Ramadan : bienfaisance et solidarité à leur summum
Le Marocain est généreux parnature, dit-on. Cela peut être constaté de visu pendant le mois de Ramadan, point d’orgue de démonstration des valeurs d’humanité, de solidarité, d’entraide et de partage. Chacun fait de son mieux pour aider son prochain. Si ce n’est une aide directe accordée à un membre de la famille, un employé ou un voisin, la société marocaine se mobilise à plus grande échelle pour faire de ce mois sacré un moment de cohésion sociale. Les actions humanitaires des associations consistent en la distribution de paniers alimentaires, de packs ftour contenant des aliments de première nécessité (huile, farine, sucre, dattes, thé…), en plus de l’organisation de ftours collectifs dans une ambiance empreinte d’un esprit de convivialité et de solidarité qui caractérisent ce mois béni.
Les associations commencent toujours par le lancement des appels aux dons dans l’objectif d’enrichir leurs ressources financières et humaines. Aussi, ces associations organisentde vastes campagnes de collecte de denrées alimentaires pour subvenir aux besoins des personnes nécessiteuses. Pour réussir ce pari, elles recourent aux différents supports (campagnes radio, affiches et dépliants). Ces mêmes associations n’hésitent pas à recourir aussi aux réseaux sociaux dont l’impact n’est plus à démontrer, l’objectif étant de mobiliser un maximum de bénévoles et de donateurs. L’État et les opérateurs économiques répondent aussi présents pour soutenirles populations en situation précaire.
Opération de soutien alimentaire
Initiée depuis 1998, cette opération nationale solidaire de grande envergure s’est inscrite dans la continuité. En 24 ans, une enveloppe budgétaire globale de plus de 1,5 milliard de DH a été mobilisée pour cette opération avec un nombre de familles bénéficiaires qui est passé de 34.100 en 1998 à plus de 600.000 par an ces dernières années.
Mardi 5 avril 2022, à l’ancienne médina de Rabat, le Roi a lancé l’édition « Ramadan 1443 » de cette opération supervisée par la Fondation Mohammed V pour la Solidarité. Ciblant les populations en situation de vulnérabilité sociale, elle bénéficiera cette année à près de 3 millions de personnes, établies dans 83 provinces et préfectures du Royaume et regroupées au sein de 600.000 ménages, dont 459.500 vivent en milieu rural (77% des familles bénéficiaires). Le panier alimentaire distribué à chaque famille se compose des denrées nécessaires pour le mois de Ramadan et son coût pour une famille au prix du marché est estimé à 244 DH. Il contient 10 kg de farine, 4 kg de sucre, 1 kg de lentilles, 1 kg de vermicelle, 850 gr de concentré de tomates, 250 gr de thé et 5 litres d’huile.
103 millions de DH ont été dépensés cette année pour assurer l’organisation de cette opération. Les fonds proviennent principalement du ministère de l’Intérieur et du ministère des Habous et des Affaires islamiques. Apporter aide et réconfort aux catégories sociales les plus vulnérables, notamment les veuves, les personnes âgées et les personnes en situation de handicap se fait via un dispositif de distribution localisé dans les 1.800 Centres de distribution gérés par les autorités locales. Ces dernières ont établi au préalable une liste des ménages bénéficiaires grâce à un travail de terrain permettant d’évaluer les conditions de vie de ces familles et leur situation. Des milliers de personnes mobilisées par la Fondation participent à l’opération de distribution. Ils sont soutenus par des bénévoles et appuyés par les services sociaux des Forces armées royales (FAR), l’Entraide nationale etla Promotion nationale. Le ministère de la Santé et de la Protection Sociale et l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) veillent, pour leur part, au contrôle de la qualité des produits alimentaires distribués.
Mawaid Arrahmane, les ‘’Restos du Cœur’’ ramadaniens
Les panneaux placés aux entrées des vastes tentes dressées et sur les devantures des cafés dans de nombreux quartiers populaires, invitant les jeûneurs à un ftour gratuit, font l’objet d’un cadre règlementaire très strict. Une autorisation spéciale est requise pour organiser cette action de bienfaisance ramadanesque. ‘‘Mawaid Arrahmane’’ (Les tables du Miséricordieux) est une tradition héritée de l’époque prophétique. Ouverts pour recevoir leurs convives à l’heure du ftour, ces espaces de générosité accueillent des jeûneurs étudiants ou nécessiteux, mais aussi des travailleurs et des commerçants n’ayant pas pu rejoindre leur domicile pour rompre le jeûne.
«Je ne suis pas pauvre mais je ne pourrai pas rompre le jeûne chez moi parce que je travaille et je ne peux préparer le ftour tous les jours», confie un jeune célibataire attablé dans un espace dédié au quartier Derb Lekbir à Casablanca. Sous la même tente, un homme âgé témoigne : «Franchement, j’ai honte de moi. J’ai l’impression d’occuper la place d’une personne démunie qui en a plus besoin que moi. Certes, jesuis d’un niveau modeste et mes enfants m’ont délaissé maisje viens ici c’est surtout pour retrouver un peu de chaleur et partager un moment convivial avec des concitoyens le temps d’un repas».
Des centaines d’associations, réparties sur l’ensemble du territoire marocain, s’activent dans l’organisation de ‘’Mawaid Arrahmane’’. Des bénévoles préparent les repas et dressent les tables chaque jour. C’est leur façon de faire une bonne action pendant ce mois sacré. Les associations trouvent un soutien auprès de bienfaiteurs très généreux à l’occasion du mois béni. D’autre part, si les cafés huppés de la ville proposent des menus copieux au ftour à des prix faramineux, ceux des quartiers populaires offrent des ftours gratuits aux jeûneurs. «C’est normal. Nous n’allons quand même pas faire payer les gens pour la rupture du jeûne. C’est une action citoyenne qu’on perpétue tous les ans», explique Mohamed, gérant d’un café. Pour organiser ces ftours collectifs, une autorisation des autorités locales est nécessaire. Le caïdat dépêche des agents qui vont inspecter l’espace dédié à la restauration des jeûneurs ainsi que les conditions de cuisson et de conservation des aliments. L’autorisation est délivrée dépendamment du nombre de jeûneurs qui peuvent être reçus.
Les chancelleries étrangères s’y mettent aussi
Plusieurs représentations diplomatiques de pays arabes et musulmans organisent des opérations de distribution de repas de Ramadan. C’est le cas pour les ambassades d’Arabie Saoudite et des Emirats arabes unis. Cette dernière a lancé « Iftar Al-Saim 2022 » à l’initiative de Cheikh Mohamed Ben Zayed Al-Nahyane. L’ambassade émiratie distribue des aides à des associations œuvrant dans les domaines sociaux et caritatifs, au profit des nécessiteux et groupes vulnérables à travers tout le Royaume. La campagne « Iftar Al-Saim » de cette année se caractérise par l’élargissement des opérations de distribution alimentaire aux différentes régions du sud du Royaume, en coordination avec les autorités locales et en coopération avec les associations œuvrant dans le domaine caritatif et humanitaire. Le Qatar œuvre pour sa part à travers une ONG internationale portant le nom de ‘‘Qatar Charity’’. Fondée en 1992, elle vient d’installer une antenne au Maroc pour contribuer aux efforts de développement et de réponse humanitaire.
Charité 2.0
En 2020, un jeune entrepreneur marocain révolutionne les actions caritatives en lançant ‘’Sada9a’’, première application mobile de dons entre particuliers au Maroc. Hicham Kadiri a voulu permettre aux utilisateurs de faire des dons ou de les recevoir par un seul clic. L’appli offre des services d’aidede tous types portant, notamment sur les appareils électroménagers utilisés, les vêtements, les chaussures, la nourriture, les services de bénévolat tels que les cours de soutien au profit des élèves démunis ainsi que sur des aides numéraires comme Zakat Al-Fitr, indique le promoteur de ce projet.
Basée sur un système de géolocalisation, Sada9a permet aux demandeurs d’aidede trouver des donateurs rapidement dans un rayon (par défaut) de 10 kilomètres, cette distance peut être modifiée à tout moment par l’utilisateur afin d’élargir son périmètre de recherche. Le concepteur de cette application, développée spécialement pour consolider l’esprit de solidarité entre les Marocains et faciliter les opérations de dons a inspiré d’autres créateurs. La plateforme ‘’AiDons’’ a également vu le jour en 2020. Créée par Mohamed Chekrouni et Rochain Puech, deux élèves de 16 ans, sensibles à la situation des plus démunis, AiDons met en lien les annonceurs et les associations (Bahri, SOS Villages d’enfants et la Fondation de l’étudiant)avec le grand public.
Organisation de repas collectifs, distribution des vêtements, actions en faveur des orphelins et des personnes âgées… Les initiatives citoyennes ne manquent pas pendant le mois de Ramadan. Tout le monde fait des mains et des pieds et multiplie les actions de bienfaisance pour honorer ce mois sacré de la plus belle des manières. Mais alors que la discrétion est la règle pour toute action de charité, de nombreux donateurs ou bienfaiteurs n’hésitent pas à afficher leurs actions solidaires ramadanesques. En plus de dévoiler l’identité des bénéficiaires, le fait de se mettre en avant par rapport à l’action de bienfaisance elle-même nuit à la noble intention de départ. Aussi, peut-on s’interroger sur l’utilité de concentrer toutes les actions caritatives durant le mois de Ramadan. Le Maroc ne gagnerait-il pas plus en consacrant ses valeurs de convivialité, de solidarité, d’entraide et de cohésion sociale durant toute l’année? Une structuration du champ caritatif s’impose. On récolerait les fruits d’une gestion durable des bonnes œuvres tout en consolidant la moisson de bonnes actions auprès du Tout-Puissant.