Gouvernement Akhannouch : 103 jours au pouvoir
Le bilan des 100 premiers jours d’un gouvernement est une tradition apparue aux États-Unis le siècle dernier. Le président Franklin D. Roosevelt a été le premier chef d’État à faire un bilan d’étape à travers une évaluation de l’action de l’exécutifaprès plus de trois mois dans la gestion des affaires du pays. Le contexte était particulier puisqu’il s’agissait de la période suivant le krach de 1929. Quoi qu’il en soit, cette tradition a été adoptée par les administrations américaines successives et par la majorité des pays occidentaux. 100 jours ne suffisent certainement pas pour accomplir des réalisations majeures, mais ils sont suffisants pour marquer la différence avec lagestion du gouvernement précédent.
Faux départ
Au lendemain de son investiture, le gouvernement Akhannouch connaît un premier couac de taille. La ministre de la Santé et de la Protection sociale et maire de Casablanca,Nabila Rmili, quitte l’équipe gouvernementale. Elle est remplacée, sans concertation avec les autres partis de la majorité,par celui qui n’aura quitté son bureau de ministre qu’une petite semaine, Khalid Aït Taleb.
La ministre démissionnaire se serait rendu compte de l’ampleur du travail et de la difficile conciliation entre ses fonctions gouvernementales et la présidence du Conseil de la ville de Casablanca. Après ce fâcheux épisode, un autre couac communicationnel, toujours concernant le secteur de la santé, ternira encore plus l’image du gouvernement. Il s’agit de l’instauration du pass sanitaire sans concertation préalable. Une décision qui rappelle le mode de gouvernance décrié par le passé quand Saad Dine El Otmani était aux commandes.
Autre secteur connaissant des tensions depuis plusieurs années, celui de l’enseignement. Le recours à des critères sélectifs et le plafonnement, à 30 ans, de l’âge de recrutement des cadres des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF) a exacerbé les tensions. Fort heureusement, juste avant de boucler ses 100 jours à la tête de l’exécutif, Aziz Akhannouch, accompagné de Chakib Benmoussa, ministre de l’Éducation nationale, est allé à la rencontre des représentants des syndicats d’enseignement. Au terme de cette réunion, un accord a été trouvé et un calendrier a été établi pour les négociations. L’accord gouvernement-syndicats d’enseignement est une étape importante vers de nouvelles perspectives du dialogue social, a estimé Akhannouch, lui qui n’a,jusqu’à présent, fait aucun pas concernant le dialogue social avec les centrales syndicales.
Bilan d’étape : un exercice plus symbolique que pertinent
L’État social. Un concept cher à Aziz Akhannouch et qu’il a voulu matérialiser dès son entrée en fonction à travers le grand chantier de la généralisation de la couverture sociale. Pour ce faire, le gouvernement a enchaîné les textes de loi relatifs à ce chantier discuté et adopté lors de 11 conseils de gouvernement. Les différents décrets promulgués concernent l’adhésion de plusieurs catégories de travailleurs à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) pour qu’ils puissent bénéficier entre autres de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Mais l’État social exige aussi un soutien au pouvoir d’achat des citoyens. Malgré la flambée des prix des produits alimentaires, le gouvernement est resté indifférent.
Il y a aussi le programme « Awrach » (chantiers) qui reflète «l’engagement du gouvernement à soutenir les piliers de l’État social». Lancé vendredi 21 janvier, ce programme a pour objectif de créer250.000 emplois entre 2022 et 2023. Il cible en particulier les personnes ayant perdu leur emploi suite à la crise sanitaire liée à la Covid-19 et celles en difficulté d’accès au marché du travail, sans condition d’éligibilité. Avec une enveloppe budgétaire de 2,25 milliards de DH (MMDH) au titre de l’année 2022, Awrach se compose de deux volets distincts. Le premier porte sur la réalisation de chantiers publics temporaires avec le recrutement de 200.000 personnes, soit 80% des bénéficiaires ciblés. Le deuxième volet concerne l’appui à l’inclusion durable et s’adresse à près de 20% des bénéficiaires soit 50.000 individus. Ce programme est loin d’être la solution miracle pour résorber le chômage ou pour stimuler le marché du travail. Toutefois, selon ses détracteurs, ce plan gouvernemental d’emplois temporaires encourage encore la précarité et s’inscrit en déphasage des promesses électorales de création de 250.000 emplois stables par an.
Au chapitre économique, le tableau n’est pas totalement noir. En à peine trois mois, Aziz Akhannouch a réalisé un exploit en présidant quatre réunions de la Commission des investissements. Cette dernière se réunissait deux fois par an tout au plus sous les précédents gouvernements. Au bout du compte, l’exécutif a validé 22,5 milliards de DH (MMDH) d’investissements avec plus de 11.300 emplois directs et indirects à la clé. Le gouvernement a aussi tenu parole en débloquant le remboursement des arriérés des crédits de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au profit des entreprises du secteur privé en mobilisant une enveloppe de 2,5 MMDH.
Quant à la communication, on ne le répètera jamais assez, elle doit être permanente et fluide pour éviter les fake news, les rumeurs et les fausses interprétations. Il faut aussi structurer les prises de parole des membres du gouvernement. Si certains ministres se sont illustrés par des actions inédites et des déplacements impromptus sur le terrain, les sorties hasardeuses de certains de leurs collègues, notamment celles de Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, ont conduit à des rétropédalages nuisibles pour l’exécutif.
Quid des secrétaires d’État ?
Quand le roi Mohammed VI a présidé, le 7 octobre 2021 au Palais royal à Fès, la cérémonie de nomination des membres du nouveau gouvernement, il a été précisé qu’il seraprocédé «ultérieurement à la nomination de secrétaires d’État dans certains départements ministériels». 103 jours après, toujours rien. Selon des sources proches du chef du gouvernement, ce dernier avait soumis au Cabinet royal une première liste restreinte de candidats pour quatre à six postes de secrétaires d’État. Cette liste aurait été rejetée.
Suite à cela, Aziz Akhannouch a préparé une liste plus fournie avec trois noms pour chaque poste à créer. Ces nominations devraient concerner les départements de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Agriculture, de l’Éducation nationale et de la Justice. Et ce sont justement des différends sur l’attribution des postes à créer qui divisent les trois partis de la majorité. L’architecture gouvernementale connaîtra un changement sensible qui se heurte à un problème fondamental, à savoir la volonté du Parti de l’Istiqlal (PI) de compenser ce qu’il considère comme une atteinte à son rang lors de la distribution des portefeuilles ministériels. Le parti de la balance exige un avantage numérique dans la nouvelle liste des secrétaires d’État, ce que refusent le RNI et le Parti authenticité et modernité (PAM). De quelle cohésion au sein de la majorité parle alors Aziz Akhannouch ?
Première sortie médiatique de Aziz Akhannouch
L’exercice de la communication gouvernementale est toujours soumis à une tension, surtout quand il s’agit de la première sortie médiatique du chef de l’exécutif, 100 jours après l’investiture de son cabinet. Aziz Akhannouch a pris toutes les précautions possibles : choix du timing et du format de l’interview, axes préparés minutieusement par son équipe avec celles des deux chaînes de télévision, interview enregistrée et diffusée en différé… Prudent, hésitant, incapable d’argumenter. Ce sont les commentaires des citoyens qui ont suivi l’entretien de Aziz Akhannouch sur Al Aoula et 2M mercredi soir.
Un premier exercice raté pour Akhannouch qui a été peu convaincant pour plusieurs raisons. D’abord, il y a ces tics de langage qui ont miné les propos du chef du gouvernement : « c’est-à-dire », « et tout ça », « maintenant », « comment on appelle ça ? »… Et puis Akhannouch a agacé les téléspectateurs avec son langage creux, ses bouts de phrases en français, ses approximations, les généralités qu’il a déballées et ses vœux d’un meilleur lendemain. De l’aveu même d’un militant du Rassemblement national des indépendants (RNI) : «Nous sommes restés sur notre faim en écoutant le président dont la gêne était visible, mais c’est tout à fait normal pour un premier exercice du genre». Même sur des questions primordiales comme l’ouverture des frontières ou le stress hydrique, le deuxième personnage de l’État est resté vague. Le chef du gouvernement a donné l’impression qu’il n’avait aucune information précise à partager allant même jusqu’à relativiser la question de la rareté de l’eau évoquant « un vieux discours »alors que les barrages sont presqu’à sec et que la ville qu’il dirige (Agadir) a souffert le rationnement de l’eau l’année dernière et risque de revivre ce cauchemar cette année.Son optimisme volontariste et les quelques exemples qu’il a donnés pour éluder certaines questions lui ont été fatals.
Le numéro 1 du parti de la colombe a offert une occasion en or à ses adversaires qui s’en sont donnés à cœur joie. Le Parti de la justice et du développement (PJD) n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le chef de l’exécutif. «Notre estimé chef du gouvernement souffre d’une crise de communication chronique. C’est le titre principal du bilan des 100 jours (…) Les Marocains se souviendront certainement des sorties de l’ancien chef du gouvernement Saad Dine El Otmani et avant lui celles de Abdelilah Benkirane, qui avaient l’habitude de faire leurs interviews en direct sur les chaînes officielles, et non en différé», pouvait-on lire mercredi sur le site officiel du PJD.
Pour ce qui est de la communication non verbale, Akhannouch a abusé de la gestuelle. Il avait tendance à parler avec la main droite. Les experts vous le diront : la main droite sert pour convaincre, la main gauche est davantage dans le compassionnel et la sincérité. Malgré le fait qu’il n’ait pas été bousculé par ses interviewers, Akhannouch a transpiré durant les 75 minutes d’interview.
Plus de trois mois après son investiture, le gouvernement Akhannouch a à peine pris ses marques, réorganiséles différents départements et ouvert les dossiers prioritaires. L’exécutif a jusqu’ici eu beaucoup de mal à faire adhérer les citoyens à des décisions prises à la hâte et sans concertation. De plus, l’entretien télévisé du chef du gouvernement a peu de chances de faire pencher l’opinion publique en sa faveur. Plutôt que de séduire à court terme, Aziz Akhannouch, qui a affirmécroire en son équipe gouvernementale, veut convaincre à long terme. C’est appréciable mais le pari semble risqué. Les Marocains ont besoin d’actions concrètes et maintenant. C’est ce qui rétablira la confiance nécessaire entre gouvernants et gouvernés.