Nous autres Marocains sommes devenus insensibles aux vacarmes des grandes villes. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le bruit comme deuxième cause de mauvaise santé dans une zone comme l’Europe de l’Ouest, juste derrière la pollution aux particules fines. Les experts sont formels : l’exposition régulière à des niveaux sonores élevés peut avoir des conséquences non négligeables sur la santé. À quand une prise de conscience collective de ce fléau pour le moins ‘‘bruyant’’ ?

La problématique de la pollution sonore est prise très au sérieux dans les pays développés. Sur le Vieux continent, l’Agence européenne de l’environnement (AEE) suit ce dossier de très près. On ne badine pas avec la santé et le bien-être des citoyens, surtout que la pollution sonore peut entraîner des effets métaboliques et cardiovasculaires néfastes. Elle peut réduire les fonctions cognitives des enfants ou encore provoquer d’importants troubles du sommeil. Chez nous, mis à part de timides sorties de certains acteurs associatifs et d’élus locaux, le fléau ne semble pas inquiéter outre mesure.

Pollution sonore: kézako?

Ce fléau se définit par la présence de bruit ou de vibrations dans l’environnement. On parle de pollution sonore pour tout type de son supérieur à 65 décibels le jour et 55 décibels la nuit. L’OMS va plus loin en estimant que le même le bruit excessif des activités de loisirs (musique, sports mécaniques…) peut également être nocif. Les bruits ont des effets négatifs à la fois sur la santé des personnes et sur la préservation de l’environnement. Les nuisances sonores affectent la biodiversité au point de modifier l’équilibre des écosystèmes sauvages. Les animaux sélectionnent leurs habitats en tenant compte de divers facteurs, dont le bruit. Une espèce qui ne tolère pas le bruit aura du mal à s’adapter au reste des conditions de vie. La pollution sonore affecte les espèces prédatrices qui finissent par partir à la recherche d’un autre environnement. De même, les espèces marines souffrent également de cette pollution. De nombreuses études ont montré que le bruit des navires affecte les orques, les baleines et les dauphins.

Casablanca: le vacarme permanent

«Nous nous sommes habitués à l’agitation casablancaise. On ne fait plus vraiment attention aux différents bruits qui nous agressent, mais ce qui est plus grave, c’est que nous contribuons également à générer ces bruits et cela affecte non seulement notre santé, mais aussi notre équilibre», témoigne Houssam E., doctorant en psychologie sociale.

Il y a une dizaine d’années, une campagne baptisée ‘‘Casablaklaxoon’’ (Casa sans klaxon) avait était lancée pour sensibiliser les automobilistes quant à l’usage excessif des avertisseurs sonores. Il s’agissait d’exprimer un ras-le-bol vis-à-vis de ce sport national. L’idée était de faire comprendre aux automobilistes qu’une utilisation abusive du klaxon peut entraîner des effets néfastes sur leur santé en leur distribuant des stickers. Les initiateurs aspiraient à la création de la « Journée nationale sans klaxon », un projet qui n’a malheureusement pas vu le jour.

Affiche Casablaklaxoon

En plus des embouteillages qui génèrent des klaxonnements ininterrompus, les interminables travaux (voirie, tramway, réseaux) font souffrir bon nombre de Casablancais. Des vendeurs ambulants qui crient, des mobylettes qui pétaradent, des haut-parleurs des commerces qui crachent à tout-va ou des voisins qui ne respectent pas la vie en copropriété, le Casablancais est auditivement agressé de toute part. Diminution de l’ouïe, dépression, insomnie sont certaines conséquences des bruits d’une ville comme Casablanca. Si l’article 47de la loi n° 11-03 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement protège contre les nuisances sonores, les dispositions fixant les valeurs limites sonores admises ne sont pas précisées.

Travaux tram

Au quartier des Habous, les habitants ne sursautent plus au passage d’un train. La voie ferrée passant par leur quartier depuis 100 ans les rend insensibles aux vibrations des murs. «C’est toujours impressionnant pour nos invités mais cela fait partie de notre vie de tous les jours, je peux même vous donner les horaires précis des passages de trains», explique Larbi S., fonctionnaire à la retraite.

Ils habitent près de l’aéroport Mohammed V de Casablanca depuis de nombreuses années, mais ils n’en peuvent plus. Les habitants deBouskoura expriment leur lassitude face aux désagréments causés par le trafic aérien. «Ce n’est pas un mode de vie. J’ai acheté mon appartement à 2,1millions de DH, le cadre de vie est agréable avec des espaces verts à perte de vue mais les bruits générés par les réacteurs d’avions me pourrissent l’existence», témoigne Abdelali F., jeune ingénieur en systèmes d’information. Comme Abdelali, nombreux sont les habitants de Nouaceur et de Bouskoura à avoir envoyer des courriers à l’Office national des aéroports (ONDA) pour se plaindre des bruits des décollages et atterrissages d’aéronefs. Pourtant, l’orientation des pistes de l’aéroport n’a pas changé depuis leur construction dans les années 1970. C’est à l’Agence urbaine de Casablanca (AUC) de déterminer les zones d’extension urbaines de la métropole. Les promoteurs immobiliers assurent pour leur part avoir fait les choses dans les règles de l’art. «Peut-être mais le double vitrage installé dans ces projets dits hauts standings n’est pas du tout efficace. Je ne suis pas expert en isolation phonique mais il y a un problème d’acoustique, c’est sûr et certain», renchérit Abdelali.

Tapage nocturne

Hicham F. réside sur le boulevard Zerktouni à Casablanca. Sous traitement depuis des mois, il n’en peut plus des grosses cylindrées qui passent à grande vitesse toutes les nuits sans aucun respect pour les gens qui dorment. «Je regrette amèrement la période du couvre-feu nocturne. Nous étions vraiment tranquilles. Là, les fous du guidon sont de retour. Je n’arrive plus à fermer l’œil, je risque de perdre mon job parce que je ne suis plus aussi productif en journée», se désole Hicham. Ces motards, qui organisent de véritables rodéos urbains,provoquent parfois des accidents graves voire mortels.

Les services de police ne peuvent pas être partout mais il serait temps de traquer ces aventuriers qui prennent un malin plaisir à augmenter le niveau des décibels au milieu de la nuit. «Une personne cardiaque qui est tirée violemment de son sommeil peut facilement mourir à cause du vrombissement de ces engins. Je me rappelle dans mon enfance qu’en s’arrêtant au feu rouge, un motard pouvait être contrôlé par un policier qui conduisait sa moto à la fourrière s’il constatait qu’il n’avait pas de silencieux d’échappement», se souvient Hicham. Aujourd’hui, c’est plutôt un amplificateur de son d’échappement que les jeunes conducteurs cherchent à installer sur leurs engins. Généralement de piètre qualité, ce dispositif électronique bidouillé produit un son violent et encore plus agressif.

À côté des bruits des grosses motos et de certaines voitures sportives, les résidents du quartier Bourgogne se plaignent aussi des conversations de jeunes qui se réunissent à des heures tardives au coin d’une rue en plus des clients surexcités fréquentant des cafés et autres pubs. «J’ai pitié de ces individus inconscients qui ne pensent pas aux autres et qui leur font du mal sans le savoir. Il y a des personnes âgées, des malades, des femmes enceintes, des bébés qu’on réveille brutalement en pleine nuit en provoquant un tapage nocturne», regrette Abdessamad L., préposé religieux. Ce dernier, qui dit saisir la sensation que peut procurer la conduite à grande vitesse, ne comprend pas pour autant le plaisir que peut avoir une personne à déranger son semblable.

Dans le blog-notes de Salvadorali, on peut lire cette histoire révélatrice du malaise ambiant : «(…) Ghita rêve d’une méga campagne de sensibilisation à l’échelle nationale, qui nettoierait bien les oreilles de tous ceux qui la font sourde aux signaux d’alerte quipourtantcrèvent les tympans ! Mais aujourd’hui, elle a eu très, très envie de tirer au fusil, depuis la fenêtre de son appartement (au troisième étage d’une résidence nichée dans un quartier BCBG deCasablanca), sur un motard sans silencieux qui pour la troisième fois dans l’après-midi, venait de réveiller son bébé. Heureusement pour le motard, ni Ghita ni son mari ne sont chasseurs ! Et ils ne pratiquent pas non plus l’art de la malédiction fatale…»

Si le bruit est l’un des maux des temps modernes, nous pouvons en limiter les conséquences. Àtravers des gestes simples, chacun peut réduire le bruit qu’il génère. Acquérir des appareils électroménagers performants indiquant un niveau bas de décibels est une première étape. Il faut aussi s’éloigner des sources de bruit et s’exposer au silence, comme on s’expose au soleil, tant qu’on peut, en s’offrant quelques jours de repos à la campagne, en montagne… Ceci n’empêche pas les autorités de jouer leur rôle pour réduire les bruits dans les grandes villes grâce à une réglementation stricte et à la régulation de certaines activités trop bruyantes. À bon entendeur… Vous avez dit quoi? À bon entendeur, salut!

Article 47de la loi n° 11-03 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement Les bruits et les vibrations sonores, quelles qu’en soient l’origine et la nature, susceptibles de causer une gêne pour le voisinage, de nuire à la santé de l’homme ou de porter atteinte à l’environnement en général, notamment lors de l’exercice des activités de production, de services, de mise en marche de machines et de matériels et d’utilisation d’alarmes et des haut-parleurs, doivent être supprimés ou réduits conformément aux dispositions législatives et réglementaires prises en application de la présente loi. Ces dispositions fixent les valeurs limites sonores admises, les cas et les conditions où toute vibration ou bruit est interdit ainsi que les systèmes de mesure et les moyens de contrôle.

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