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La transhumance au Moyen Atlas : entre tradition ancestrale, et conditions climatiques actuelles

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La transhumance au Moyen Atlas est une tradition ancestrale. Compte tenu de la détérioration des conditions climatiques et de l’exacerbation du stress hydrique au Maroc, cette tradition pourrait aider le pays à faire face aux changements de climat. Quelles sont donc les perspectives de cette transhumance ?

Il y a quelques années, quand les conditions climatiques étaient favorables et les montagnes du Moyen Atlas couvertes de neige, l’approche de la saison d’été sonnait le début des préparatifs des tribus du Moyen Atlas pour leur futuretranshumance pastorale.Les pâturages sont en principe préservés et mis en défensune partie de l’année, jusqu’à une date où sera permise la montée en estive.

« L’agdal » désigne ainsiun système de contrôle communautaire des ressources sylvopastorales.Cette manière de préserver les pâturages est également connue dans toute l’Afrique du Nord et même chez les Touareg de l’Aïr.Les parcours sont ouverts durant l’été, permettant aux bêtes de paître dans des conditions climatiques plus favorables.

Cette transhumance basée sur un droit coutumier (Azerf), notamment en ce qui concerne le partage des parcours de pâturage, est également l’occasion pour pratiquer la tonte du cheptel (Talassa), pour soulager les animaux de leur toison de laine et permettre à leur corps de respirer ainsi que de se défaire de moult parasites accumulés durant l’année.C’est une cérémonie bien codifiée, avec des rituels précis, et basée sur l’esprit de solidarité (Tiwizi). L’entraide est spontanée et chacun participe, à sa manière, pour soulager la famille qui procède à la tonte de son cheptel.

Tonte

La tonte se fait à l’aide de ciseaux rustiques, en respectant au maximum le stress des animaux.Ces technicienstondeurs de moutons sont appelés « Ijallamen ». Outre leur dextérité, ils sontaussi d’excellents poètes « Inachaden ».Le cliquetis des ciseaux se mêle aux poèmes (Izlan) et cela donne à cette cérémonie un charme particulier.

Ces poésies parlent en général de la nature et des saisons, et sont également une prière pour la bonne santé des hommes et des animaux.Et comme pour aider à ce que le Bon Dieu puisse exaucer les vœux des éleveurs, un « Fquih » (homme religieux) vient apporter une contribution sacrée en psalmodiant des versets du Coran.

«ATAKHAMT Itaabaden Rabbi Illa Diym Lkhir Tyit Ourtan Ndillit Goudin Am Ighboula. Ounna Diyran Adarans Ghar Ijallamen Dyoulli Adass Ikdou Rabbi Assakin Natidyiwin».

«Dans la tente qui prie Dieu, il y a de la prospérité On y trouve des jardins de vignes nombreux comme les sources d’eau. Celui qui a pris la peine de venir assister à la tonte des moutons Puisse Dieu exaucer ses prières».

Repris selon l’humeur de ces techniciens, et surtout après un bon verre de thé,ces chants résonnent dans les montagnes et les échos les transportent vers les cieux,espérant que la bonté divine puisse les entendre.

Boulfef

Toute fête ne peut être complète sans son menu bien particulier, concocté par des femmes qui s’affairent dans d’autres tentes à proximité.Ainsi, se succèdent galettes de blé dur imbibées de beurre ronce fondu et de miel, avec en guise d’accompagnement un verre de thé préparé sur les braises.Ensuite on sert une sorte de semoule faite maison (Berkoukche), à laquelle on peut adjoindre du beurre vieilli fondu aromatisé avec quelques brins de thym local. Ces mets servis en guise de petit déjeuner donnent de l’énergie à tout le monde, permettant ainsi auxbêtes d’être soulagées plus rapidement, pour qu’elles puissent, elles aussi, retrouver les pâturages.

Il est de coutume de sacrifier une ou deux jeunes brebis au cours de cette cérémonie. Là aussi, le savoir-faire de ces hommes des hautes montagnes se voit dans la manière de préparer la viande : « méchoui », brochettes de foie entourées de graisse (Boulfaf), et autres tripes coupées longitudinalement et nouées autour d’un bâton (Ahrich), le tout servi en portions égales, témoignant d’un souci d’égalité chez ces gens habitués aux rudes épreuves de la vie.

Le menu se termine après un temps de pause par le plat traditionnel du couscous. Cette cérémonie est en outre l’occasion pour les hommes d’échanger les informations et les nouvelles sur le prix du bétail dans les souks hebdomadaires, afin de pouvoir vendre quelques bêtes et acheter le fourrage pour l’hiver.

Les plus anciens évoquent l’époque où le climat était plus propice, où l’herbe était plus généreuse, et l’homme beaucoup plus digne, car vivant dans une vraie tente berbère (Takhamt) et disposant d’un cheptel plus important. Les éleveurs étaient plus prospères, aimaient leur vie ponctuée de périodes de nomadisme et de sédentarité.Il est révolu le temps où l’on répétait :«Trois choses comptent ici-bas : Les belles femmes, la danse de l’Ahidus, et l’herbe des verts pâturages!»,Proverbe berbère recueilli par M.Peyron.

Une tradition qui risque de disparaitre

On reproche, à juste titre d’ailleurs, aux jeunes d’aujourd’hui leur manque d’enthousiasme pour reprendrele métier d’éleveurs. Ils évoquent de multiples causes : la rudesse du climat, la rareté des pâturages, et d’autres causes socio-économiques. À titre d’exemple, le coût de la tonte d’une bête est de 5 DH, contre 50 euros (€) en France. Par contre, le prix de vente d’une toison de laine ne dépasse pas 2,50 DH.

Par ailleurs, comme l’ont proposé des chercheurs (L.Auclair, M. Alifriqui) dans leur livre paru en 2012 sur « L’Agdal : patrimoine socio-écologique de l’Atlas marocain », il faut déterminer les impacts négatifs qui poussent à marginaliser cette problématique du pastoralisme de montagne réglementé, et mettre en exergue les points qui peuvent luiapporter des solutions etune valeur ajoutée.

Beaucoup d’eau a coulé depuis surles montagnes ! Et bien que le gouvernement ait légiféré en promulguant la loi 113.13 relative à la transhumance pastorale, il reste un travail de proximité à faire, surtout de la part des collectivités territoriales pour encourager cette pratique et aider les éleveurs à mieux profiterde leur labeur annuel, à limiter l’exode rural et consolider cet équilibre précaire entre modernité et tradition.

La société civile doit également s’impliquer davantage en plaçant ce patrimoine naturel et culturel au cœur de sespréoccupations environnementales etau cœur d’un développement socio-économique durable. L’enjeu est de déployer des efforts pour harmoniser la vie pastorale avec des pratiques touristiques génératrices de revenus (écotourisme, gîtes de charme…), demander de classer cette pratique dans le patrimoine immatériel de l’humanité et plaider pour la création d’aires protégées.

Sans être trop pessimiste, il est aisé de constater que les temps ont changé et la succession d’années de sécheresse a mis un voile sombre sur les perspectives de changements positifs dans la vie pastorale. La sécheresse de cette année 2022 a décimé et la nature et l’espoir des hommes.Les vastes pâturages d’antan, « Agdal ntuga » et »almous », ont laissé la place à un tas de poussière et de sol craquelant. Les yeux se tournent vers le ciel et entre prières rogatoires et promesses d’aide gouvernementale aux paysans et éleveurs, le temps est suspendu en attendant les prochaines pluies.

Et si l’on encourageait l’écopastoralisme,technique qui se pratique dans de nombreux pays européens.Les moutons et autres brebis viendraient tondre le gazon des parcs et autres golfs qu’on continue à arroser à l’eau potable et à tondre avec des machines bruyantes et coûteuses. Pratique économique, naturelle et respectueuse de l’environnement.

Enfin, prions pour que ce plaidoyer puisse retenir l’attention d’abord, de Dieu tout le Tout-Puissant pour nous accorder une pluviométrie satisfaisante. Et espérons que les pouvoirs publics et des amoureux de la nature puissent s’engager davantage en faveur du monde rural, et pouvoir ainsi préserver cet aller et retour entre « L’adrar » (montagne) et « L’azaghar » (plaine),pratique nécessaire à la pérennité de l’équilibre écologique du Moyen Atlas auMaroc.

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