Climat : le Maroc champion, et après ?
Inexorablement, le point de non-retour est proche. La planète se réchauffe et les grands pollueurs ne peuvent ralentir les aiguilles de l’horloge carbone puisqu’il leur est impossible de réduire drastiquement et dans l’immédiat leurs émissions de gaz à effet de serre. Leurs économies s’écrouleraient et le monde connaîtrait de grandes perturbations.
Stress hydrique
C’est du jamais vu! La Moulouya, l’un des plus longs fleuves du Maroc, ne se déverse plus dans la Méditerranée, et ce, en raison de l’affaiblissement de son débit. Surexploitation et faiblesse des précipitations en sont les principales causes. Le changement climatique y est pour beaucoup. L’assèchement de la Moulouya provoque des dégâts considérables aux terres agricoles et à la biodiversité. Son eau douce autrefois abondante jusqu’à son arrivée en Méditerranée, a laissé place à l’eau de mer qui remonte à présent sur 15 kilomètres (km) dans le lit de cefleuve, qui parcourt plus de 500 km depuis les montagnes du Moyen Atlas. Ceci a poussé les riverains à abandonner l’exploitation de leurs terres à cause d’un excès de salinité.
Déjà, depuis quelques années, le Royaume connaît un décalage des saisons dans le temps. Tous les agriculteurs le certifient, les saisons étaient plus marquées auparavant et un décalage réel entre les saisons sur le calendrier est observé. «Il y a 10 ans, la campagne agricole était lancée à la mi-septembre puis elle a été retardée à la mi-octobre. Cette année, ce n’est que le 12 novembre que le ministre de l’Agriculture a procédé au lancement de la campagne agricole 2021-2022», affirme Zouheir Hanchaoui, agriculteur dans la région du Gharb. Pour ce fellah attaché à la terre de ses parents, le Maroc étant de plus en plus confronté au déficit hydrique causé par une sécheresse structurelle, il faut donc travailler sur l’adaptation. «Cela passe par la révision des périodes d’emblavement et de semis pour se rapprocher du premier vrai épisode pluvial», soutient notre interlocuteur.
Hausse des températures
Si en ce mois de novembreil fait frisquet,cela ne dénote pas pour autant d’une stabilité du thermomètre sur toute l’année. En effet, le mercure n’est plus en phase avec les normales saisonnières. Pendant l’été, la Direction générale de la météorologie (DGM)avait fait le point sur la vague de chaleur de type chergui, observée du 12 au 17 août 2021 au Maroc.La DGM affirmait que de nouveaux records de température maximale ont été enregistrés dans plusieurs villes du Royaume. Le mercure a dépasséla normale mensuelle de 5 à 12 degrés, en particulier les journées du vendredi 13 et samedi 14 août 2021 qui ont été les journées les plus chaudes de ce mois.
Ainsi, un record annuel absolu de 46,7 °C a été enregistré le vendredi 13/08/2021 à Fès contre 46,4 °C enregistré le 10/07/2021.
Par ailleurs, des records mensuels du mois d’août ont concerné les localitéssuivantes :
- Taroudant : 49,3°C enregistrés le dimanche 15/08/2021 contre 48,9 °C le 02/08/2012,
- Agadir Al Massira : 49,1°C le lundi 16/08/2021 contre 48,3 °C le 26/08/2010,
- Marrakech : 48,6 °C le vendredi 13/08/2021 contre 48,6 °C le 02/08/2012,
- Oujda : 46,7 °C le vendredi 13/08/2021 contre 46,2 °C le 06/08/2019,
- Guelmim : 47,6 °C le dimanche 15/08/2021 contre 47,0 °C le 05/08/2016,
- Meknès : 46,5 °C le samedi 14/08/2021 contre 45,3 °C le 09/08/1925,
- Taza : 46,1°C le vendredi 13/08/2021 puis 46,2°C le samedi 14/08/2021 contre 45,7°C le 04/08/2017,
- Khouribga : 45,3°C le vendredi 13/08/2021 puis 45,5°C le samedi 14/08/2021 contre 44,1 °C le 08/08/2011,
- Tétouan : 42,2°C le lundi 16/08/2021 contre 42,0 °C le 09/08/1976.
Un engagement multidimensionnel
Dans le discours adressé aux participants à la 26e session de la Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP26), qui s’est tenue du 1er au 13 novembre à Glasgow, le roi Mohammed VI a réitéré l’engagement du Maroc en faveur des questions du climat. Le Souverain a assuré que le Royaume a rehaussé le seuil de sa contribution déterminée au niveau national (NDC), soit l’équivalent d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 45,5% d’ici 2030. «Ce dessein s’inscrit dans le cadre d’une stratégie intégrée de développement bas carbone à l’horizon 2050, visant le passage à une économie verte qui soit en accord avec les objectifs de durabilité, de renforcement de la résilience, d’adaptation et de protection de l’environnement, sur lesquels repose le Nouveau Modèle de développement (NMD) du Royaume», a rappelé le chef de l’État.
Au total, 151 pays ont présenté leurs NDC, dont le Maroc qui assure que le nouvel objectif de réduction de 45,5% de ses émissions d’ici 2030 est inconditionnel et sera réalisé à hauteur de 18,3% sans appui de la coopération internationale. Par ailleurs, le NMD du Royaume a érigé la justice climatique et l’économie verte au cœur de ses priorités.
À ce jour, 37% de la puissance électrique au Maroc sont générés par les énergies renouvelables et 50 projets d’énergies renouvelables d’une puissance installée de 3.950?mégawatts (MW) sont en cours de réalisation. Le Royaume produit déjà plus de 4.000 MW d’énergies éolienne et solaire et la part des énergies renouvelables pourrait dépasser les 60% en 2030.
Ayant fait le déplacement à Glasgow, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a pour sa part annoncé un renforcement des ambitions climatiques marocaines. L’exécutif entend mettre le paquet sur la recherche dans les secteurs de l’hydrogène, de l’efficacité énergétique des bâtiments et la mobilité électrique, entre autres. En vue d’accélérer la transition énergétique, plusieurs mesures sont entreprises pour développer aussi la biomasse-énergie, les énergies marines et l’hydrogène.
Le Maroc, meilleur élève du continent
Le modèle marocain en matière d’engagement climatique est une référence pour les pays africains. Le Maroc est aujourd’hui classé meilleur élève africain et quatrième mondial par le Réseau international d’action pour le climat et le New Climate Institute dans l’indice de Performance climatique de 2021.
La politique marocaine de l’eau avec les infrastructures de captation des eaux de pluie pour la consommation, l’irrigation et les barrages sont scrutés par les pays d’Afrique subsaharienne et présentent des pistes non négligeables d’échange d’expertise dans le cadre de la coopération Sud-Sud.
Le Maroc est aussi un précurseur dans le cadre de l’énergie solaire avec lacentrale Noor Ouarzazated’une capacité de 580MW lancée en 2009, l’une des plus grandes au monde. Ellefournit de l’électricité à plus d’un million de ménages et réduit d’un million de tonnes par an les émissions de gaz à effet de serre injectées dans l’air.
Bénéficiant d’un ensoleillement tout au long de l’année, le Maroc dispose d’un énorme potentiel en matière d’énergie solaire, mais les investissements considérables et les aides publiques nécessaires aux grands projets constituent un réel défi pour notre pays. Selon des experts en matière d’énergies renouvelables, le Maroc gagnerait plus à mettre l’accent sur des projets de moindre envergure aux résultats plus tangibles comme l’installation de panneaux photovoltaïques dans les exploitations agricoles, les usines, les complexes touristiques. Pour réussir ce pari, les autorités doivent mettre en place des mesures incitatives pour les opérateurs économiques qui n’ont souvent pas les moyens matériels de passer à l’énergie solaire. De ce fait, la dépendance aux énergies fossiles reste bien ancrée et même s’il compte parmi les pionniers de l’énergie verte dans la région, le Maroc n’a pas encore atteint le retour sur investissement escompté en la matière. La vérité est que la gestion de grands projets comme la centrale Noor Ouarzazate se fait à perte.
Le gouvernement a compris qu’il est temps de changer le modèle commercial de la vente d’énergie à l’État, reposant sur des partenariats publics-privés. Le 11 novembre dernier, le Conseil de gouvernement a adopté le projet de Loi n° 82.21 relatif à l’autoproduction de l’énergie électrique. Présenté par la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, ce projet de loi vient adapter le cadre législatif et réglementaire régissant l’autoproduction de l’énergie électrique. Il vise, notamment, à réglementer l’activité d’autoproduction de l’énergie électrique à des fins d’autoconsommation, et ce, quels que soient la source de production, la nature du réseau, le niveau de la tension ou la capacité de l’installation utilisée, tout en assurant la sécurité du réseau électrique national. Ce projet de loi repose sur un certain nombre de principes fondamentaux, dont le droit pour toute personne physique ou morale de droit public ou privé de bénéficier du statut d’autoproducteur. De même, ce projet de loi prévoit trois systèmes qui encadrent l’autoproduction en cas de raccordement avec les réseaux d’électricité (système de déclaration, système d’agrément de raccordement et système d’autorisation). C’est un premier pas vers l’encouragement des investissements dans l’énergie propre. Mais aux yeux des experts en énergie, l’inapplicabilité de ce texte est évidente parce qu’il prévoit que le distributeur d’électricité limite les quantités injectées par les autoproducteurs à 10% de la production et envisage de pénaliser les contrevenants. L’intérêt des distributeurs a donc rimé sur l’intérêt général et celui des autoproducteurs existants ou potentiels.
Pour en revenir aux dangers qui nous guettent, notre pays fait déjà partie des 30 pays les plus en pénurie d’eau de la planète, selon l’Institut des ressources mondiales (WRI). Les périodes de sécheresse sont de plus en plus longues et intenses, et les nappes phréatiques s’assèchent. Le dérèglement climatique a pris des proportions dramatiques au Maroc au point d’amplifier l’exode rural. La migration climatique n’est pas un mythe, surtout que des villes marocaines sont également menacées par la hausse du niveau de la mer. D’ici à 2050, le changement climatique risque de contraindre des millions de personnes à migrer versl’intérieur du Royaume. Pour un meilleur lendemain, c’est maintenant qu’il faut agir et vite.