L’enseignement supérieur, un secteur quise débat depuis longtemps avec la question du harcèlement et des abus sexuels. Ces dernières semaines, des dizaines d’allégations d’étudiants concernant des viols, des agressions sexuelles et des harcèlements sexuels dans des établissements du supérieur ont secoué le Maroc.
À l’École nationale de commerce et de gestion (ENCG) d’Oujda, par exemple, deux étudiantes ont déclaré avoir été harcelées sexuellement par un professeur. Une mobilisation massive des étudiants a eu lieu après que des captures d’écran de conversations entre ledit professeur et deux de ses étudiantes ont été partagées sur les réseaux sociaux. À la suite de ces témoignages, l’Université d’Oujda a indiqué qu’elle prendra les mesures nécessaires pour remédier à la situation. Un numéro vert et une adresse mail ont été mis en place par l’Université pour permettre à ses étudiants de dénoncer, sous couvert d’anonymat, tout acte de harcèlement. Après avoir été entendu par la commission d’enquête du ministère de l’Enseignement supérieur, le professeur accusé de harcèlement et chantage sexuels a été suspendu.
Ceci est intervenu quelques semaines après que des affaires similaires ont secoué l’Université Hassan 1erde Settat, dont les enseignants accusés ont comparu devant le tribunal de la ville, ainsi que la Faculté des sciences de l’éducation de Rabat, l’Université Moulay Ismaïl de Meknès et l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tétouan quelques mois plus tôt.
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Et maintenant, c’est au tour de l’École supérieure roi Fahd de traduction à Tanger d’être pointée du doigt. 12 étudiants (la victime et les témoins) de cet établissement ont porté plainte, le 23 décembre, auprès du Ministère public pour harcèlement sexuel contre un professeur. Selon les témoins, ce dernier n’a pas cessé de harceler cette étudiante. «Tout a commencé quand le professeur a essayé de l’attirer vers lui dans les escaliers», raconte le témoin. «Elle l’a repoussé et une fois en classe, il lui a soufflé à l’oreille qu’elle aurait un 5/20 dans sa matière et ne validerait pas son année». Ce professeur continue de l’appeler pendant une semaine, jusqu’au cours suivant. Lors d’une séance d’exposés, «il est allé s’asseoir à côté d’elle, au fond de la classe, et lui a demandé pourquoi elle ne répondait pas à ses avances. Elle a esquivé la question, mais c’est là qu’il a sorti son téléphone, a mis un site porno espagnol, et lui a montré une vidéo en lui disant « je veux que tu me fasses ces positions »», ajoutent les témoins. Cette scène a été filmée par la jeune femme, qui a décidé de réunir toutes les preuves et va déposer une plainte auprès du procureur du roi, appuyée par 11 témoins.
Les organisations féministes se mettent du côté des plaignantes
Dans le sillage des témoignages et de la couverture médiatique qui en découle, des associations féministes affirment que ces scandales, dont la plupart a eu lieuen ligne, ont révélé de toute urgence un problème plus vaste que les victimes hésitent souvent à signaler officiellement. Ces organisations appellent au renforcement des peines et à la mise en place d’un système de prévention spécifique.
Dans une déclaration faite à à Yabiladi, Bouchra Abdou, directrice générale de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC) indique : «nous savons toutes et tous que le harcèlement existe depuis très longtemps dans nos universités, mais il était passé sous silence plus qu’aujourd’hui. Les victimes avaient plus peur de sortir au grand jour, au risque que leurs témoignages ne se retournent contre elles, faute de preuves matérielles et par peur de se faire virer de leurs établissements». Selon la militante, cet outil est ainsi devenu «une arme à double tranchant». «Il est désormais un moyen d’atteindre et d’isoler les victimes encore plus rapidement, mais il constitue en même temps un moyen important pour conserver les preuves du harcèlement allégué et permettre la traçabilité de tout le mécanisme mis en place par l’agresseur, un professeur dans le cas présent», a-t-elle souligné. L’ATEC a réagi ce jeudi à travers un communiqué. L’association d’Abdou, qui souligne qu’est aussi «question de la sacralité du milieu universitaire tant prôné et qui ne peut être conservé sans la protection des droits des femmes», a indiqué que ces révélations pourraient donner lieu à de nouveaux témoignages dans d’autres universités. «Ceci rappelle le douloureux épisode du suicide d’une étudiante à Agadir en 2009 déjà, sous les pressions et le harcèlement répété de son professeur, et questionne une nouvelle fois la dignité des femmes qui croule sous ce tabou», a dénoncé l’ONG.
Pour sa part, la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) a annoncé, le 30 décembre, le renforcement de sa campagne numérique visant à «dénoncer toutes les formes de violence à l’égard des femmes», à travers le hashtag « #Hta_ana_baraka_harcèlement_université ». Elle a également annoncé sa «disponibilité à accueillir toutes les victimes de harcèlement sexuel dans les universités», ainsi que «le lancement d’une plateforme numérique pour fournir des services d’écoute, de soutien psychologique, d’accompagnement et d’orientation juridique pour les victimes». Dans ce sens, elle a appelé «tous les acteurs de la société civile et toutes les étudiantes victimes à interagir».
De son côté, le Collectif Hors-la-loi a aussi lancé un hashtag (#MetooUniv) pour dénoncer le harcèlement dans le milieu universitaire. Cette campagne vise par ailleurs à recueillir les propos des victimes ou des témoins.
Un dispositif légal à renforcer
Face à l’évolution de ce phénomène, Abdou appelle à «une évolution de traitement au niveau judiciaire, avec le renforcement des peines envers les professeurs mis en cause puisqu’ils usent de leur pouvoir d’autorité et de leur ascendant sur les étudiantes et considérant que l’outil numérique permet aux enseignants harceleurs de ne plus se limiter uniquement à la salle de cours pour atteindre leurs victimes ; ils peuvent les contacter à tout moment, où qu’elles soient, gêner leur tranquillité même quand elles sont chez elles ou tard le soir, ce qui doit être pris en compte comme une circonstance aggravante».
L’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a également réagi ce jeudi, en exprimant sa solidarité avec les victimes, tout appelant à «des sanctions exemplaires à l’encontre des auteurs». Pour l’ONG, «ces actes qui portent atteinte à la dignité des femmes et violent leur droit à la sécurité sont l’expression des nombreux dysfonctionnements juridiques et institutionnels qui permettent souvent aux auteurs de violence d’échapper aux sanctions ou d’avoir une sanction symbolique dans les cas d’abus de pouvoir». Ceci renforce «la banalisation de la violence à l’égard des femmes comme nous le révèle les taux inquiétants de prévalence de la violence livrés par le HCP en 2019», a souligné l’organisation.
À cet égard, l’ADFM a appelé à «l’harmonisation de la loi 103.13 [contre les violences faites aux femmes] avec les engagements internationaux du Maroc». Ces nouvelles révélations rappellent aussi l’importance de la «ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde professionnel», a souligné l’organisation. L’organisation appelle également à la mise en place d’une «politique de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de recours et des dispositifs de prévention, d’orientation et d’accompagnement des victimes», en plus de «l’élaboration d’une stratégie d’information et de sensibilisation adaptée aux intervenants et usagers des différents secteurs».
Le problème de la violence de genre et du harcèlement sexuel dans les universités est une réalité. S’il ne date pas d’hier, ce phénomène est autour des lieux de travail et des écoles. Toutefois, le harcèlement sexuel devient une manifestation des plus répréhensibles. Outre la vie réelle, l’avènement d’Interneta amplifié ce fléau. Ceci demande une extension de la notion pour y intégrer son aspect virtuel. Dans ce sens, les mécanismes juridiques doivent donc être renforcés.
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