Agences de développement : le début de la fin ?
Cette année 2022 est celle de la mise en œuvre de la loi-cadre 50-21 relative à la réforme des établissements et entreprises publics. Pour rappel, le Parlement avait adopté l’été dernier les projets de loi-cadre relatifs à la réforme des établissements et entreprises publics. L’Agence nationale chargée d’assurer la gestion stratégique des participations de l’État coiffera désormais l’ensemble de ces entités. En parallèle, des organismes dont l’activité fait doublon avec celle d’autres acteurs publics ou dont l’activité est devenue caduque sont appelés à disparaître. Les agences de développement régional sont sur la liste des établissements à liquider. Pourtant, elles continuent depublier des appels d’offres et detravailler sur des programmes s’étalant pour certains jusqu’en2025. Idem pour les recrutements qui se poursuivent, dont ceux d’un cadre financier et d’un cadre supérieur en génie civil à Oujda.
La renaissance du Nord
C’est en 1996 que la première agence de développement à vocation territoriale a vu le jour. Il s’agit de l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des préfectures et provinces du Nord (APDN). C’était l’outil qui a permis d’amorcer la réconciliation de la monarchie avec le Nord du Royaume. Voulue par feu Hassan II, l’APDN est érigée en établissement public rattaché à la primature et jouissant de l’autonomie financière. Son périmètre d’intervention s’étend aux deux régions du Nord selon le découpage administratif de l’époque, à savoir Tanger-Tétouan et Taza-Al Hoceima-Taounate. Il s’agissait de faire des régions du Nord, très en retard de développement, une locomotive économique nationale.
Pour ce faire, l’APDN, sous la direction de feu Hassan Amrani, grand commis de l’État et premier directeur général (DG) de cette agence, mettra le paquet durant ces premières années d’existence sur la mise à niveau des infrastructures. L’APDN accélérera la réalisation du projet de l’autoroute Rabat-Tanger livrée par tranches entre 1996 et 2005. Elle se penchera sur le projet du Complexe portuaire Tanger Atlantique, abandonné et remplacé plus tard par Tanger Med. Il fallait aussi rapidement améliorer les conditions de vie des populations du Nord et renforcer la compétitivité de cette partie du Maroc pour en finir avec l’idée d’ »un Maroc utile et d’un Maroc inutile« .
Driss Benhima succède à feu Hassan Amrani en 2004 à la tête de l’agence. On lui doit une contribution à la vision élaborée pour réaliser le méga projet Tanger Med et la promotion de la région au niveau international avec l’arrivée de plusieurs investisseurs étrangers. Seul directeur général de l’agence non originaire du Nord, Benhima a aussi conforté la place des provinces du Nord dans l’agenda culturel et artistique avec le lancement de plusieurs manifestations, dont le célèbre festival Alegria de Chefchaouen, qui n’est malheureusement plus organisé.
L’APDN sera dirigée par Fouad Brini à partir de 2006. Pendant son mandat, Brini supervisera plusieurs dossiers dont celui de Tanger Med, le programme de développement urbain de plusieurs villes du Nord, la reconversion de la zone portuaire de Tanger ville et la réalisation de projets de proximité (scolaires, sportifs, culturels…). Brini quittera par la suite l’APDN pour présider le Groupe Tanger Med.
Quant à l’actuel DG de l’APDN, Mounir El Bouyoussfi, nommé en 2014, il a axé son travail sur les grands projets, notamment ceux programmés dans le cadre du programme Tanger-Métropole comme le marché de gros de fruits et légumes, le palais des arts et de la culture et le centre de transfert des déchets ménagers.
L’APDN a aussi été très active dans la réalisation des programmes de réhabilitation des anciennes médinas de Tanger et Tétouan, les travaux de réhabilitation des habitats menaçant ruines et les travaux de création de 4 zones d’activités économiques. Quoi qu’on en dise, l’APDN a permis de structurer les investissements pour un développement multidimensionnel des préfectures et provinces de la région au fil des années grâce à des projets structurants qui ont permis à la Région Tanger-Tétouan-Al Hoceima de devenir le deuxième pôle économique du Royaume et un hub logistique incontournable dans le bassin méditerranéen.
De grandes ambitions pour le Sud
Les résultats réalisés durant les premières années d’activité de l’APDN ont motivé l’idée de dupliquer ce modèle en créant l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces du Sud (APDS) en 2003. Son champ d’intervention couvre alors toutes les collectivités relevant des provinces et préfectures de Guelmim, Smara, Laâyoune, Boujdour, Sakia El Hamra, Oued Eddahab et Lagouira.
L’objectif est clair: mener des études et proposer des projets de développement économique et social intégrés spécifiques (eu égard à la nature désertique et aride de la région) soit aux autorités compétentes, soit aux personnes morales ou aux sociétés privées à même de réaliser des projets dans divers domaines tels les infrastructures de base et en particulier les routes et les installations portuaires, l’industrie, les mines, l’artisanat, le tourisme et le commerce, l’habitat, l’agriculture et l’élevage. L’agence est également chargée d’identifier les éventuelles sources de financement, de veiller au suivi des projets, de promouvoir l’emploi et l’initiative privée et de contribuer, seule ou en partenariat avec d’autres institutions, à l’aménagement et à l’équipement des zones relevant de sa juridiction.
Contrairement à sa sœur aînée, l’APDS ne connaîtra pas la même réussite.Les instructions royales à Ahmed Hajji en 2003 lors de sa nomination à la tête de l’agence étaient pourtantclaires. Il fallait «mener une action de proximité, mobilisatrice de toutes les énergies et riches potentialités humaines et naturelles des provinces du Sud». Les critiques reprochent à Hajji d’avoir tout miser sur le béton avec une multitude de projets. Les actions de l’agence n’ont pas répondu aux attentes de la population locale et les disparités entre l’urbain et le rural sont toujours phénoménales.Après plusieurs flops enregistrés, des délais à rallonge, un manque d’anticipation pour fournir les moyens d’exécution et de contrôle, Ahmed Hajji cédera son fauteuil en 2014 à Jabrane Reklaoui, actuel DG de l’agence.
Reklaoui se focalisera sur le programme de développement des provinces du Sud 2016-2021 lancé par le Souverain en 2015. Dans ce sens, plusieurs conventions cadres ont été signées pour un montant global initial d’environ 77 milliards de DH (MMDH). Cette enveloppe a été revue à la hausse pour atteindre environ 80 MMDH avec à la clé un nombre important de projets structurants visant le renforcement des infrastructures et réseaux, l’encouragement de l’investissement privé, l’appui aux projets relatifs au développement humain et social, la valorisation des richesses naturelles et la promotion de la culture dans les trois régions du Sud. Parmi les grands projets en cours de réalisation: la voie express Tiznit-Dakhla et le futur complexe portuaire Dakhla Atlantique.
Le décollage de l’Oriental
Créée en 2005 dans le sillage de l’Initiative royale pour le développement de l’Oriental énoncée lors du discours royal à Oujda le 18 mars 2003, l’Agence pour la promotion et le développement économique et social des provinces de l’Oriental (APDO) a ne sera opérationnelle qu’en 2006. Mohamed Mbarki est le seul DG qu’ait connue l’APDO depuis sa création. Fils de la région, lauréat de l’Ecole Mohammedia des ingénieurs (EMI), de l’Ecole d’architecture et de l’Institut d’urbanisme de Paris, où il a obtenu respectivement un diplôme d’architecture (DESA) et un doctorat de troisième cycle en urbanisme, Mbarki a fait un énorme travail à la tête de l’APDO. Il a commencé par redorer l’image d’une région écornée par l’économie frontalière (l’informel) et des années de marginalisation.
En grand communicant, Mbarki mise sur le marketing territorial. Il multiplie les interventions dans les médias et lance une myriade de projets pour améliorer la notoriété de l’Oriental. On citera notamment la création d’un portail dédié et fréquemment mis à jour, l’édition d’une collection de Beaux-livres, diffusés au Maroc comme à l’étranger, et la publication d’un trimestriel intitulé « oriental.ma ».
Un choix gagnant qui fera connaître les énormes potentialités de la région et ses richesses naturelles et humaines. L’opération séduction portera ses fruits avec des investissements de taille à Saïdia, nouvelle station balnéaire de l’Est marocain, Oujda et plus récemment à Nador.
L’autoroute Fès-Oujda livrée en 2011 a rapproché l’Oriental et a facilité les déplacements vers une zone méconnue des Marocains des autres régions. Marchica Med, Nador West Med et Oujda Shore comptent parmi les projets devant métamorphoser l’Oriental dans les prochaines années.
Mission accomplie?
«Le maintien de ces agences pour le développement n’est plus justifié du fait des doublons, soit avec d’autres EEP, soit avec des départements ou des circonscriptions locales», avait estimé l’ancien argentier du Royaume, Mohamed Benchâaboun, en présentant les contours de la nouvelle loi-cadre sur la réforme des EEP au mois de juillet 2021. En 2016 déjà, le démarrage du processus de création des Agences régionales d’exécution des projets (AREP) avait poussé le gouvernement Benkirane à préparer les modalités de liquidation de ces agences. L’exécutif de l’époque voulait aussi s’aligner avec la vision du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui avait recommandé dans son rapport sur la régionalisation avancée, la suppression de ces agences qui n’auraient plus d’utilité une fois les AREP créées. Seulement voilà, année électorale oblige, le projet de suppression des trois agences a été abandonné.
Mais pour plusieurs spécialistes du développement territorial, la dissolution de ces agences n’est pas justifiée du fait que leurs projets sont financés par des bailleurs de fonds internationaux avec lesquels elles ont l’habitude de travailler. D’ailleurs, plusieurs institutions internationales adhèrent à un projet quand elles voient qu’une agence de développement territorial est partie prenante du projet loin de toute manœuvre politique. Quoiqu’on en dise, la fiabilité, le savoir-faire et la durabilité des projets pilotés par l’APDN, APDS ou l’APDO sont reconnues par l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou encore l’Union européenne (UE). De plus, les trois structures disposent d’un personnel hautement qualifié. Si liquidation il y a, les ressources humaines des trois agences doivent être redéployées intelligemment parce qu’il s’agit de cadres et d’experts que l’État doit garder à tout prix. De plus, les trois agences ne constituent pas un gouffre financier pour l’État. Bien au contraire, leurs réalisations et les investissements qu’elles drainent dépassent de loin leurs charges propres.
De nombreux pays de par le monde ont eu recours aux agences régionales de développement à un moment ou à autre. À titre d’exemple, les « Regional development agencies » anglaises ont été créées en 1998 à l’échelle des huit régions statistiques de l’Angleterre. Leurs ressources proviennent de plusieurs départements ministériels. En France, les agences régionales de développement ont connu une diversification de leurs missions et métiers dans un souci d’efficacité et d’efficience. Chez nous, l’ancrage territorial des Agences du Nord, du Sud et de l’Oriental n’a été réalisé qu’en 2014 quand leurs sièges ont été transférés de Rabat vers Tanger, Laâyoune et Oujda. C’est peut-être l’une des tares qui a engendré du retard dans l’atteinte des résultats escomptés. Que ces agences soient maintenues ou pas, les autorités doivent capitaliser sur l’expérience de celles-ci qui ont participé au renforcement des capacités de trois zones névralgiques du Royaume.