Tourisme en état d’urgence
Tribune
Fouzi ZemraniTour-opérateur à Marrakech et ex-vice-président de la Confédération nationale du tourisme (CNT)
Si je devais faire le point sur la situation que nous traversons depuis près de 21 mois, je dirais qu’il y a des hauts et des bas, mais que les bas l’emportent largement sur les hauts au vu de l’évolution de mes états d’âme et des nouvelles qui nous parviennent chaque jour.
Nous sommes dans une sorte de partie d’échecs avec un virus qui a plusieurs coups d’avance, qui est imprévisible et qui finit par faire tourner en bourrique les experts en épidémiologie du monde entier.
Du coup les gouvernements réagissent par à-coups, les uns privilégiant le tout sanitaire, d’autres le tout économique et d’autres encore un mix des deux, mais dans tous les cas de figure, c’est en fonction des moyens que les états peuvent mettre en place pour contrer les effets de la pandémie.
En France, ils ont dès le début opté pour le «quoiqu’il en coute» et ils ont mis le paquet particulièrement pour le secteur du tourisme afin de protéger une industrie qui représente beaucoup pour leur image de marque. Être n°1 des destinations touristiques cela se préserve et il est hors de question de mettre en péril le savoir-faire français acquis au fil des ans et exportable aux quatre coins du monde.
Et ce n’est pas seulement une question d’échéance électorale, la dernière mesure prise par le gouvernement français concernant la relance du tourisme n’a été remise en cause par aucune force politique, qu’elle soit de gauche, de droite ou du centre, car apparemment le tourisme fait l’unanimité autour de lui et personne ne contrecarrera les décisions prises y compris l’opinion publique, les vacances étant sacrées pour les Français, car voyager fait presque partie des droits de l’homme et du citoyen.
Si je me permets de parler du cas de la France et sans vouloir titiller personne, c’est tout simplement parce que dans la gestion de la crise actuelle et plus particulièrement concernant le tourisme, ils n’ont pas lésiné sur les moyens tant pour les salariés que pour les entreprises touristiques toutes branches confondues.
Étant constamment en contact avec des confrères de l’hexagone, j’ai pu constater par exemple, comment les agences de voyages et les tour-opérateurs ont été traité depuis le début de la pandémie et même après le confinement, car bien que n’étant pas fermées administrativement, même si le tourisme ne fait pas partie des commerces non essentiels, ils étaient dans l’incapacité d’exercer leurs activités du fait des contraintes de mobilité tant à l’intérieur du pays que vers l’étranger.
Un véritable plan de soutien a été mis en place et exécuté de manière à permettre aux entreprises de sauvegarder les emplois sans mettre en péril leur trésorerie avec des aménagements pour les obligations fiscales allant du report à l’annulation de certaines charges, sans oublier des crédits garantis par l’état avec un taux préférentiel compris entre 1% et 2,5% et un différé de remboursement allant de un à deux ans suivant l’évolution de la situation sanitaire. Bien entendu, mise en place dès le début d’un système d’avoirs sur les avances clients permettant aux entreprises touristiques de ménager leur trésorerie tout en gardant un lien avec leurs clients pour une éventuelle reprise. Encore aujourd’hui avec l’arrivée du variant Omicron, le ministre français de l’Économie et des Finances a envisagé publiquement la continuité des mesures de soutien au-delà de la date prévue.
Chez nous, et dès le 16 mars, les professionnels du Tourisme représentés par la CNT ont attiré l’attention du Comité de Veille économique sur les risques encourus par le lockdown imposé par l’état d’urgence sanitaire, en présentant un état des lieux avec projection sur six à douze mois, ainsi qu’une série de mesures à mettre en place pour limiter les difficultés que le secteur sera amené à rencontrer, sachant qu’il sera le premier impacté et le dernier à reprendre.
Puis il y a eu la fermeture des frontières, le confinement et le couvre-feu. La vie s’est soudain arrêtée, les commerces dits non essentiels ont été fermés, pour les entreprises touristiques, hôtellerie, agences de voyages, transport touristique… elles ont fermé aussi par la force des choses.
Jusqu’au 30 juin 2020, le secteur du tourisme n’a reçu aucun traitement de faveur si ce n’est l’indemnité forfaitaire pour les salariés de tous les secteurs touchés mise en place le 28 mars 2020 suite à la création du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie sur décision de SM le ROI que Dieu l’assiste.
Il a fallu plusieurs mois de tractations et l’implication totale il faut le dire du département du tourisme, pour arracher un contrat programme reprenant l’ensemble des mesures proposées par la CNT dès le 16 mars.
Finalement, c’est aux forceps que le 6 aout 2020, un contrat programme couvrant la période 2020-2022 fut signé entre l’État et le secteur privé représenté par la Confédération nationale du Tourisme et le GPBM. Ce document concerne un plan de soutien et de relance du secteur touristique et ambitionne également de donner une impulsion forte au secteur et insuffler une nouvelle dynamique pour accompagner sa relance et sa transformation, à travers trois objectifs majeurs :
- Préserver le tissu économique et l’emploi ;
- Accélérer la phase de redémarrage ;
- Poser les bases d’une transformation durable du secteur.
Pour atteindre ces trois objectifs, 21 mesures sont préconisées engageant l’État représenté par Le ministère du Tourisme de l’Artisanat, du Transport aérien et de l’Économie sociale, le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère du Travail et de l’Insertion professionnelle.
Deux mesures phares ont été mises en œuvre à la signature du Contrat programme, il s’agit de la mesure n°1 concernant l’octroi d’une indemnité forfaitaire mensuelle de 2.000 Dh aux salariés du secteur touristique jusqu’au 31 décembre 2020 sous réserve du maintien de 80% des emplois déclarés à la CNSS par les entreprises touristiques et la mesure n°8 concernant les avoirs clients sujets de la loi 30-20 adoptée par le parlement et publiée au bulletin officiel le 1er juin 2020.
Il faut noter que les loueurs de voitures et les restaurateurs touristiques ont été exclus ce contrat programme, bien que lourdement impactés par la pandémie.
En date du 6 janvier 2021, un avenant à ce contrat programme a prorogé l’indemnité forfaitaire au 31 mars 2021 de même que le Transport touristique ainsi que la location de voiture ont vu la durée d’exploitation de leurs véhicules prolongée d’une année.
Enfin toujours le 6 janvier 2021, un contrat programme entre l’État, la CGEM et la Fédération des Chambres du Commerce d’Industrie et de services, a permis aux restaurateurs de bénéficier également d’une indemnité forfaitaire pour leurs salariés, mais seulement à partir du 1er janvier 2021.
Dans l’absolu, le contenu de ce contrat programme permettait aux entreprises touristiques de tenir le coup durant cette crise, sauf que mis à part les mesures précitées, la quasi-totalité des autres mesures sensées d’un côté préserver les entreprises et les salariés et de l’autre préparer une reprise au lendemain de la levée des contraintes sanitaires, n’ont jamais été déployées.
Une des mesures qui devaient permettre aux professionnels du tourisme de souffler, la fameuse mesure 7 qui prévoyait un moratoire* pour le remboursement des échéances des crédits bancaires et des leasings sans paiement de frais ni de pénalités pour les entreprises touristiques et leurs salariés, n’a jamais été mise en place par l’État qui s’était engagé à le faire auprès des organismes de crédit.
Et pourtant, toutes ces mesures avaient leur importance pour maintenir en état un tissu d’acteurs de tailles diverses composé de professionnels aguerris et croyants en une reprise imminente.
Un sondage effectué par la CNT auprès d’un échantillon de 350 entreprises membres en mai 2021 informe que 65% n’ont bénéficié d’aucun crédit, que 45% ont trouvé cela compliqué. 78% n’ont bénéficié d’aucun report d’échéance sans frais et aucun report d’impôt n’a été accordé.
Devant le retard pris pour la mise en œuvre du Contrat programme, nous avons décidé de sensibiliser les groupes parlementaires. C’est ainsi que le 24 mai 2021, nous avons rencontré tour à tour les représentants de l’Istiqlal, du PAM, du RNI, de l’UC et du PJD et les avons alertés sur la situation de notre secteur tant sur le plan économique que social. Beaucoup de courtoisie, mais très peu d’actes, leur tête était déjà dans la future campagne électorale et notre secteur est juste la cerise sur le gâteau, pas le gâteau….
Suite à cette réunion, nous avons été reçus par le chef de gouvernement le 1er juin qui nous a écoutés d’une oreille attentive et gratifiés d’une attitude compatissante nous recommandant la patience face à une situation qui l’embarrassait autant que nous, mais apparemment dépassait son périmètre d’exécution !
Par la suite lors d’une dernière réunion informelle tenue au ministère de l’Économie et des Finances toujours le 1er juin 2021, en présence du ministre de L’Économie et des Finances, de la Ministre du Tourisme et du Président de la CGEM, durant laquelle la CNT a plaidé la cause des entreprises touristiques sur la base d’un N-ième plan de soutien et de relance du secteur face à une crise qui n’en finit pas.
Toutes les demandes faites ce jour-là étaient légitimes, frappées du bon sens, non onéreuses et n’avaient soulevé aucune objection de la part de nos interlocuteurs puisqu’en définitive, elles ne concernaient que le déploiement du contrat programme déjà signé depuis le 6 aout 2020 et évitaient une catastrophe économique et sociale annoncée due à la situation sanitaire imprévisible qui empêchait une reprise normale de notre activité en particulier.
Pendant tout l’été, nous avons espéré une reprise, cru en un tourisme local, milité pour une mobilité interne, pour la vaccination de nos salariés, pour un pass vaccinal, pour une levée du couvre-feu, enfin pour tout ce qui nous aurait permis de reprendre une activité pour faire face à nos engagements vis-à-vis de nos salariés, de nos créanciers, du percepteur, du bailleur, de la RADEEMA, de IAM, de l’assureur, sans oublier les frais de scolarité de nos enfants, le pharmacien, le docteur et tous les autres… et vivre dignement.
Puis il y a eu des élections législatives et communales, un changement de majorité, un nouveau gouvernement et un nouveau modèle de développement sans que tout cela ne change rien à notre situation.
Nous n’avons plus aucune nouvelle du Comité de veille économique, notre tutelle voyage et nous, nous tournons en rond cherchant désespérément une issue de secours.
Une situation qui me rappelle un sketch de Raymond Devos que je vous recommande vivement, il s’intitule le plaisir des sens.
*Un Moratoire selon Larousse : Délai accordé par le législateur à une catégorie de débiteurs dont le paiement des dettes est difficile ou impossible à la suite des circonstances (Guerre, Crise économique… etc.)
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