La généralisation de l’Assurance maladie obligatoire (AMO) et la mise en œuvre de la protection sociale constituent deux chantiers majeurs initiés par le roi Mohammed VI. Leur réussite, comme le stipule le Nouveau modèle de développement (NMD), est vitale sur les plans social et économique ainsi quepour l’Indice de développementhumain (IDH). La Commission interministérielle de pilotage de la réforme présidée par le Chef du gouvernement, ainsi que la Commission technique, le ministère et l’ensemble des professionnels de santé portent à bras le corps cette « révolution sociale », qui va hisser le Maroc au rang des pays dont le développement humain constitue un objectif majeur pour les prochaines années. Si la communication autour de l’état d’avancement du projet, le nombre d’adhérents, le budget alloué et les modalités d’adhésion, est claire (source : L’Économiste No 6208, 28/02/2022, article de M. CHAOUI), il n’en demeure pas moins qu’il manque un maillon important de la chaîne : la Communication médicale, et ses différents enjeux.
La communication médicale : le socle de tout acte médical
La communication médicale est un sujet qui revêt une grande importance depuis que l’humanité a commencé à s’interroger sur les questions existentielles de la maladie, du mal et du malheur. Elleconstitue le socle de tout acte médical, car elle permet une relation de confiance, de partage et de confidentialité, entre le malade et son médecin.
Cependant, les différents travaux réalisés depuis longtemps sur la communication médicalemontrent qu’elle joue un rôle essentiel dans la vulgarisation auprès du grand public, et lors d’élaboration des politiques économiques et sociales des systèmes de santé. C’est dire qu’elle revêt une importance capitale auprès des médias, des experts en marketing, des hommes politiques, et des défenseurs de l’environnement.
Structures hospitalières et communication médicale
La communication médicale est revenue au-devant de la scène, surtout en ces moments difficiles que traverse le monde à cause de la pandémie de la Covid-19, où l’on constate un désordre dans la communication médicale, et une pléthore de sorties médiatiques contradictoires. Cette pandémie a révélé au grand jour la crise financière que traversent les structures hospitalières, qui n’arrivent plus à atteindre un équilibre budgétaire leur permettant de prodiguer des soins de qualité et de rentabiliser leurs pratiques. C’est pour cela que la maîtrise de la communication dans les institutions hospitalières revêt une importance particulière au vu de son retentissement sociétal.
«L’hôpital doit se conduire à la fois comme une institution garante du lien social et comme une entreprise soucieuse de productivité et de rentabilité de ses investissements. Aujourd’hui la communication de l’hôpital s’ouvre à de nouvelles perspectives, dispose de lignes budgétaires, ce qui tendrait à faire penser que la communication n’est plus envisagée comme un luxe». (1)
Pour y parvenir, les médecins devraient accéder et maîtriser les techniques de journalisme et de communication, de même qu’il faudrait développer un journalisme scientifique devant la croissance de la demande de l’information sur la santé. Ceci permettrait de limiter toutes les désinformations qui circulent à grande vitesse, comme un cheval affolé au sein d’une « toile labyrinthique ».
La communication médicale, un enjeu organisationnel pour les structures hospitalières
Pour mieux communiquer, les producteurs de soins et leur administration doivent avoir les mêmes représentations conceptuelles, la même culture, afin de participer à la modernisation des institutions médicales. Les difficultés de communication sont plus importantes entre le corps médical et les responsables de l’administration hospitalière. La nature du conflit peut concerner diverses rubriques, allant de la consommation des produits pharmaceutiques à la politique du personnel. Ceci a été aggravé lors de la pandémie que nous vivons. Les revendications pourl’augmentation des lits, surtout de réanimation, et une augmentation du personnel sont devenues universelles. Ce déséquilibre entre rationalité administrative et médicale devrait encourager les responsables de la politique sanitaire au Maroc à activer de façon rationnelle le partenariat public-privé auquel aspire le NMD, et ainsi optimiser les synergies et le partage des plateaux techniques existants dans chaque secteur.
La communication, un enjeu relationnel entre corps médical et patients
L’enjeu est ici important et constitue un indicateur qui permet de juger de la performance d’une structure de soins qu’elle soit à but lucratif ou non. La communication revêt dans ce cas une finalité d’abord sociale et thérapeutique, économique et organisationnelle. Sociale et thérapeutique, car l’enjeu est d’arriver à nouer des liens dans un but diagnostic et thérapeutique les plus efficients possible. Se réfugier derrière le manque de moyens techniques est une fuite en avant. Une bonne communication, et un examen clinique approfondi permettent souvent une approche diagnostique correcte et une relation de confiance avec lepatient. Sinon on risque d’encourager le « nomadisme médical », une perte de temps et d’argent, ce quiéloigne la chance de guérison. L’enjeu économique est finalement tributaire du succès de cette rencontre. Plus un établissement de soins est performant, plus il recrute et plus son activité augmente avec des retombées financières conséquentes.
La communication, un enjeu relationnel entre médecins libéraux et hospitaliers
Friedson, dans son ouvrage « La profession médicale », parle de «la juxtaposition de petits cercles de médecins intérieurement homogènes, mais déconnectés les uns des autres. Ces cercles montrent une impression d’harmonie au sein du corps médical, et garantissent aux généralistes et surtout aux patients, une soupape de sécurité face à un problème de santé délicat, nécessitant une hospitalisation». Il y a quelques années, ce concept était la règle. Actuellement et avec le développement du secteur privé, les cercles de travail sont battus en brèche et infiltrés par des pratiques où ce n’est plus la médecine qui triomphe, mais plutôt le clientélisme. Le libre choix et le consentement éclairé deviennent des notions vides de sens. Les médecins, même compétents, se trouvent relégués au rang de spectateurs et les jeunes médecins préfèrent immigrer vers d’autres pays où le système de santé est plus encadré. La responsabilité de cette situation incombe aux médecins d’abord, ensuite aux instances ordinales et aux instances administratives et politiques.Seules une volonté politique et une intervention du Conseil national de l’ordre des médecins seraient salutaires. Il faudrait de « l’audace au service de l’éthique ».
La communication, un enjeu politique et socio-économique
En 2009, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a introduit le lien entre santé et développement en ces termes : «Une meilleure santé est essentielle au bonheur et au bien-être». Une meilleure santé contribue également de manière importante au progrès économique, puisque les populations en bonne santé «vivent plus longtemps, sont plus productives et épargnent plus».
La Conférence internationale sur les soins de santé primaires qui s’est déroulée à Alma Ata au Kazakhstan en 1978a désigné l’information et l’éducation à la santé comme les premières parmi les huit priorités en matière de soins de santé primaires. Depuis, la communication médicale suit l’évolution de la société et celle de la sociologie de la santé. « Savoir plus, risquer moins » reste un modèle de communication qu’il faudra encourager. Ce modèle lancé en France en avril 2020 pour lutter contre la drogue et la toxicomanie, ce modèle devient stratégique surtout actuellement avec l’industrialisation de la santé et la place stratégique que prend la communication ; laquelle doit se baser sur «l’information et la mobilisation de ressources individuelles».(2)
Actuellement et avec le développement de la communication scientifique et d’internet, le patient acquiert beaucoup plus de connaissances sur son mal. C’est l’évolution normale du statut social de malade qui n’est plus fataliste, et il est normal que la communication médicale suive la même évolution. De même, la médecine et les structures hospitalières doivent s’adapter à cette évolution et suivre l’évolution de la société.(3)
Enfin, communication médicale et journalisme ont en commun la recherche de la bonne information et sa communication. La communication médicale ne doit plus être considérée comme un luxe et une ligne budgétaire doit lui être consacrée. De même que les facultés de médecine et les instituts de formation des journalistes doivent intégrer dans leur enseignement, celui de la communication pour la santé. C’est seulement de cette manière qu’on peut fournir à chacun les clés qui lui permettent de se forger une idée raisonnable, aussi bien sur sa propre santé, sur la santé morale et physique du monde où nous vivons, et sur notre devenir en tant qu’humains partageant l’univers avec d’autres intelligences, qui parfois viennent nous surprendre et nous rappeler que le partage appelle au respect.
C’est la leçon que vient de nous délivrer de façon magistrale, inopinée et universelle, la pandémie de la Covid-19.Ignorer ces vérités scientifiques et philosophiques serait une grave erreur. Ne pas les expliquer pour mieux les assimiler en est une autre. C’est pour cela que la communication en général et la communication médicale et scientifique en particulier doivent rester du ressort des scientifiques ou de personnes qui seront formées dans ce but. Se réfugier derrière la liberté d’expression pour diffuser des messages faux et alarmants est une des grandes leçons que l’être humain doit retenir d’un autre fléau qui est en train de limiter notre intelligence.
Historique de la communication médicale
Depuis les années 50, jusqu’au début des années 80, la communication médicale était basée sur une attitude paternaliste dans laquelle le médecin était dans une situation d’autorité.Parmi les auteurs qui y ont contribué, on peut citerFreidson, Parsons, Szasz et Hollander (1956) et Balint qui avait notamment publié en 1957 un livre intitulé « Le médecin, son malade et la maladie ». Au milieu des années 80, la société, en créant des associations de défense des droits des patients, réclame des médecins plus humains et qui communiquent mieux. Avec la promulgation des lois de bioéthique, le changement dans les comportements des médecins est devenu une nécessité. Balint avait mis sur pied des groupes de discussion afin d’échanger à propos des patients dits « difficiles ». Engel et son modèle bio-psychosocial, Cassel avait souligné le rôle du langage en tant qu’outil essentiel en médecine. Kleinman, qui a appliqué les attitudes centrées sur le patient à toutes les cultures. Stewart, Levenshtein et McWhinney, créateurs de la méthode centrée sur le patient. À partir des années 90 et au-delà, on assiste à l’émergence de modèles relationnels basés sur la méthode Calgary Cambridge, qui place les compétences en communication au cœur de la prise en charge des patients.Fournier, santé publique 2007 Calgary-Cambridge, kurtz et silvermann, 1996.
Références :(1) Eugène ENRIQUEZ dans « les particularités de la communication en santé » journals.openedition.org/comunicationorganisation2980 ;(2) Denis Réquillart : La communication du risque. communication et organisation20/2001 ;(3) Sociologie de la santé : P.VANTOMME.
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