propre agence de communication sans en informer son employeur.

Un second job légal? DR : Blog Autoentrepreneur marocain

Un second job légal? DR : Blog Autoentrepreneur marocain

Le spécialiste nous informe que si un salarié est licencié pour avoir eu un emploi freelance sans que cela nuise à son activité principale, il peut tout à fait porter l’affaire en justice et avoir gain de cause, surtout si aucune clause ne stipulait l’interdiction de cumuler les emplois. Le déséquilibre entre les parties est souvent pris en compte en cas de litige.

Enfin, pour éviter que les employés ne cherchent un second job, les RH peuvent mettre en place des stratégies qui profitent à la fois à l’employeur et à l’employé. Cela passe notamment par des contrats de travail équilibrés, évitant des clauses trop contraignantes pour l’employé. Bien que l’employé puisse refuser de signer un contrat trop favorable à l’employeur, ce rapport de force se traduit souvent en faveur de l’entreprise. Si le contrat est jugé déséquilibré, l’employé peut néanmoins espérer un résultat positif en justice, même après l’avoir signé.

Malgré une légalisation du statut d’auto entrepreneur, beaucoup continuent d’exercer de manière informelle, sans déclarer leurs revenus ni cotiser à la sécurité sociale, ce qui peut poser des problèmes à long terme, notamment en matière de retraite et de protection sociale. Pour cause, la clause stipulant qu’on ne peut facturer plus de 80.000 dirhams par client, soit un peu plus de 6.500 dirhams par mois démotive plusieurs freelances ayant pris l’habitude d’arrondir les fins de mois avec le même client.

Donc, malgré un espoir de liberté financière, avec un second job, la plupart se retrouve dans un engrenage sans fin de travail, avec un déséquilibre clair entre vie personnelle et professionnelle. Ce sont souvent ces profils, nommés cerveaux, qui émettent le besoin de partir exercer outre-mer.

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