Ramadan au Maroc : le vécu des étrangers
On peut lire la fatigue sur le visage de beaucoup de personnes en ces derniers jours du mois sacré. Normal après quatre semaines vécues intensément par les Marocains. Mois du repentir, de la patience et de l’altruisme, le quatrième pilier de l’Islam a été particulièrement agité cette année du fait d’un retour à la normale après deux années de Ramadan sous cloche à cause de la pandémie de Covid-19. Pour les étrangers, le mois sacré a été difficile du fait que le rythme et les habitudes sont très différentes du reste de l’année. S’il est facile pour les étrangers musulmans de s’adapter à la culture et aux traditions marocaines, les non-musulmans doivent faire un effort supplémentaire pour bien vivre le mois de jeûne et s’accommoder des exigences de ce mois spécial.
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Certains préfèrent être ailleurs
«Ça fait sept ans que je vis au Maroc. J’ai tenté les deux premières années de passer le Ramadan ici mais j’ai vraiment souffert de la lenteur du rythme, de collaborateurs à fleur de peau, des restaurants fermés en journée, de l’impossibilité de fumer une cigarette à l’extérieur», raconte amèrement Luc, fondateur d’une entreprise spécialisée en modélisation 3D à Casablanca. Depuis 2017, Luc quitte le Maroc pendant le mois de Ramadan. «Quand ça coïncidait avec le mois de juin, je prenais des vacances. Là, je travaille à distance», témoigne-t-il. Luc n’est pas le seul à avoir fait le choix de quitter le Maroc pendant le mois de Ramadan. Plusieurs expatriés prennent leurs dispositions pour passer le mois sacré dans leur pays d’origine et partagent sur un forum leurs mésaventures passées. Yvan, fonctionnaire d’une organisation internationale, s’était attiré les foudres des passants pour avoir bu de l’eau en marchant dans le quartier des ministères à Rabat. Hillary, enseignante à l’école américaine de Tanger, a été traitée de « mécréante » et agressée verbalement parce qu’elle a ouvert sa lunch-box dans un jardin.
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D’autres tiennent à vivre l’expérience
D’autres étrangers ont trouvé la parade, elle se résume en un mot : discrétion. Ils font la cuisine et se restaurent chez eux. Sinon, ils fréquentent un fast-food qui sert les étrangers en journée pendant le mois de Ramadan. «Je comprends la susceptibilité des Marocains. Ils exigent qu’on respecte leur religion et leur abstinence. Il suffit de ne pas manger, boire ou fumer devant eux», atteste Ryan, consultant établi à Marrakech. «Je connais des non-musulmans qui ont fait le choix de jeûner pendant ce mois. Ça permet d’être en phase avec les Marocains et c’est bénéfique pour la santé», juge-t-il. Dans l’ensemble, ils savent comment ne pas heurter les sensibilités et respecter les spécificités de ce mois. «C’est tout de même une expérience très spéciale : le rythme lent en journée, la frénésie avant la rupture du jeûne et les longues soirées animées. Moi, j’aime bien Ramadan surtout que je suis invité presque tous les jours pour déguster les bons petits plats marocains», se confie Anne-Marie, responsable de production dans un call center à Casablanca. «En journée, certains cafés sont ouverts pour servir les étrangers et puis il y a les livraisons à domicile qui fonctionnent toujours. Quand je veux, je commande un repas et je suis livrée sans problème», ajoute notre interlocutrice.
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Quid des touristes ?
Qui a dit que tourisme et Ramadan ne font pas bon ménage ? Le ralentissement des arrivées dans le Royaume pendant le mois sacré n’est plus aussi notable. Nastasya Kotnarovsky, créatrice du blog ‘‘valizstoriz.com’’ a passé quatre semaines au Maroc dont trois en plein Ramadan en 2019. Son retour d’expérience sur le sujet est plutôt positif avec une description l’atmosphère unique qui règne au Maroc pendant Ramadan. «En tant que touriste, contrairement à ce qu’on croit, cela n’aura pas un impact énorme sur vous», rassure d’emblée celle qui se présente en tant que ‘’voyageuse, freelance et nomade digitale’’. Elle note que les prix des vols et des hôtels sont moins chers pendant cette période et que le fait qu’il y ait moins de monde dans les différents sites, habituellement bondés, permet de profiter pleinement de son voyage. Nastasya souligne que côté restauration, le matin le petit-déjeuner est servi en hôtel ou guest house. Le midi, «dans les grandes villes touristiques (Marrakech, Fès, Essaouira…), il y aura toujours quelques restaurants touristiques ouverts», témoigne Nastasya qui salue la convivialité des Marocains qui l’ont invité fréquemment à prendre le ftour. Elle conclut en donnant quelques conseils invitant les touristes à respecter les locaux : «Portez des vêtements amples si possible. Il n’est pas conseillé de fumer en public, ni de boire de manière trop outrancière».
De son côté, l’hôtelier Hassan Karimi explique tout le travail pédagogique qui est fait par ses équipes pour accompagner les touristes pendant ce mois sacré. «Nous essayons d’être très didactique dans notre approche pour faire connaître les us et coutumes relatifs au mois de Ramadan», nous révèle Karimi. Pour lui, le premier choc des touristes c’est d’entendre les sirènes d’alarme et les coups de canon. «Une sirène qui retentit à l’heure du ftour et un coup de canon qui est tiré chaque jour au coucher du soleil pour annoncer la fin de la période de jeûne et un autre qui informe à l’aube de la levée du jour, ça peut faire peur», appuie notre interlocuteur. Aussi, les établissements hôteliers essaient de faire vivre l’ambiance ramadanesque aux touristes. «En plus de la musique andalouse, du melhoun et du gharnati qui accompagnent les repas du soir, des troupes folkloriques animent les soirées du Ramadan. Nous proposons également à nos clients de vivre l’expérience inoubliable d’un henné marocain authentique», expose Karimi. Pour ce professionnel de l’hôtellerie, le voyage au Maroc pendant Ramadan est plus exotique parce qu’il permet une immersion dans des coutumes ancestrales que les visiteurs ne peuvent apprécier durant le reste de l’année. «Nous sommes étonnés des fois par des clients étrangers qui demandent à ce que le s’hour leur soient servis à la place du petit-déjeuner. Certains vont même jusqu’à s’abstenir de manger en journée en se limitant à boire de l’eau pour éviter la déshydratation», conclut-il.
Il y a quelques années, le voyagiste et militant, Fouzi Zemrani, plaidait pour que le mois sacré de Ramadan ne soit pas un frein pour l’industrie touristique. «D’ailleurs les juifs ont trouvé un créneau avec Pessah, fête contraignante pour les ménages pratiquants qui profitent de cette période pour voyager en famille à moindre frais, dans des hôtels en ‘‘all in casher’’, plutôt que rester chez eux et devoir dépenser plus pour refaire leurs intérieurs», argumentait-il. «Une approche marketing prenant en considération nos spécificités culturelles et religieuses, nous permettrait d’influer sur le marché local et le faire réagir à une nouvelle offre», lançait l’ex-président de la Fédération des agences de voyages.
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La tolérance au rendez-vous
C’est une dimension que l’Islam enseigne et que le mois sacré traduit parfaitement. La tolérance envers les autres religieux est une valeur fondamentale pour les fidèles qui jeûnent. Ces derniers accueillent à leur table des non-musulmans pour le ftour afin de démontrer leur acceptation de la différence.
Un événement symbolique reproduit chaque année ce comportement. Il s’agit de « Ftour Pluriel » qui a fêté cette année son dixième anniversaire. Il réunit musulmans, juifs et chrétiens autour d’un repas de rupture du jeûne sous le signe de la tolérance, de la paix et de la coexistence. «Nous avons établi une belle coutume qui fait qu’à chaque Ramadan Musulmans, Juifs et Chrétiens se retrouvent pour partager le repas de rupture du jeûne, geste symbolique commun aux trois religions : « le partage du sel, le partage du pain’ »», expliquent les initiateurs de cet événement annuel. « Ftour Pluriel » se veut une occasion de véhiculer un message fort pour la fraternité, l’acceptation de l’autre et le vivre ensemble. Mercredi dernier, dans une ambiance de communion et de partage, les représentants des trois religions monothéistes ont encore une fois confirmé que le Maroc est un modèle singulier en matière de promotion des valeurs de tolérance et de dialogue interreligieux et interculturel. Présents autour d’une même table, l’imam Omar El Mrini, le rabbin Joseph Israel et le père Manuel Corullon ont transmis, en parfaite communion, un message de paix, d’entente et de fraternité. Raphaël Martin De Lagarde, ministre conseiller de l’Ambassade de France au Maroc, s’est dit « très heureux » de prendre part à la 10e édition du « Ftour Pluriel ». «Cette année, le Ramadan est particulièrement empreint de spiritualité pour les juifs et les chrétiens qui viennent de célébrer les fêtes de Pessah et de Pâques. Avec ces célébrations, les trois religions du livre se trouvent plus étroitement liées», a-t-il indiqué.
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Que ce soit pour les étrangers résidant au Maroc ou pour les touristes, le mois sacré est une période très spéciale. Au-delà du fait que tout le pays marche au ralenti, la plus grosse difficulté est de trouver des restaurants ouverts en journée. Mais l’ambiance ramadanesque et ses prolongations nocturnes, sans oublier la légendaire hospitalité marocaine, sont à même de rendre l’expérience du mois de jeûne intéressante pour les étrangers qu’ils soient résidents ou visiteurs.