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Ramadan : entre hier et aujourd’hui

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Après deux années de parenthèse ‘‘covidienne’’, nous vivons cette année un mois sacré presque normal. Levée des restrictions sur l’ouverture des commerces, autorisation des grands rassemblements, organisation des Tarawih dans les mosquées… Le Maroc renoue avec l’ambiance ramadanesque diurne et nocturne, mais rien à voir avec l’ambiance d’antan. Bien avant la pandémie de Covid-19, les habitudes des Marocains pendant Ramadan avaient déjà beaucoup changé.

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On dit que les traditions les mieux établies ont vocation à disparaître. Certes, les choses évoluent avec le temps, mais au regard d’un certain héritage, l’on se demande si cette évolution est positive. Pour ne pas remonter trop loin, Ramadan dans les années 1970, 1980 et même 1990 était vécu intensément. Il offrait des moments uniques de communion. Mois de spiritualité, mais aussi de retrouvailles, les traditions et rituels marquant ce mois sacré étaient transmis de génération en génération. Le début du mois sacré était annoncé uniquement sur les ondes de la radio et à la télévision. Les nouvelles technologies n’avaient pas encore accaparé l’espace. À l’heure de la rupture du jeûne, des sirènes et des coups de canon retentissaient pour avertir les citoyens.

Des métiers saisonniers complétaient le dispositif communicationnel. Le Tabbal (batteur), le Naffar (trompettiste) et le Ghayyat (flutiste) sillonnaient les rues pour réveiller les fidèles pour le s’hour avant la prière et le début d’une journée de jeûne. Les familles marocaines les honoraient, que ce soit avec de l’argent, ou en leur proposant de la nourriture.

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Le premier passage était celui du battement de tambour pour réveiller les femmes chargées de préparer le repas. Puis le Naffar, qui se servait d’une longue trompette de plus d’un mètre de long, assurait un deuxième passage pour réveiller les dormeurs. Enfin, la dernière piqure de rappel était l’œuvre du Ghayyat qui utilisait une petite flûte. Aujourd’hui, très peu de villes marocaines perpétuent cette tradition, hormis les quartiers populaires des grandes cités et les différentes médinas. «Il y a des années, chaque quartier avait son ‘‘réveilleur’’ qui faisait deux passages par nuit, à au moins une heure d’intervalle. Aujourd’hui, tout a changé. La génération actuelle veille tard et dispose de smartphones. Les jeunes n’ont pas besoin d’être réveillés», témoigne Hajj Allal, figure emblématique du quartier Derb Mila à Casablanca.

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Le bon vieux temps

Pendant les journées ramadaniennes du siècle dernier, après la prière d’Al Asr, tout le monde se ruait vers la médina pour s’approvisionner en produits nécessaires pour préparer la table de f’tour. Sur la table, point d’excès, mais les essentiels, à commencer par l’indétrônable Harira. Ce plat principal était accompagné par les dattes, les figues séchées, les œufs à la coque, la Chebbakia et les Briwates, Baghrir et compagnie ou quelques viennoiseries étaient servis après le f’tour. À l’époque, le dîner était toujours de mise pendant le Ramadan. Après le retour des Tarawih, la famille s’attablait pour un repas dissocié de celui du f’tour. Quant aus’hour, Raïb et Sellou régnaient en maître sur la table en plus de quelques gâteaux traditionnels. Ceci était le schéma général dans les principales villes du pays, mais quelques spécificités régionales faisaient la différence avec des plats locaux basés sur des produits du terroir. Hssoua et Batbout dans la Chaouia, Makrout, Zlabia, Kaâk et Chamia du côté d’Oujda, Ahrir, Bouchiar, Arkhsis, Tamgnoute, Aftal, Oumtine et Zameta chez les tribus du Moyen Atlas.

Malgré les heures limitées de diffusion, la télévision marocaine (TVM), seule et unique chaîne au Maroc jusqu’à la fin des années 1980, proposait une grille adaptée au mois sacré. En plus de la diffusion de la ‘‘marche coranique’‘ et des causeries religieuses présidées par le Roi, l’heure du f’tour était le moment de la musique andalouse par excellence.

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Point de spots publicitaires et de matraquage à tout va, l’heure du f’tour était sacrée. Les quelques publicités et sketchs étaient diffusés plus tard en soirée. Une série arabe était aussi programmée avant un long-métrage ou une soirée de variétés.

Le soir, les gens étaient plutôt casaniers. Très peu de personnes sortaient la nuit si ce n’est pour aller à la mosquée.

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Les soirées étaient ponctuées de séquences de panégyriques, de discussions en famille ou entre voisins un verre de thé à la main et de parties de Ronda ou de Rami. Quelques jeunes trainaient ici et là, surtout quand les salles de jeux ont commencé à ouvrir après le f’tour dans les années 1980.

Quant aux enfants, les familles recouraient à certaines astuces telles que les convaincre dejeûner deux demi-journées au lieu d’une journée entière, tout en lui expliquant que Dieu récompense l’intention et qu’il aura la récompense d’une journée entière de jeûne.

Fort heureusement, certaines de ces traditions subsistent, d’autres ont complètement disparu.

Nouvelles tendances

Alors que nos parents et grands-parents se contentaient de plats simples, concoctés à base de produits naturels de saison pour le f’tour, la table ramadanesque a été au fil du temps conquise par des aliments achetés dans les grandes surfaces, pâtisseries et chez des traiteurs. Ces produits sont bourrés de matières grasses et loin d’être équilibrés. Peu de légumes, de fruits et de poissons sont consommés par les jeunes générations pendant le mois sacré. «La viande hachée et le cordon bleu sont les produits qui sont très demandés par notre jeune clientèle», nous confie Sellam, employé d’une boucherie au quartier 2 Mars à Casablanca.

L’autre tendance malheureuse du Ramadan nouvelle génération, c’est la prévalence des échanges sur les réseaux sociaux. Certaines familles se livrent à une concurrence acharnée pour remplir, d’une manière exagérée, leur table du f’tour pendant le mois de Ramadan. On bourre la table de plats en tout genre et on prend une photo qu’on partage. Alors qui a la table la plus riche et la plus garnie aujourd’hui? Les photos font le tour d’Instagram, Facebook et Whatsapp. Le plus grave c’est que la bataille aux tables ramadanesques les plus remplies s’internationalise. Des pics sont observés entre les ménages des différents pays arabes. Navrant quand on connait toutes les difficultés rencontrées par les ménages à cause de la spirale inflationniste ! Certaines familles nécessiteuses se limitent aux denrées de base pour rompre le jeûne…

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Il était autrefois inimaginable de rompre le jeûne dehors. Aujourd’hui, c’est une habitude enracinée et très bien marketée. Les différentes enseignes redoublent d’ingéniosité pour séduire une clientèle branchée et qui ne veut surtout pas passer tout le mois sacré à la maison ou chez la famille. Des habitués sont ravis de savourer leur bol de Harira ou leur plat de sushis si ce n’est un buffet intercontinental en self-service au milieu d’un cadre relaxant et dans une ambiance festive. De l’animation, un large choix de mets, une décoration adaptée et le tour est joué. 300 DH pour un f’tour, c’est un prix moyen pratiqué dans des établissements casablancais, rbatis, tangérois et marrakchis. À Agadir, c’est sur le sable de la plage de la capitale du Souss que les clients viennent rompre le jeûne. Qui dit mieux? Approché par l’agenceMAP, Amine Karim, voyagiste, a indiqué que la crise sanitaire a opéré un changement dans le comportement du consommateur en ce qui concerne le tourisme.«Nous recevons des réservations de la part de voyageurs voulant troquer la routine de la préparation quotidienne du f’tour pour se ressourcer», témoigne Karim. Qui l’eût cru?

Et puis il y a ceux qui ne sortent pas, qui ne voyagent pas mais qui ne préparent pas le f’tour pour autant. Il leur suffit de commander leurs plats « home-made ». Entre box d’ingrédients pesés et quantifiés à mitonner ou box prête à consommer, les clients ont l’embarras du choix. Célibataires, jeunes couples, retraités n’hésitent pas à passer commande pour un Ramadan sans effort. Les adaptes de fast-foods ont aussi leurs offres spéciales Ramadan. Boxs avec burger, jus d’orange, donut et autres gourmandises sont proposées.

Le soir, les flâneurs et autres inconditionnels des balades nocturnes occupent les différents espaces publics, cafétérias et clubs. Sirotant café, thé et autres breuvages sucrés, certains suivent les matchs de la Ligue des champions ou de la Botola Pro alors que d’autres s’affrontent dans des parties de cartes ou de jeux électroniques sur console. Pour tout ce beau monde, il n’est pas question de passer la soirée entre quatre murs.

Le Ramadan d’aujourd’hui fait partie de l’écosystème consumériste. Même les tenues traditionnelles qui étaient faites à la main et vendues à des prix raisonnables sont désormais sous l’emprise de la mode et de ses effets. Pour passer un Ramadan in, il faut s’habiller marocain en respectant la tendance du moment et un certain code. Que penseraient nos aïeux de tout ça, eux qui vivaient dans la simplicité, en harmonie avec les exigences de ce mois béni?

Bien que les temps aient changé et les gens aussi, l’esprit de Ramadan est là et continue de régner au sein de toutes les familles marocaines. Pendant tout le mois sacré, patience, bienveillance, écoute et générosité remplissent nos cœurs. Plus qu’un esprit, c’est la magie du Ramadan qui opère.

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