L’Assemblée générale (AG) de l’ONU a adopté mercredi, par une écrasante majorité, une résolution contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Même si elle n’est pas contraignante légalement, cette résolution a été approuvée par 141 pays sur les 193 membres de l’Organisation. Cinq pays s’y sont opposés (Russie, Belarus, Corée du Nord, Érythrée et Syrie) et 35 se sont abstenus. Enfin, 12 pays n’ont pas pris part au vote, dont le Maroc. Cette position s’inscrit dans un nouveau schéma qu’il faut analyser avec de nouvelles grilles de lecture.

Banques sanctionnées, athlètes exclus des compétitions internationales, médias bloqués sur les réseaux sociaux… Tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la Russie est repoussé aux quatre coins du monde. L’objectif est simple: isoler totalement ce pays, devenu en quelques jours un paria. L’invasion russe de l’Ukraine est «une violation éclatante» du droit international selon la majorité des pays de la planète, et en condamnant ces «événements horribles en Ukraine», plusieurs dirigeants, notamment occidentaux, n’ont pas hésité à qualifier le président russe, Vladimir Poutine, de «dictateur» qui mène une «entreprise atroce et barbare». Il est clair que le compteur des morts, des blessés et des réfugiés qui ne cesse de tourner en Ukraine, laissera une tache dans l’histoire de la Russie. Ajouté à cela les menaces nucléaires de Poutine, certains y voient un homme qui essaie de revenir au temps de l’Empire russe, en mettant en péril l’avenir de son peuple et même de l’humanité tout entière.

La résolution de l’AG de l’ONU

Les discussions entre émissaires russes et ukrainiens au Bélarus n’ont jusqu’ici donné aucun résultat tangible à part unaccord sur des « couloirs humanitaires » pour l’évacuation des civils (toujours pas mis en place à l’écriture de ces lignes). Kiev réclame l’arrêt immédiat de l’invasion, tandis que Moscou semble attendre une reddition. Entretemps, l’AG de l’ONU a adopté mercredi, à une écrasante majorité, une résolution qui «exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine», un vote salué comme «historique» et accueilli par une salve d’applaudissements. La résolution réclame à Moscou qu’il «retire immédiatement, complètement et sans conditions toutes ses forces militaires» d’Ukraine et «condamne la décision de la Russie d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires». Outre l’Amérique du Nord et l’Europe, la résolution a bénéficié du vote favorable de nombreux États africains, mais pas celui de l’Afrique du Sud qui s’est abstenue, comme l’Algérie, ou encore le Maroc qui n’a pas participé au vote.

AG de l'ONU

«La non-participation du Maroc ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe concernant la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine», a affirmé la diplomatie marocaine dans un communiqué. Le ministère des Affaires étrangères a dit regretter «l’escalade militaire qui a fait, malheureusement, à ce jour, des centaines de morts et des milliers de blessés et qui a causé des souffrances humaines des deux côtés, d’autant que cette situation impacte l’ensemble des populations et des États de la région et au-delà».

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Cette neutralité a soulevé un tollé chez les Marocains comme chez les observateurs étrangers.

Mais pour Cherkaoui Roudani, expert en géopolitique, la décision du Maroc de ne pas prendre part au vote se distingue par sa sagesse et sa pondération. «(…) la position du Maroc ne change en rienla solidité de ses alliances stratégiques avec l’UE et les USA», a ajouté Roudani dans une déclaration à l’agence MAP.

En mars 2016, le roi Mohammed VI avait effectué une seconde visite officielle en Russie après celle de 2002. Un mois plus tard, invité à prendre part au 1er Sommet entre le Maroc et les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Riyad, le Souverain adresse un discours inédit qui constitue un tournant pour la diplomatie marocaine. Adoptant une posture souverainiste et faisant preuve d’une autonomie stratégique, le Roi avait critiqué l’inconstance des alliés occidentaux du Maroc. Ce discours réalistesera suivi par une diplomatie plus offensive et par une fermeté vis-à-vis des puissances aux positions ambivalentes.

Maroc-URSS: des relations pas toujours faciles

L’origine des relations maroco-russes remonte à 1777, lorsque le Sultan Sidi Mohammed Ben Abdallah proposa à l’impératrice de Russie Catherine II d’établir des contacts et d’entamer des échanges commerciaux entre les deux empires. Et c’est en novembre 1897 qu’un consulat général de Russie fut ouvert à Tanger alors que les relations diplomatiques entre l’Union soviétique et le Maroc ont été établies le 1er septembre 1958. Dès lors, l’État marocain encourage la formation de ses étudiants à l’étranger et notamment en URSS malgré la méfiance éprouvée vis-à-vis de ce pays. Mais le Maroc veut se dégager du monopole occidental et français, en particulier pour la formation de ces cadres supérieurs. Par le biais de bourses, le Maroc cherchait à se dégager des « vestiges de la colonisation »pour rendre réelle et opérationnelle son indépendance et l’URSS cherchait à élargir son influence dans le monde par le biais de l’appui à la lutte anticoloniale. Un partenariat de circonstance en quelque sorte.

L’affiliation du Maroc au camp de l’Ouest n’empêchera pas le développement des relations entre Rabat et Moscou. La première visite d’un responsable soviétique remonte au mois de février 1961. Léonid Brejnev, président du présidium du Soviet suprême avait été accueilli par feu Mohammed V. Malgré la différence des idéologies durant cette période, les deux pays ont entretenu des relations basées sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures.

Mig 17 FAR

En octobre 1961, feu Hassan II effectua sa première visite officielle à Moscou. Le cadre juridique des relations bilatérales a pris sa forme dès le milieu des années 1960 et un certain nombre d’accords ont été signés, relatifs notamment à la coopération économique et technique, la coopération culturelle et scientifique, le commerce, le transport aérien, la pêche maritime, etc.

Feu Hassan II à Moscou

Les années 1970 et 1980 seront marquées par un soutien soviétique au Polisario de manière indirecte, à travers l’Algérie. L’hiver 1980, en pleine guerre froide, Moscou décide d’envoyer des navires de pêche dans les eaux du Sahara, et ce, sans aucun accord signé avec les autorités marocaines. Interceptés par l’armée marocaine, les équipages soviétiques refusent de répondre aux ordres de la Marine royale qui est contrainte d’ouvrir le feu. L’intervention provoque ainsi la mort d’un marin soviétique et les chalutiers sont arraisonnés par le Maroc qui contraint alors l’Union soviétique à lui payer des amendes prévues par la loi marocaine. L’URSS continuera de soutenir les séparatistes via plusieurs pays dont Cuba qui a envoyé un navire transportant du «matériel informatique sophistiqué», lui aussi intercepté par la Marine royale.

La mort de Brejnev laissera tout de même éclater au grand jour l’intérêt de Rabat de sauvegarder une entente cordiale avec Moscou. Dans un enregistrement en provenance de l’ambassade américaine à Rabat et daté de novembre 1982, les diplomates font un compte rendu de « la réaction marocaine au décès de Léonid Brejnev« . Ils notent que «la réaction officielle marocaine au décès de Brejnev a été polie, mais sans effusion», mais soulignent que «la délégation marocaine aux funérailles de Brejnev est dirigée par le prince héritier Sidi Mohammed, accompagné du ministre des Affaires étrangères M’hammed Boucetta et du ministre du Protocole et de la Maison royale, le général Moulay Hafid Alaoui». En commentaire, les diplomates US écrivent: «Alors que l’orientation politique de base du Maroc est pro-occidentale, il a essayé de maintenir des relations correctes avec le bloc de l’Est». Si le Maroc avait clairement choisi le capitalisme de Washington, il n’a jamais vraiment coupé les liens avec le communisme de Moscou.

Maroc-Russie: une ère nouvelle de coopération

Les relations entre Rabat et Moscou se sont poursuivies au lendemain de l’effondrement de l’URSS le 30 décembre 1991. Et depuis, les relations entre les deuxpaysont connu une nouvelle dynamique, surtout sous l’ère du président Poutine. Le Royaume est ainsi devenu l’un des plus importants partenaires stratégiques de la Fédération de Russie dans le Monde arabe et en Afrique.
L’une des principales étapes dans ces relations aura été la visite officielle du roi Mohammed VI en Fédération russe en octobre 2002, ponctuée par la signature de la Déclaration sur le Partenariat Stratégique englobant, outre le commerce, les technologies de l’information, les pêches maritimes, l’exploration spatiale et la lutte antiterroriste. Depuis cette visite du Souverain et la signature de la déclaration de partenariat stratégique, les consultations politiques et la coopération économique et interparlementaire se sont intensifiées entre les deux pays.
Le président Poutine a, à son tour, visité le Maroc le 7 septembre 2006, en réponse la visite effectuée par le Souverain en Russie. Cet échange de visites au Sommet des deux États a donné lieu, ensuite, à une multiplication des contacts diplomatiques, tant au niveau des ministères des Affaires étrangères des deux pays qu’au sein des instances internationales.

Poutine au Maroc

Après son intervention militaire en Crimée en 2014 et les sanctions infligées par les Occidentaux, la Russie se lance dans une stratégie d’expansion géopolitique en Afrique en se rapprochant des pays qui ne font pas partie de son champ d’influence. Profitant d’un embargo russe sur les produits alimentaires, le royaume devient une source d’approvisionnement pour la Russie qui se hisse au rang dedeuxième client du Maroc pour les produits agricoles.Avant la pandémie de Covid-19, le nombre de touristes russes au Maroc atteint un record historique. Un accord de pêche, d’une durée de quatre ans, a aussi été signé par les deux pays en 2020. C’est le huitième du genre depuis 1992. Le quota autorisé s’élève à 140.000 tonnes de poissons pélagiques pendant la durée de l’accord. Moscou vend aussi de grandes quantités de blé et matériel militaire à Rabat. Pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et grand spécialiste du Maghreb, le rapprochement entre Moscou et Rabat est surtout une stratégie politique. En effet, en développant ses relations avec la Russie, le Maroc,«enlève à l’Algérie le monopole de sa relation avec la Russie».

En mars 2016, le roi Mohammed VI effectue une deuxième visite officielle en Russie, ouvrant une nouvelle perspective pour le renforcement du partenariat maroco-russe.

Le roi Mohammed VI à Moscou

S’ensuivent plusieurs visites, notamment celle du secrétaire du Conseil de sécurité russe,Nikolaï Patrouchev, en décembre 2016, puis celle de l’ex-premier ministre Dmitri Medvedev en 2017. En 2019, ce sont les ministres des Affaires étrangères des deux pays qui se sont réunis à Rabat.

Le rapprochement entre le Maroc et la Russie est une sorte de « mariage de raison ». La Russie avait besoin d’étendre son influence en Afrique et le Maroc avait besoin de diversifier ses partenariats. La non participationdu Maroc lors du vote de la résolution contre la Russie à l’AG de l’ONU est à mettre également dans la perspective du jeu d’influence que pose la question du Sahara. N’oublions pas que la Russie avait dénoncé la décision des États-Unis de reconnaître la marocanité du Sahara, pourtantelle continue de s’abstenir de voter lors des réunions du Conseil de sécurité quand il s’agit de résolutions sur le Sahara. Le Maroc n’a pas omis de prendre celaen considération, surtout que pour le dossier du Sahara, le pays « porte-plume »n’est nul autre que les USA.

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