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Faire une photographie de ce que possède le déclarant à la date de la déclaration : biens immobiliers, comptes bancaires, placements financiers, dettes, voitures… L’exercice n’est pas nouveau au Maroc. En vigueur depuis 2010, ce dispositif de Déclaration obligatoire du patrimoine (DOP) a montré ses limites. Ayant pour but de lutter contre la corruption et de prévenir tout abus de pouvoir ou profit d’une position ou d’un statut étatique, la DOP n’a pas donné suite à des résultats probants sur une décennie. Il est inimaginable qu’aucun dossier des personnes assujetties à cette déclaration n’ait connu de graves griefs…
Qui est concerné par la DOP?
Parmi les personnes soumises à l’obligation de déclarer leur patrimoine, on retrouve les membres du gouvernement, leurs chefs de cabinet, les membres de la Cour constitutionnelle, les parlementaires, les magistrats, les membres du Conseil supérieur de la communication audiovisuelle (CSCA), les élus locaux ainsi que les fonctionnaires et agents publics. Si les élus locaux et territoriaux assujettis doivent renouveler leurs déclarations tous les deux ans au mois de février, cette opération de renouvellement se déroule tous les trois ans, toujours au mois de février, pour les fonctionnaires et agents publics. Les magistrats de la Cour des comptes sont tenus de s’assurer que plus de 100.000 personnes assujetties respectent leurs obligations de reddition des comptes au titre de la mission publique dont elles sont investies. Il s’agit notamment des hauts fonctionnaires nommés par Dahir, des ordonnateurs, des contrôleurs et des comptables publics mais aussi des personnes qui interviennent dans la chaîne comptable et financière de l’exécution des dépenses et des recettes publiques. Seulement voilà, il faut se rendre à l’évidence, les shérifs de l’argent public ne sont pas assez nombreux et n’ont pas les moyens de contrôler les quelque 100.000 dossiers des déclarants. «La base très large des assujettis entraîne un dépôt massif dedéclarations et entrave par la suite l’opération de suivi et de contrôle, étant donné, surtout, que la Cour demeure tributaire de la réactivité des autorités gouvernementales à ses lettres de demande d’informations», peut-on lire dans le rapport 2016 de l’institution.
Le digital pour faciliter la DOP
Après les balbutiements des premières campagnes de DOP, la Cour des comptes a misé sur le digital pour faciliter l’opération de dépôt des déclarations, en mettant à la disposition des assujettis, via son site web officiel, une application informatique. Cette dernière permet de prendre rendez-vous auprès de la Cour des comptes ou des Cours régionales des comptes en vue de déposer les déclarations selon les modalités et les conditions fixées par la loi et explicitées sur le site web. Soumaya Sbai, magistrate et présidente de section à la Chambre de DOP à la Cour des comptes précise que «les représentants des autorités gouvernementales procèdent au chargement des listes des assujettis via une plateforme électronique mise en place par la Cour des comptes». Les assujettis défaillants sont mis en demeure et invités à régulariser leur situation en procédant à la déclaration de leur patrimoine. «Vient ensuite la phase de contrôle qui se fait sur la base d’un programme établi sur la base de critères objectifs. C’est en fait un contrôle intégré qui établit des passerelles avec tous les types de contrôle exercés par la Cour des comptes», conclut la magistrate.
Rappel à l’ordre
L’article 158 de la Constitution est on ne peut plus clair: «Toute personne, élue ou désignée, exerçant une charge publique doit établir, conformément aux modalités fixées par la loi, une déclaration écrite des biens et actifs détenus par elle, directement ou indirectement, dès la prise de fonctions, en cours d’activité et à la cessation de celle-ci». D’où le rappel émis par la Cour des comptes au mois d’octobre dernier, après l’investiture du nouvel exécutif, invitant les nouveaux ministres et les anciens ministres et parlementaires à déclarer leur patrimoine. La présidente de la Cour des comptes, Zineb El Adaoui, avait instruit ses équipes pour s’assurer que les concernés s’acquittent de ce devoir dans les délais. En 2016, des membres du gouvernement Benkirane et des parlementaires appartenant à différentes formations politiques avaient «omis» de faire leurs déclarations de fin de mandat auprès de la Cour des comptes. Pourtant, le refus de déclarer ou de déposer sa déclaration,ou en cas de déclaration non conforme ou incomplète, entraînent des sanctions disciplinaires voire pénales. Idem pour celui qui refuse de régulariser sa situation malgré sa mise en demeure. Ainsi, un fonctionnaire ou agent public récalcitrant peut se voir révoqué par l’autorité gouvernementale de tutelle. Si l’intéressé a cessé ses fonctions et que sa déclaration n’est pas conforme ou incomplète, il peut écoper, par décision judiciaire, d’une amende de 3.000 à 15.000 DH. En outre, l’intéressé peut être condamné àl’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Pour les élus locaux, la décision de suspension provisoire peut être prise par le ministre de l’Intérieur alors que le chef du gouvernement peut révoqué, par décret, l’élu qui ne se plie pas à l’obligation de déclaration du patrimoine. Si la justice se saisit du dossier, l’élu incriminé est puni d’une amende de 3.000 à 15.000 DH. En outre, l’intéressé peut être condamné à l’interdiction de se porter candidat aux élections pendant une période qui ne peut excéder six ans ou àla déchéance de son mandat électif.
Le modèle marocain unique en son genre
Le législateur a confié à la plus haute juridiction financière du royaume la mission de réception, de contrôle et de suivi des déclarations de patrimoine. Il n’y a que cinq pays au monde qui ont attribué à leurs appareils de contrôle des finances publiques le rôle de réception des déclarations. Mais il s’agit uniquement de recevoir les déclarations et de les conserver. Il n’est nullement question dans ces pays de contrôler et d’assurer le suivi de ces déclarations. Partant des principes de transparence, de bonne gouvernance et de protection des deniers publics, le Maroc a souhaité l’opacité qui entoure l’exercice de certaines fonctions ou le mandat d’élu.
Il fallait rompre avec l’opacité qui entourait la gestion de la chose publique et toutes les suspicions d’enrichissement illicite qui l’accompagnait. Après la réception des déclarations, la Cour des comptes se penche sur les dossiers. Si des anomalies sont constatées sur une déclaration, que ce soit au niveau du fond ou de la forme, la 1re présidente de la Cour et le procureur du Roi en sont informés. Un avertissement est alors adressé au déclarant concerné l’invitant à présenter des éclaircissements à l’enquêteur en charge de son dossier. Suite à cela, un rapport est rédigé et soumis à la 1re présidente de la Cour des comptes. Si la différence entre son revenu et son patrimoine se révèle importante, la 1re présidente donne son accord pour que l’enquêteur procède à des investigations plus poussées auprès de la Direction générale des impôts (DGI), de l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie (ANCFCC), des banques… Si l’enrichissement illicite est prouvé, le concerné est poursuivi et encourt de lourdes peines.
La nécessaire révision de la DOP
Au mois de novembre 2021, l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) a procédé à une analyse pertinente de la DOP et a émis des recommandations portant sur la révision globale de ce système. «Une révision profonde des textes juridiques encadrant la déclaration obligatoire du patrimoine est recommandée, dans le sens de leur unification et de leur renforcement, couplée à l’instauration d’un système d’information global, intégré, interactif et proactif. Cela doit être accompagné du renforcement des prérogatives institutionnelles des juridictions financières et la garantie de la mise en réseau de l’information avec les institutions disposant des données pertinentes ou qui ont des prérogatives en matière d’intervention dans ce domaine», avait déclaré le président de l’INPPLC, Bachir Rachdi, lors d’une conférence de presse.
L’institution qu’il préside a listé les limites de la DOP et l’importance de l’identification pertinente des personnes assujetties et des éléments du patrimoine concernés. Aussi, l’INPPLC avait-t-elleinsisté sur la nécessité d’identifier les actes de violation du dispositif de déclaration du patrimoine en y incluant l’abstention de déclaration, la déclaration tardive, la déclaration incomplète ou non suffisamment documentée, ainsi que l’incapacité de justifier l’augmentation du patrimoine et la fausse déclaration, tout en prévoyant face à ces actes des sanctions appropriées et applicables.Le principe de la privation du produit des fonds acquis de manière illicite est aussi préconisé ainsi que la publication des sanctions, pour en faire à la fois un levier de transparence et un moyen de dissuasion.
Tout un remue-ménage sur un simple formulaire déclaratif. Soutenue par certains, rejetée par d’autres, acceptée amèrement par la majorité des élus et agents publics, la déclaration de patrimoine est un effet de mode. C’est une transparence exigée par l’indiscutable moralisation de la vie publique à laquelle les Marocains aspirent. Le personnel politique et les agents de l’État peuvent s’estimer heureux que les déclarations de patrimoine ne sont pas rendues publiques comme dans d’autres pays. Mais qui sait… On y arrivera aussi… Peut-être…
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